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LA VAGUE

La Vague

Apprendre à penser plutôt que gober…

LES CONFINÉS DE LA MUSIQUE. ÉPISODE 30

Pendant cette période pour le moins troublée et troublante, Longueur d’Ondes fait le tour des artistes mais aussi professionnels des musiques amplifiées de l’espace francophone (cœur du magazine) afin de parler de la situation et de ses conséquences… Aujourd’hui : Thérèse Sayarath, la moitié du groupe La Vague…

Thérèse, électron libre et agité. La rencontre colorée et insaisissable entre la pluie et le beau temps. Artiste, styliste, modèle et militante, cette poupée-tigre tire en direction du ciel avec un gun pailleté à détentes multiples. Avec la foudroyante conviction d’avoir le droit de vivre mille vies en une. Elle est la moitié du groupe de rock La Vague aux côtés de Jonathan Granjon, gagnant du Zebrock 2018.

Comment vis-tu cette période ?

Étrangement bien. Je pensais que ce serait beaucoup plus dur pour moi, en tant qu’extravertie hyper-active et hyper-tactile… Et en fait, je crois qu’en moyenne, je vais même mieux qu’en temps normal.

Parce que je n’ai que mes propres émotions et pensées à gérer. Finalement, je me rends compte que « subir » le monde extérieur est assez éreintant et que je n’en avais jamais réellement pris conscience. Puis j’ai pas mal coupé avec les informations parce que c’est trop polluant. Je m’informe avec parcimonie et sur les éléments essentiels. Bon évidemment, j’ai moins de moments de déprime mais j’ai aussi moins de pics d’euphorie et de fous rires. Mais ce calme me va plutôt bien en ce moment, tant que ça reste temporaire. Je me rends compte aussi que mon extraversion m’a toujours poussée à « donner » beaucoup et qu’en réalité, préserver mon énergie vitale, c’est très précieux.
Je pensais tourner en rond dans mon 35 m2, privée de concerts, expos, ciné, restaus et autres sorties. Mais mon hyperactivité s’est tournée vers d’autres centres d’intérêts (activités artistiques à la maison, cuisine – encore plus que d’habitude –, podcasts à gogo…) Puis, j’ai le temps de me poser. De regarder le plafond. Réfléchir plus encore. Et m’adonner pleinement à la métacognition, sport mental que j’affectionne particulièrement.

Enfin, concernant la partie tactile, c’est ce qui a été pour moi le plus dur les deux premières semaines. Puis, j’ai trouvé des substituts mentaux, apprenant à toucher « l’autre » différemment, en faisant appel à la mémoire de mes sens. Ça développe d’autres sensations. C’est intéressant. Je m’y suis faite aussi. Évidemment, mes amis et ma famille me manquent. Mais on s’appelle. Plus et mieux. Et on se parle, on s’écoute, on échange. En profondeur. Je ne me sens pas seule. Bien moins que quand je courais dans mon quotidien de soirées mondaines en concerts. Je crois que ce confinement m’a donné un éclairage différent sur la notion de solitude. Concernant la libido, c’est un autre souci… Mais je m’accroche aussi au fait que ce soit temporaire. J’ai mis cette vitalité dans autre chose. Une chose dont je suis assez fière !

Finalement, de façon strictement personnelle, je vis ce confinement comme un cadeau. Tout le travail de déconstruction que j’ai entrepris sur moi ces dernières années m’a permis de devenir « ma meilleure » pote, me rendre compte que j’étais heureuse de la vie que j’avais choisie et que je continue de construire pierre par pierre. Aussi, ce confinement m’a offert ce qu’il y a de plus précieux dans ce monde où tout va trop vite : du temps. Je m’émerveille chaque jour de notre pouvoir de résilience, à nous, êtres humains. Évidemment, j’ai conscience en écrivant tout ça, que je vis un confinement de luxe : un toit sur la tête, de quoi manger, une bonne connexion internet, une cour pour prendre l’air, des voisins qui s’entraident, des proches en bonne santé et munis de téléphones…

Ceci étant dit, la fin du confinement approche et me pèse un peu. Je commence à sentir monter l’angoisse de « l’après ». Outre ma situation financière et sanitaire personnelle et celle de mes proches, j’ai peur de voir dans quel état on va retrouver le monde. J’ai peur que rien ne change dans la tête des gens. J’en cauchemarde pas mal en ce moment. Du coup, je discute beaucoup de la suite avec mes amis, ma famille, mes followers.

Ce qu’on vit là, ce virus qui se propage à la vitesse de la lumière et qui met le monde KO, c’était quelque chose de prévisible pour toi ?

Oui. Ce scénario était tellement prévisible qu’il y avait déjà mille films et bouquins qui en parlaient… Je n’avais pas d’idée sur la temporalité mais comme on dit, « la question n’est pas de savoir si ça va arriver, mais quand ça va arriver ». Je crois que l’humanité récolte simplement ce qu’elle sème et que c’est le sens de l’histoire. Même si parfois ça me fait fichtrement chier.

Pendant cette période, tu as continué à jouer et à composer, est-ce que ta musique a été changée/influencée par ce qui se passe dehors ?

Les deux premières semaines, je crois que je n’ai absolument rien fait de musical. Je n’y arrivais pas. Je n’en avais même pas envie. Je n’ai même pas essayé. Passé ma grande récré (aquarelle, autoportraits sur la thématique du confinement, cours de cuisine en direct pour faire marrer les gens etc.), j’ai eu l’idée de rebrancher mon clavier d’étudiante. Je me suis réconciliée avec en faisant quelques reprises. Ça m’a fait un bien fou. Je n’avais pas joué depuis tellement longtemps que j’avais l’impression d’être une débutante super douée (rires). Après ça, je me suis attelée à ma grosse bête noire : Ableton. Le logiciel était installé depuis un an et demi sur mon PC portable. Je ne l’avais jamais ouvert. Pour plein de raisons : manque de temps, peur de détester ça, peur de me rendre compte que je n’étais pas capable, peur de nourrir mon syndrome de l’imposteur… Puis j’ai commencé. Pour voir. En secret presque. Je m’étais promis de tenter de changer mon rapport au temps pendant le confinement. Résultat, j’ai composé 4 tracks que je trouve super (on verra ce qu’en disent les autres) et fait une collab avec un groupe électro. C’est rare pour moi de dire ce genre de choses, mais je crois que je me sens fière ! J’ai le sentiment d’apprendre à conduire (je précise que je n’ai pas le permis), d’être plus autonome. Ça a restauré une certaine estime de moi. C’est assez fort comme sentiment. Au-delà de ça, ça m’a même permis de redéfinir ma vision de ce qu’est un.e « artiste ». Simplement une personne qui offre sa vision du monde aux autres. Et que si la technique est un réel outil, c’est un outil qui vient étayer et servir ce propos. Pas l’inverse.

Et oui, ces nouvelles compos ont pas mal été influencées par ce qui se passe en ce moment. J’ai justement écrit une chanson sur une relation amoureuse à distance pendant le confinement (voilà comment on redirige sa libido…), j’ai écrit sur la nécessité de grossir les rangs pour se battre pour la liberté, j’ai écrit sur le racisme anti-asiatique et sur les relations toxiques. Tout ça a un lien avec le confinement, mais pas que. Ce sont des questions qui me traversaient depuis quelques mois déjà, mais que je n’avais pas encore transformé. Par manque de temps et de clarté d’esprit.

 

 

Ton rapport avec les autres membres du groupe ?

Assez réguliers. En vrai, on a pas mal de trucs à faire pour La Grande Party*. C’est cool qu’ils continuent de se bouger pour nous, pour que cet accompagnement puisse nous bénéficier même en temps de covid19. On a des ateliers sur Zoom, une reprise et un clip à faire, un morceau collaboratif, des interviews, des playlists, des takeovers. C’est plutôt marrant. Même si c’est pas toujours simple de bosser à distance. D’autant plus que John a une mauvaise connexion en Bretagne (rires).

Parfois c’est tendu, parfois on rigole. Comme dans la vraie vie en fait. Bien que j’ai le sentiment que le confinement exacerbe la sensibilité de chacun et qu’on n’a pas du tout la même façon de vivre les choses. Du coup, je pense qu’il nous arrive de ne pas retrouver les repères qu’on a l’habitude de trouver chez l’autre. Puis, y a des moments étranges. Comme une espèce de dissolution naturelle qui se crée du fait de la distance et du manque de perspectives.

*La Grande Party met à profit la phase de construction du Grand Paris pour faire émerger une nouvelle génération d’artistes issus de ses territoires, grâce au premier dispositif de repérage et d’accompagnement pensé à l’échelle de la métropole.

Est-ce que tes concerts ont été annulés ? Comment as-tu rebondi ? Comment envisages-tu tes prochains concerts ?

Oui, on a quasiment une dizaine de concerts qui ont été annulés. Sans compter ceux qui auraient pu être programmés, d’autant plus qu’on avait trouvé un tourneur juste avant le confinement… Mis à part les petites reprises personnelles postées sur les réseaux et le festival Stay Rock Stay Home, on n’a pas tellement « rebondi ». Pas mal de médias nous ont proposé de faire des lives… Qu’on n’a finalement pas acceptés parce que ça soulevait pas mal de questions : le temps et la quantité de travail (ça demande pas mal de boulot en vrai de tout réadapter, s’enregistrer, mixer, se filmer, monter des vidéos à distance etc.) versus la non-rémunération. Puis ça fait mal au cœur d’imaginer les gens écouter le son sur un téléphone ou un ordinateur (déformation professionnelle probablement). Je me suis dit qu’il était plus intéressant de mettre ce temps à profit pour composer, me cultiver, me reposer. Les prochains concerts… Bonne question. Pour le moment, notre prochain horizon c’est la Coucool mi-août. Si toutefois le festival était maintenu. Sinon, j’imagine faire des concerts en petit comité. Réinventer le live le temps de l’émergence d’un nouveau système.

Ça te fait réfléchir différemment ? Est-ce que tu vois les choses sous un autre angle désormais ?

Oui, complètement. En fait, j’ai du mal à me projeter dans un « retour à la normale ». Au fond, même si ce serait plus confortable, je ne pense pas que je le souhaite – du moins politiquement. Je pensais que l’industrie de la musique était un château de cartes. Je me suis trompée. C’est même pas un château, c’est une vieille cabane toute pourrie. Rien ne tient sur rien. Outre toute la filière qui souffre aujourd’hui – et j’en ai pleinement conscience – ce que je déplore le plus, c’est le sort des artistes (notamment en développement).

On vit uniquement sur des subventions (que ce soit l’intermittence ou les sous des labels, des éditeurs, des tourneurs etc.), nos carrières en dépendent. Les artistes qui sont censés être au cœur de cette industrie se trouvent plus précarisés que jamais. On n’est pas du tout organisés pour subsister. Ni seuls, ni en groupe. Je crois sincèrement que les artistes devraient apprendre à entreprendre encore plus et collectivement (on a du mal avec la notion de collectif en France je trouve, ça me titille d’autant plus que je viens d’une culture où le groupe est très fort), créer un cocon de force, type syndicats.

Je sais qu’on nous en demande déjà beaucoup aujourd’hui. Mais le fait de prendre en mains et gérer notre business permettrait de mettre l’industrie au service de l’art plutôt que l’inverse. Avoir un lien direct avec nos fans, des transactions en circuits courts, nous éviterait de « tout » attendre de l’État. Attention, je ne dis pas que l’État n’a pas pour rôle de soutenir la culture, au contraire ! Mais que de façon réaliste et pragmatique, dans le monde dans lequel on vit et au vu de ce qui se passe aujourd’hui, il ne faut pas s’attendre à ce que la cause des intermittents passe avant celle des soignants et encore moins celles des banques…

T’as pas eu envie de tout lâcher ?

Oh non, pas du tout. Au contraire. Ça remet l’art au centre du travail de l’artiste, je trouve. Dans une démarche presque plus pure. Ça m’a rappelé que je faisais de le musique pour me faire du bien, faire du bien aux autres, pour réfléchir, faire réfléchir les autres. Pas pour gagner des tremplins (rires). Et puis ça m’a aussi permis d’inventer des nouveaux moyens de communiquer et communier avec mon public. J’ai fait mes premiers directs, j’ai lancé une chaîne YouTube un peu au pif. Ce sont des espaces où l’on peut échanger différemment, prendre le temps de creuser les sujets avec des gens qui se reconnaissent en nous et dans lesquels on se reconnaît, mais aussi des gens qui pensent différemment, et ça c’est vraiment important. Après, évidemment que je suis inquiète…

Tu crois que tout cela aura un impact durable par la suite, est-ce que la prise de conscience sera suivie d’actes pour minimiser les risques futurs voire les anticiper, ou on reviendra dans le monde que l’on connait parce que l’argent plus fort que tout ?

C’est LA grande question. J’ai évidemment une partie de moi absolument pessimiste. Surtout quand je vois comment le gouvernement s’y prend. Je ne dis pas que ferai mieux, je n’y suis pas. Je dis juste que ce que je vois me déprime. Ça me déprime depuis longtemps et ça fait un long moment que j’ai arrêté de croire dans les institutions. Je ne comprends pas que nos dirigeants puissent être aussi cyniques. J’observe à quel point l’humanité est capable de se mettre des œillères par confort, flemme ou sentiment d’impuissance. J’ai mal quand je vois l’état policier œuvrer en toute impunité et maltraiter nos frères dans les quartiers. J’ai mal quand je vois tous les asiatiques en France se faire insulter et maltraiter à cause de la bêtise et des amalgames. J’ai peur quand je lis l’explosion des achats en ligne en cette période où on devrait tous se calmer.

Et d’un autre côté, je vois des choses qui se passent. Des gens qui parlent, qui se bougent qui réalisent qu’ils peuvent vivre avec moins et qui s’en réjouissent. Qui, même si c’est crevant, ils se rendent compte de la chance qu’ils ont de passer autant de temps avec leurs enfants. Je vois de la solidarité et de l’entraide. Je vois de l’amour, de l’espoir. Je m’accroche à ça. Je suis comme d’autres : je puise dans ce temps calme qui nous est offert pour chercher de la lumière, mais aussi des solutions. Je sonde mes proches, mes communautés sur les réseaux sociaux.
J’essaie de comprendre si cette situation jouera son rôle d’électrochoc pour celles et ceux que je qualifie de « semi-éveillés ». C’est-à-dire celles et ceux qui se posent des questions mais qui n’ont jamais franchi le pas de « switcher » par peur légitime de perdre un certain confort.

Je crois que pour changer une situation sociétale, le nombre est important. Encore plus que le nombre, les individus déterminants sont les classes moyennes éduquées et aisées. Car elles détiennent savoir, argent, pouvoir. Si une quantité suffisante de cette classe décide de se bouger pour le groupe, alors peut-être qu’il se passera réellement quelque chose. Je ne parle pas nécessairement de quitter leurs postes pour construire des fermes. Je pense que si ces personnes-là allouaient 2 h de cerveau de moins aux grands groupes pour les mettre dans l’éducation des jeunes, l’aide à la structuration des associations etc., cela aurait un impact immense sur la société. La question étant, sont-ils prêts ? Mon objectif essentiel à court et moyen terme, c’est ça : faire switcher légèrement ces gens et me consacrer à donner des armes à la jeunesse. Des outils pour apprendre à penser plutôt que gober. Faire, même un peu, plutôt que se plaindre. Avec mes petits moyens : la musique, la mode, le militantisme et n’importe quel outil qui me passera sous la main.

L’industrie de la musique est paralysée, penses-tu que tout va repartir comme avant, petit à petit, ou au contraire qu’il va falloir repenser certaines choses ?

Je pense qu’il est temps de tout repenser de fond en comble. Si c’est la merde, c’est aussi une aubaine pour enfin se poser les bonnes questions et tenter d’y répondre. Après, la culture étant la dernière roue du carrosse – si tant est qu’elle soit encore sous le carrosse – ça risque d’être vraiment très difficile. Mais je suis une optimiste. Je me dis que ça peut prendre du temps, mais que ce monde ne peut se passer « d’art » et/ou « d’art-entainment » – quoique les gouvernements souhaitent nous faire croire. La preuve, qu’est-ce qui a maintenu en vie la majorité des gens pendant que le monde était à l’arrêt ? La musique, les films, les séries, les livres etc. Serrons-nous les coudes. Discutons. Reconstruisons. Sur un long terme, si possible.

Si tu pouvais faire un vœu pour demain ?

Y a quelques jours, j’ai rêvé à voix haute et j’ai posté ce texte. Je te le recolle ici :

« Il était une fois, des vies que je m’inventais, pour pouvoir vivre plus… ou que j’avais vécues. Je ne sais plus.

Il était une fois, je vivais dans un monde où nous étions toutes princesses et toutes guerrières. Tous princes et tous guerriers. De la tolérance entre humains. Du respect du monde vivant.
Où on cueillait à mains nues des fruits gorgés de nectar sur des routes ensoleillées. Où ces saveurs nous remplissaient de gratitude. Car plus on respectait la nature, mieux encore elle nous gâtait de ses splendeurs.

Il était une fois où la nudité n’était ni tabou, ni révolutionnaire. Où les sexualités n’étaient pas diabolisées. Où on comprenait que la coquetterie pouvait avoir un sens philosophique. Où être tactile n’était pas être considéré comme facile. Où être gracile n’était pas être considéré comme fragile.

Il était une fois, un monde où se parler était simple. Où nos peurs étaient des indicateurs plus que des moteurs. Où le bonheur était un indicateur plus qu’un moteur. Il était une fois où l’école nous apprenait à nous aimer, soi-même et les uns les autres. Ou à ne pas s’aimer, mais à s’accepter. Sans haine, sans mépris. Il était un monde où personne ne se forçait à sourire, où personne ne se cachait pour pleurer.

Il était un peuple qui comprenait la trinité corps/cœur/esprit. Où rationnel et émotionnel rimaient parce qu’ils riment. Où le beau donnait la direction, où les chiffres étaient à son service.

Il sera une fois, un monde où les protagonistes aspireront à la liberté. En empruntant le chemin de l’amour. Universel et inconditionnel. »

Sauf que je ne crois pas au Père Noël. Du coup, il faut que j’y retourne, ça va pas se faire tout seul (rires).

Ta playlist confinement : 5 titres.

Coucou Chloé – Nobody

Nicolas Jaar – Mud

Lana Del Rey – Ride

PNL – A l’ammoniaque

Barbara – Dis, quand reviendras-tu ?

 

Propos recueillis par Julia Escudéro

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