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ROMAIN HUMEAU

ROMAIN HUMEAU © Marie d'Angleville

La vie, ça n’est que ça : les autres.

LES CONFINÉS DE LA MUSIQUE. ÉPISODE 31

Pendant cette période pour le moins troublée et troublante, Longueur d’Ondes fait le tour des artistes mais aussi professionnels des musiques amplifiées de l’espace francophone (cœur du magazine) afin de parler de la situation et de ses conséquences… Aujourd’hui : Romain Humeau (Eiffel), auteur-chanteur-compositeur.

Romain baigne depuis sa plus tendre enfance dans le monde de la musique. Issu du conservatoire, il y consacre sa vie. Auteur-compositeur talentueux, multi-instrumentiste, il est connu pour être le chanteur et leader du groupe Eiffel, une référence incontournable de la scène rock française (Longueur d’ondes N° 89).

 

 

Il se donne tout autant pour son second groupe, qui d’ailleurs porte son propre nom. Romain Humeau est un projet plus personnel, tout aussi excellent, mais malheureusement moins médiatisé qu’Eiffel.

 

 

Travailleur acharné et obstiné au caractère bien trempé, Romain ne baisse jamais les bras en dépits des difficultés. Il trouve son chemin en marge du commun et des dictats de l’industrie de la musique, se battant pour conserver au maximum son autonomie en créant son propre label. Toujours prêt à tout donner au fils des tournées, chaque concert reste un évènement. Anxieux dans l’âme, mais intuitif, il distille plus que jamais ses angoisses dans Stupor Machine, le dernier album d’Eiffel évocateur de fin du monde. Néanmoins, son pessimisme parfois exacerbé est ponctué de lueurs d’espoir pour l’avenir, et Romain semble rester tout aussi libre dans le confinement.

Comment vis-tu cette période ?

Nous ne sommes pas les plus à plaindre confinés dans notre maison à Bordeaux, en famille, et avec beaucoup de choses à faire. Ce n’était pas prévu de les faire là, mais du coup on s’adapte. On travaille beaucoup, entre les enregistrements, nos sociétés Seed Bombs Music et Poil de Planète, et sur l’écriture et la finition de nouvelles chansons entre autres.
Attention, je ne suis pas en train de dire que la situation ne nous affecte pas, bien au contraire, je pense juste que nous n’avons ni le droit de nous plaindre, ni le droit de procrastiner. Ne serait-ce que par respect et déférence pour les personnes qui nourrissent, transportent, soignent, ébouent etc. On est avec eux à notre manière et notamment en travaillant.

Ce qu’on vit là, ce virus qui se propage à la vitesse de la lumière et qui met le monde KO, c’était quelque chose de prévisible pour toi ?

Non, ce n’était pas prévisible pour moi. Ce qui était et reste prévisible, c’est la fonte des derniers 60 cm de banquise avant de libérer le Permafrost et ça, c’est pour demain. Et, me semble-t-il, on parle là d’un truc à faire passer le coronavirus pour une chatouille. Cependant les gros porcs qui défont le monde s’en foutent. On a donc tout lieu de réitérer avec le syndrome du lapin éblouis par des phares de bagnoles d’ici peu.

Je sais que la question de cette pandémie fait polémique, mais à mon sens, il y a une logique au fait qu’on aie droit à cette goutte d’eau faisant déborder le vase du productivisme, de la mondialisation et de la destruction systématique du vivant par l’homme. C’est quasiment « Nostradamussien ». Je fais, clairement, obstinément et même violemment partie de ceux qui ne souhaitent pas que tout reparte comme “avant”. L’horrible de la situation est inversement proportionnel à ce qu’elle a d’ultra-positif : la moitié de la planète a par obligation cessé tout superflu. Plus aucun avion, génial, beaucoup moins de voiture, génial, une forme nouvelle d’entre aide, génial…

Malheureusement, quand je vois que notre blé sert à aider Air France, Renault et à filer le salaire dû aux crétins footeux, je pense que les gouvernements, main dans la main des puissants et sous le regard attendri du bourgeois millénaire, va nous gonfler encore longtemps avec l’idée de croissance, de PIB et de pouvoir d’achat.
Culturellement parlant (enfin culturellement….) je sens poindre les concerts “contre le coronavirus” dans des salles AccordHotel… Ça pourrait-être de ce niveau là… C’est effrayant…

 

 

Pendant cette période, tu as continué à jouer et à composer, est-ce que ta musique a été changée/influencée par ce qui se passe dehors ?

Oui, bien sûr, j’ai fini de mixer mon nouvel album Echos il y a une semaine. C’était comme un confinement dans le confinement, avec nuits blanches, doutes et stress, vraiment une sorte d’épreuve… amazing ! Je connais bien ce genre de moments et je les aime. Mais là, je dois dire qu’il y a eu quelques passages de dépressions furtives, de perte de sens et que des doutes.
J’ai également commencé à écrire des trucs pour un projet très intéressant avec une société de cinéma pour 3 documentaires X 52′ intitulés STRUGGLE(S). J’ai réalisé aussi quelques travaux/essais pour l’ami Bernard Lavilliers. Et surtout je commence enfin à plonger mon nez sur les 60 chansons que j’ai écrites sur les 3 dernières années et qui feront le corps de trois albums à venir.
Je n’ai pas envie d’écrire sur la situation, ou alors de manière imagée. Ca ne m’intéresse pas trop. Je préfère évoquer le contexte dans lequel cela arrive qui est à priori un sursis de 25 ans au niveau climatique ainsi que mon amour pour la nature et mon désintérêt grandissant des poubelles urbaines. Ce monde est devenu invivable. Le capitalisme est une vielle acariâtre qui radote, elle porte une robe faite d’internet et d’un QI déficient… c’est une sentinelle, qui sépare (télétravail) qui tue (Monsanto, Bayer… et entre autres le COVID)

Est-ce que vous répétez à distance ?

Non, car il n’y a rien à répéter actuellement. Eiffel a été coupé dans sa tournée. Nous espérons que quelques dates seront possibles en automne ou en 2021 mais c’est du coup devenu totalement hors actualité. Les projets que je lance sont encore trop frais pour les répéter. Mais ça s’organise petit à petit. Il n’est pas évident de savoir quand les choses seront possibles.

Ton rapport avec les autres membres du groupe ?

J’ai plusieurs groupes. Enfin deux. Eiffel et mon groupe pour Romain Humeau.
On ne se parle pas tout le temps mais régulièrement et c’est toujours bon d’avoir ses poteaux au bout du fil. On sent la sidération. Cette situation révèle aussi les gens et les différences de points de vue. Ces différences peuvent être énormes. Ca surprend, ça enrichit et surtout ça change les êtres. Il y a du bon et du moins bon.

Tu angoisses de ne plus faire de live ?

J’angoisse de ne pas pouvoir jouer demain. Mais je n’angoisse pas du tout de pouvoir jouer après-demain. Quand bien même cet après-demain puisse être dans un an… je ne sais pas. Ma plus forte angoisse c’est que pour tourner, il faut un tourneur… Et dans ceux qui arriveront à passer le moment, il en aura-t-il encore capable de miser sur de la musique faite par des musiciens ???? On en est là.

Une autre angoisse pour moi et mes proches c’est que les problèmes que nous avions avant (no money but a lot of work) s’amplifient au point que l’on doivent arrêter. La culture n’a pas été comprise par les gouvernements successifs ni par les médias comme ce truc vital indispensable à l’homme. L'”Entertainment” c’est substitué à l’art, la France est une grosse productrice de merdes mainstream qui nous sont proposées et par le service privé, mais aussi par le service public (notre argent) comme étant “la culture”.

C’est un des mensonges du capitalisme souvent proféré par des mecs soit-disant de gauche. Cela abaisse le degré de diversité, d’ouverture, de lien social, d’épaisseur et tout connement des QI.

Je n’ai plus rien à faire dans ce monde-là. Je fais tout pour ne pas le fréquenter. À commencer par la diminution de mes communications sur les réseaux sociaux qui sont des poubelles, et où finalement il n’y a pas de représentativités exhaustives des gens pour qui je fais de la musique. En somme, je pense que l’objet du désir à bien été ramoné jusqu’à plus soif. C’est du vide. Les gens veulent autre chose, il n’y a qu’à voir les sourires juste quand tu sors sur ton palier pour applaudir les soignants. Mes voisins et nous-mêmes sommes fous de joie de voir nos trognes. La vie, ça n’est que ça : les autres. On ne communique pas qu’avec les mots, mais avec nos corps, nos attitudes, avec l’odeur, le regard. Nous sommes des “nations cellulaires qui se fréquentent”. Un grand dadet devant une tablette numérique, pour moi c’est comme un aveugle construisant un château de cartes juste avant la brise. C’est anecdotique.

 

 

Ça te fait réfléchir différemment ? Est-ce que tu vois les choses sous un autre angle désormais ?

On est en difficulté et pour un bon bout de temps. Cela ne m’arrête pas. Je fais ce que j’avais prévu de faire, sortir le nouvel album et prévoir de tourner. Nous nous créons des cadres dont ont sait qu’ils seront mutants. À présent, c’est ON/OFF, il y a les personnes qui agiront en espérant que tout change et ceux qui attendrons que tout redevienne comme avant. Nous faisons partie des premiers.

J’étais assez pessimiste (en incluant une forme de positivisme désespéré)  juste avant la pandémie et je me rend compte à quel point cela ne change quasiment rien. Le Coronavirus, pour moi, c’est peut-être une porte ouverte sur un autre rapport au monde. Je sais que ça va être difficile. L’avenir n’était pas joyeux et cet évènement poinçonne, exalte le changement nécessaire désiré depuis si longtemps.

Je pense qu’il faudrait tout remettre à plat en foutant pas mal de choses en l’air, je ne le cache pas. En espérant et souhaitant la non-violence bien sûr, mais en comprenant qu’il puisse y avoir du “qui pique”.

 

 

T’as pas eu envie de tout lâcher ?

Pas plus en ce moment qu’à certaines périodes de ma vie. Et pour en avoir parlé avec pas mal de mes acolytes, je crois que ce sentiment d’être “en marge” de la culture telle qu’on la propose est très répandu.

Je pense que l’homme est un animal qui s’est étendu puis entassé pour finalement se casser la gueule. Avec cette arrogance ultime de se penser au dessus d’une autre espèce animale. Le ventre rebondi du technocrate ou du dealer de playlists n’est plus celui d’un animal alerte et svelte, il s’auto sample, se duplique et se vomit sans absolument plus rien créer. J’ai tendance à prendre ce moment comme une possible poche d’espoir et l’instant d’après tu penses par exemple, à Bernard Arnaud, Bolloré, Trump, Ruquier et Hanouna et tu te dis que ça va être compliqué si ce sont eux les ténors de l’Opéra.

L’industrie de la musique est paralysée, quels qu’en soit ses composants et quelle que soit la taille des acteurs qui la composent. Si Live Nation va certainement pouvoir s’en remettre, que va-t-il se passer au niveau des scènes locales et indés ? Tu penses que tout va repartir comme avant, petit à petit, ou au contraire il va falloir repenser certaines choses ?

Avant, je pensais qu’il fallait que ça change. Là, ça s’écroule (et je crois que certains s’imaginent mal de bruit que ça va faire). Eh bien la seule chose que je puisse espérer c’est que la reconstruction ne soit pas celle de “l’avant”. Live Nation, c’est le Monsanto de l’Entertainment. Tous ces modèles nous baladent comme une marchandise culturelle à consommer, c’est tout. Le plaisir et une forme de liberté viendraient tout simplement de leur disparition, de leur destruction. Le mal qu’ils font à la culture n’est pas mesurable.

Je n’ai pas d’idée de montage et reconstruction, ce n’est pas mon job, je ne fourni que la matière première. Je suis juste sûr d’une chose, la musique est un matériau noble apparu bien avant le langage parlé, et tout être humain en a besoin. Et ceux qui la fournissent ont besoin d’en vivre, en concert depuis la nuit des temps et en enregistrement depuis plus de cent ans. Comment se fait-il que nous, musiciens, artistes, auteurs-compositeurs, interprètes engraissions des gens qui ne font que “gérer” ce que l’on crée, et avec des salaires 3 ou 4 fois supérieurs aux nôtres ? Les auteurs de BD se sont plaints dans le même sens dernièrement, et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. Je sais qu’un jour les concerts redeviendront possibles. Mais cela ne règlera rien. Qui va régler le problème de spoliation des droits d’auteurs par les plateformes ? Qui va régler le problème de trop petits cachets pour des musiciens aguerris (pour ma part 117 € net pour un concert depuis 25 ans). Qui va régler le problème de la frilosité des programmateurs et ce au regard des tendances médiatiques dont on sait qu’elles sont devenus de véritables stratégies marketing ?

Si tu pouvais faire un vœu pour demain ?

Qu’un maximum de gens vivent pour les autres. Ça enlèverait quelques soucis.

Ta playlist confinement : 5 titres.

“African Night Flight”, David Bowie.

“It never entered in my mind”, Miles Davis.

“Les crayons”, Bourvil.

“My Step”, Little Dragon.

“Get out of the Internet”, Le Tigre.

 

Propos recueillis par Valérie Billard

 

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