Je me souviens, je me rappelle
Pour commémorer les vingt ans de l’inusable Crève-cœur et les dix ans de la disparition du génial et mythique Daniel Darc, Frédéric Lo nous offre un superbe disque hommage. Une belle manière d’honorer la mémoire de ce chanteur inoubliable et de cet homme qui nous manque tant.
Frédéric Lo a commencé à bosser sur cet album hommage à Daniel Darc il y a cinq ans déjà : « J’ai commencé à préparer ce disque sans deadline en tête. Puis le Covid arrive. C’est aussi l’époque où je commence à travailler avec Pete (Doherty ndlr) ce qui retarde encore l’album. Je réalise un peu plus tard que ce sera bientôt les dix ans de la disparition de Daniel et les vingt ans de Crève Cœur, qu’il est alors temps de sortir ce disque. »
Pour ce disque, Frédéric Lo a réussi à réunir un casting parfait qui va de Biolay à Daho en passant par Pete Doherty ou Jean-Jacques Burnel : « Je suis quelqu’un d’instinctif donc je cherchais à ce que cela ait un sens global. Il y a deux façons de faire des reprises : soit détruire l’original à la “My Way” de Sid Vicious soit refaire le morceau de quasi la même manière. Je ne voulais ni l’un ni l’autre. Je voulais quelque chose de contemporain. Daho m’a toujours parlé de Daniel, donc c’était évident qu’il y soit. Dominique A, je l’ai toujours beaucoup aimé, je trouve qu’il a une carrière exemplaire. Jane aimait beaucoup Crève-cœur. À cette époque elle voulait reprendre “Mes amis” mais elle jouait dans une pièce de Shakespeare et cela n’a pu se faire. Benjamin (Biolay ndlr) adorait aussi Crève-cœur et Daniel s’était moqué de lui à cette époque ce qui l’avait blessé. Daniel s’est d’ailleurs excusé de cela plus tard. Alex Beaupain c’est un pote. On a souvent travaillé ensemble. J’aurais bien aimé que Mirwais participe au projet mais il a malheureusement refusé. »
Sur ce projet, Frédéric Lo a tout fait : « Je joue de tout dessus. Il n’y a aucun musicien sur le disque. J’ai galéré sur certains morceaux comme “Les Armées de la Nuit” par exemple qui est un titre tellement ancré dans les années 80 qu’il est difficile de le reprendre. »
Le disque ravive ainsi la mémoire de Crève-cœur cette œuvre météorite que même les fans les plus hard-core de Darc n’espéraient plus à la fin des années 90-début 2000, années d’errance pour le génial chanteur de Taxi-Girl. La rencontre Frédéric Lo-Daniel Darc se fait durant ces années-là : « Quand nous nous sommes rencontrés il m’a évidemment fait son show voulant jouer à la roulette russe avec moi. Je lui ai joué “Rouge Rose” que j’allais proposer à Dani et il m’a d’un coup pris au sérieux. Entre l’enregistrement de Nijinsky son précédent album et celui de Crève-cœur il se passe quatorze ans. Ce qui a fonctionné entre Daniel et moi ce sont nos connexions littéraires, notre amour pour les auteurs de la beat-generation… J’habitais juste à côté de chez lui dans le 11eme. Nous nous sommes croisés des années durant et je me disais tout le temps mais comment se fait-il que personne ne lui demande d’enregistrer un truc. Un jour en sortant de chez moi je tombe sur lui. J’étais avec un pote, un musicien qui fera carrière, plus tard, Florent Marchet et j’invite Daniel à venir boire une bière avec nous. À cette époque il faisait peur à tout le monde, au public, aux maisons de disques. Tu lui donnais rendez-vous, il ne venait pas. Mais j’avais envie de bosser avec lui. Quand il m’a demandé si on pouvait continuer de faire des chansons pour d’autres comme on l’avait fait pour Dani il bafouillait sans vraiment oser me le demander et là je lui dis : « Mais tu déconnes tu es Daniel Darc, on va faire un album de toi. » ».
« Il a senti qu’il ne fallait pas déconner. Il s’est imposé cela de lui-même. On a bossé durant un an et demi de neuf heures à vingt heures tous les jours sauf le week-end. Il arrivait même en avance à nos rendez-vous à attendre derrière la porte comme lorsque l’on va chez son psy. On se mettait à travailler après qu’il eut ingurgité deux 8.6. »
L’album sort finalement chez Mercury, une major, les labels indés se méfiant de l’image maudite de Daniel Darc : « Le disque a été signé par le mec qui m’avait rendu mon contrat. »
À la sortie de Crève-cœur, Frédéric Lo hallucine des retours critique ultra positifs : « Christophe Conte écrit alors dans les Inrocks que le disque est un des dix meilleurs disques jamais enregistrés en France. J’étais étonné mais j’avais eu la chance de comprendre comment fonctionnait l’industrie du disque en France lorsque j’avais été moi-même artiste chez des majors. Et puis le disque arrive au bon moment, celui où arrive une nouvelle vague de la chanson française qui va de Philippe Katerine à Miossec qui disent aimer Daniel Darc. »
Pour cet album Daniel voulait qu’il soit titré sur la pochette Daniel Darc-Frédéric Lo mais celui-ci décline la proposition : « Il s’est passé la même chose avec Pete (Doherty ndlr) mais lui est une star. Il est connu mondialement. Daniel n’était connu que de l’underground en 2003. Il était nécessaire de le remettre au premier plan. »
Entretien et photo : Pierre-Arnaud JONARD
Cœur Sacré – Un hommage de Frédéric Lo à Daniel Darc
Universal Music Division-Virgin Music
