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THE BESNARD LAKES

Besnard Lakes

« Une tâche intimidante mais nécessaire »

Trois ans après leur dernier opus, les Canadiens de The Besnard Lakes reviennent avec un double album, The Besnard Lakes are the last of the great thunderstorm warnings (chronique) auquel le recours au drone, effet de bourdon obtenu à partir d’un orgue, confère une beauté troublante. Olga et Jace ont accepté d’être nos guides dans ce voyage initiatique sur les eaux apparemment calmes du Styx, entre paradis et enfer sur fond de questions existentielles sur la vie et la mort, thème intemporel qui aura inspiré l’un des plus beaux disques de ces derniers mois. 

 

Pour ce sixième album, un double LP, vous changez complètement de cap par rapport au précédent, dans le sens où les morceaux sont nettement plus intimes et surtout très psychédéliques (presque au sens premier du terme) tant dans l’esprit que dans la forme. Est-ce votre façon de toucher au plus près la mystique de la vie, de la mort et de l’après-mort, ce que vous appelez aussi “l’arc” ?

Olga : « Oui, c’est une bonne interprétation. Je n’ai jamais considéré la mort comme une mauvaise chose et pour reprendre ce que tu dis sur le mysticisme, dans le Tarot, quand on te donne la carte de la mort, ce n’est pas nécessairement négatif. Cela renvoie à la mort évidemment, mais cette mort peut aussi signifier la mort d’un mode de penser. En fait, au final, cela aussi peut représenter un énorme soulagement. Les chansons ici portent un sentiment plus intime que sur Coliseum Complex Museum qui donnait plus l’impression que chaque chanson était une unité autonome alors qu’avec cet album, chaque chanson est une contribution à l’ensemble. »

 

En écoutant ce double album, on ne peut s’empêcher de penser à Dark side of the moon de Pink Floyd – ce qui n’est pas le moindre des compliments – et à ses incessantes références pour ne pas dire son hommage à Syd Barrett. Ou, plus récemment et dans une moindre mesure, à Skeleton tree ou Ghosteen de Nick Cave. Tous ces superbes disques ont été créés – c’est peut-être ce qui les rend si beaux – après la mort récente d’un de leurs proches. Pensez-vous que des forces spirituelles encore jamais explorées aient pu vous guider et vous aider à sublimer votre musique ?

Olga : « Oui et je pense même que cela fait partie du processus de deuil, ça a à voir avec le travail sur ces sentiments que nous avons tous peut-être enfouis au plus profond de nous. Cela a été la même chose pour moi après la mort de mon père. Je n’avais jamais imaginé avant ce que pouvait être le deuil physique. Là, j’ai ressenti une très profonde douleur dans mon corps… comme je n’en n’avais jamais ressentie auparavant. Métaphoriquement parlant, c’est presque comme si on m’arrachait la moitié de mon ADN ! Cela peut sembler effrayant, mais c’était quelque chose que je ne pouvais pas contrôler, aussi finalement ai-je dû m’y résoudre. On touche là ce sentiment de la mort en tant qu’expérience la plus psychédélique qui soit dans la façon dont elle brise l’ego. Je ne me sens plus du tout la même personne depuis la mort de mon père. »

 

besnard lakes entrevue

 

Vous racontez l’expérience de mort imminente (“near death experience”) que quelqu’un qui vous est cher – le père de Jace – a vécu, avec une certaine fascination pour ce que ce moment peut représenter et l’effet qu’il peut avoir sur le cerveau qui libère des substances très “intéressantes”… Cela vous a-t-il influencé lors de la composition de certains morceaux, ou même de l’album entier ?

Jace : « Les moments psychédéliques ont toujours influencé mon écriture, cela remonte à l’époque où je prenais de l’acide lorsque j’avais autour de vingt ans. Ces moments ont toujours été très inspirants grâce aux albums que nous écoutions pendant le “trip”. J’ai alors appris à apprécier les disques qui, par leur cohérence artistique, permettent de s’immerger totalement. J’ai toujours une profonde affection et un grand respect pour les choses qui, dans la musique, l’art et la vie, peuvent offrir une pause dans l’activité quotidienne. Le fait de voir mon père se détériorer lentement a été l’une de ces périodes intenses où tout ce qui vous entoure s’effondre et où vous êtes concentré sur le moment présent. Je me suis souvent demandé à quoi il pensait tout en sachant qu’il allait mourir, et quel genre de terreur ou de sentiment de paix il pouvait ressentir. C’était une expérience très psychédélique de penser à ces choses très abstraites pour nous. Je pensais constamment à ces idées pendant que je travaillais sur The Besnard Lakes are the last of the great thunderstorm warnings. C’était une thérapie. »  

 

Puis, malheureusement, est venue la mort, un moment représenté dans le disque par le sublime “Christmas can wait”, le point de départ d’un nouveau voyage… Selon vous, que se passe-t-il de l’autre côté ?

Jace : « Je n’en ai aucune idée. C’est pourquoi nous avons utilisé le drone dans cette chanson, il représente une méditation sur cette pensée. Une phrase musicale dans laquelle le mouvement s’arrête mais où il y a toujours malgré tout de la beauté et de l’émerveillement. » 

 

Nous en avons parlé, le disque est plein d’une expérience très personnelle, mais le groupe est composé de 5 membres. A-t-il été facile d’emmener tout le monde dans la direction que vous vouliez prendre et les thèmes que vous vouliez aborder ici ?

Jace : « Oui. Je pense que tout le monde est curieux d’explorer l’idée de la mort. C’est une tâche intimidante mais nécessaire même si nous l’avons tous remise à plus tard. Donc quand quelqu’un vous dit « allons l’explorer ensemble », je pense qu’il devient plus facile de le faire et d’en parler. L’affronter est une bonne préparation. »

BESNARD_LAKES_ALBUM

 

Parlons de la belle pochette qui est en fait le début du voyage que vous proposez avec l’album. Elle porte beaucoup de messages, n’est-ce pas ?

Olga : « La couverture de l’album est une peinture de notre amie Corri-Lynn Tetz qui a également peint les couvertures de The Besnard Lakes are the dark horse, The Besnard Lakes are the roaring Night et Until in excess, imperceptible UFO. C’est censé représenter une porte vers la mort, avec un regard plus aérien mais avec à la fois quelque chose de menaçant au loin. Globalement, elle dépeint l’esprit d’aventure dans la grande inconnue. Par contre, la pochette intérieure elle représente le côté plus sombre. On y retrouve des repères des albums précédents : le globe de Coliseum Complex Museum, les canons de The Besnard Lakes are the roaring night, la maison de Until in excess, imperceptible UFO, et le cheval de The Besnard Lakes are the dark horse. On y voit également le Besnard Lake, qui est la carte que la jeune fille tient dans la pochette intérieure de l’album Volume 1. Ce travail artistique permet d’imaginer beaucoup de choses pour relier les différentes histoires. L’illustration de cette pochette intérieure a été réalisée par un autre de nos bons amis, Todd Stewart, qui a fait les couvertures de nos EP et de nombreuses affiches de spectacles. »

 

En écoutant le disque, on se rend compte qu’il forme une unité presque indescriptible, en ce sens qu’il est très difficile d’écouter seulement quelques morceaux ici et là sans perdre la force que le disque contient et qu’il libère quand on l’écoute entièrement. Etait-il important pour vous de revenir au concept d’un album complet et entier comme nous le faisions “avant” ?

Olga : « Absolument. Il nous semble plus authentique d’écouter un album complet plutôt que quelques chansons. Même si c’est bien aussi de n’en écouter que quelques-unes, et c’est indéniablement ce que j’ai déjà souvent fait. Mais il est certain qu’avec ce disque, nous avions l’envie que les gens l’écoutent dans son intégralité. Chaque chanson est une porte vers la suivante, chaque face du disque a un thème et les chansons correspondent à ces thèmes. Je pense simplement que c’est une expérience plus enrichissante, mais en fin de compte, chacun fera comme il voudra. »

     

Rares sont les groupes qui osent encore composer des chansons peu compatibles avec les habitudes d’écoute actuelles, comme le dernier morceau qui donne son nom à l’album et qui dure plus de 17 minutes, composé de deux parties contrastées, la seconde étant très sombre, à la limite de l’oppression, pendant plus de 10 minutes. Est-ce l’avertissement avant la tempête ? Et si oui, à quoi se réfère la tempête ici ?

Olga : « C’est amusant de noter que ce titre, “The Besnard Lakes are the last of the great thunderstorm warnings”, soit sur la face appelée “Life”. La première partie de la chanson illustre la grandeur de la vie et notre ouverture progressive au fil de celle-ci. Puis vient la deuxième partie, celle où nous nous immergeons dans le drone, presque comme un acte de purification ou de méditation. Pour moi, cela soulève la question suivante : « Passons-nous la majorité de notre vie en transe, comme si nous étions somnambules ? » Et ensuite, on recommence un autre cycle. Il y a beaucoup de questions et très peu de réponses. »

 

Vous avez fait le choix de continuer à faire des concerts par le biais des médias numériques, comme récemment aux Nuits Psychédéliques de Québec. Deux autres sont prévus en mars et avril. Comment faites-vous pour que les gens à distance perdent le moins possible les émotions que vous voulez transmettre alors qu’une véritable communion ne peut pas avoir lieu ?

Olga : « Eh bien, c’est une question difficile. Ce n’est vraiment pas la même chose que de jouer un spectacle en direct, ni pour le groupe ni pour le public. Nous faisons en sorte que ce soit le plus proche de ce que vous vivriez lors d’un concert de The Besnard Lakes, à savoir un spectacle de lumière avec des lasers, des stroboscopes et du brouillard. Quant au son, il est quant à lui peut-être meilleur compte-tenu du fait qu’il est plus difficile de contrôler le son dans des lieux différents. Ainsi, vous avez peut-être déjà vu un groupe jouer à un endroit où le son était excellent, puis ce n’était plus le cas à un autre endroit le lendemain. Il y a quelque chose de réconfortant à avoir un environnement plus contrôlé, même si ce n’est pas exactement ce que l’on peut ressentir en live. Il y a forcément une déperdition d’énergie quelque part. »

 

Dernière question. Quand allez-vous venir en France ?

Olga : «  Nous espérons à la fin du mois de septembre cet automne, mais c’est encore très loin.  Croisons les doigts ! [NdlR : un concert est prévu le 30 septembre au Bus Palladium à Paris]»

 

>> Le site de The Besnard Lakes 

>> Prochains livestreams  : 6 Mars, 3 avril

Xavier-Antoine MARTIN

Photos : Joseph Yarmush

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