Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

EIFFEL

Eiffel

Liberté perdue

Romain, Estelle, Nicolas et Nikko, les quatre membres d’Eiffel, sont au grand complet pour nous présenter leur nouvel opus Stupor Machine. Ce titre évocateur annonce la couleur. Sans être un album concept, il suit néanmoins une idée générale, celle d’une vision très pessimiste du futur proche inspiré directement de notre présent. Pour parvenir à rendre l’atmosphère souhaitée, le groupe explique comment les différents morceaux ont été pensés et travaillés.

L’impatience de repartir sur les routes est là. C’est la plus longue période entre deux albums d’Eiffel. Le précédent, Foule Monstre, date de 2012. La quarantaine aidant, leur regard sur la société s’est noirci. Les réseaux sociaux créent des comportements humains « déviants ». « La violence latente est omniprésente », disent-ils. Tous très occupés entre-temps sur des projets en parallèle, ils se retrouvent avec des interrogations et des préoccupations communes comme le souligne Estelle : « Le monde est anxiogène, c’est le sujet de l’album et c’est totalement cohérent par rapport aux discussions que nous avons ensemble. Même si parfois, notre interprétation peut être divergente, ce n’est jamais par rapport à la musique, ni à Eiffel. »

 

Eiffel

 

Stupor machine émane de l’écriture de l’album solo de Romain Humeau, Mousquetaire 2 et de la chanson “Nippon Cheese Cake” (Longueur d’Ondes N° 84). Romain y expérimente des choses différentes du point de vue des sons et de l’écriture. Le côté plus “rock” lui donne l’envie de revenir à Eiffel, « C’est l’album le plus violent que l’on ait jamais fait en terme de texte ». La plupart des morceaux sont vigoureux, même les plus calmes à « l’énergie rentrée et contenue ». Musicalement, ce sixième opus se veut plus félin, alerte, épique et pas si saturé, même s’il utilise les bases classiques du son rock : guitares, basse, batterie et voix. Les références musicales (Bowie, Brassens, Ferré, Barbara…) mais aussi cinématographiques et littéraires sont nombreuses. Son univers est empreint des thèmes classiques de l’anticipation (capitalisme, manipulation, complots, etc.) et rappelle celui de George Orwell. Il prend toute sa dimension avec des harmonies en lien avec le sens des textes, appuyés par des choix judicieux de mots signifiants, d’images frappantes, de références sulfureuses, de personnages ou héros de fiction, et d’une narration donnant un côté visuel aux chansons.

 

Eiffel

 

Les rythmes claquent dès la première chanson “Big Data”, avec de la batterie en intro. La montée en puissance culmine avec l’incroyable “Manchurian Candidate”*, inspirée du film de Franckenheimer*, puis juste après, une chanson d’amour, “Chasse Spleen”, comme une pause tendresse qui apaise, ainsi que pour “N’aie rien à craindre” qui se fait rassurante. Romain appelle ça « faire de gros traits autour de ce qu’il y a à dire, pour en exalter le sens. “Chasse Spleen” a plus de gueule quand il y a la CIA et les meurtres évoqués dans “Manchurian Candidate”, mais avec en plus l’idée en filigrane qu’il existe une technique globale, via le prisme des médias, de nous reprogrammer et nous faire consommer ». “Escampette” évoque l’envie de fuir ce monde « soi-disant civilisé ». Ce système ne permet plus à la majorité des artistes de vivre de leur métier, les considérant « comme une marque ou un simple produit vendu ou revendu ». Un sujet sensible au sein du groupe, prêt à se lancer dans la tournée avec la grande envie de retrouver le public, mais se sentant « mal à l’aise » avec l’idée de jouer dans de grands festivals dont la gestion capitaliste est aux antipodes de leurs valeurs. “Terminus” conclut le disque, inspiré de la chanson de Tom Waits, “Take a look at the world that you’re living”. Un opus certes très noir, mais excellent et intelligent. Romain avoue qu’il sera le dernier de ce style, n’ayant pas envie pour sa santé mentale de rester enfermé dans ces chansons, puisqu’il n’est question que d’une chose finalement : retrouver sa liberté.

 

Eiffel le film

 

En septembre 2019, au début de la tournée, sortira un film retraçant les 20 ans de carrière du groupe. L’originalité d’Eiffel est de toujours repartir de zéro. Leur trajet est ponctué de victoires et de défaites, mais depuis 1997, ils sont toujours là, intransigeants, sans compromis, fidèles à leur éthique. Cette longévité est due à l’obstination de leur leader charismatique Romain Humeau, maître d’œuvre laborieux à la créativité foisonnante, excessive, maladive, addictive. Sans jamais dévier de leur route, affinant encore et toujours la technique du “Do it yourself”, ils ont mis en route leur propre système pour rester libre face aux rouages de l’industrie du disque. Ce documentaire, réalisé par Éric Bougnon, retrace cette aventure humaine et artistique. Le DVD sera disponible avec une version de luxe constituée de nombreux bonus inédits. Une sortie en salle et en streaming est aussi prévue.

Manchurian Candidate*Manchurian Candidate (1962), film de Frankenheimer, est une adaptation du roman de Richard Condon (1960). Il aborde, au travers de l’histoire d’un héros de la guerre de Corée, les angoisses et les fantasmes inhérents à la période de la guerre froide. Notamment le recours à la drogue et à l’hypnose en vue de contrôler un individu, les suspicions de manipulation à grande échelle, la peur exacerbée du communiste, et évoque la possibilité de voir un sénateur alcoolique et stupide en passe d’accéder au pouvoir. Il dénonce aussi l’importance grandissante de la télé dans la communication politique et la récupération des peurs à des fins électorales. Le cinéaste Jonathan Demme en fit un remake en 2004.

 

VALÉRIE BILLARD
Photos : CAROLYN. C

>> Site de Eiffel

 

ARTICLES SIMILAIRES