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NICOLAS JULES

Chanteur aux semelles de vent

Avec ses cravates à pois, ses vestons et ses cheveux blonds sur sa tête dressés, on le croirait tout juste tombé de la lune. Voilà pourtant trente ans qu’il va par les sentiers, comme un bohémien, foulant l’herbe menue et les scènes des bars quand il n’interprète pas ses chansons chez l’habitant. Hanté par l’esprit de Rimbaud, Nicolas Jules vit en aventurier et en poète. À ce jour, il a donné plus de deux mille concerts, et court encore.

Les fans de la première heure l’auront vu en première partie de Brigitte Fontaine ou d’Higelin. Son œuvre est à ranger sur la même étagère que la leur. Dans le paysage musical, il figure pourtant un  “vilain zèbre – un faux ami – un zarbe” (À la gomme). Ses textes sont exigeants, beaux, bizarres, surréalistes, toujours écrits au couteau pour ne garder que l’essentiel” (Douze oiseaux dans la forêt de pylônes électriques). Là où certains musiciens recherchent l’aspect lisse de la perfection, ce powête” autoproclamé donne à ses mélodies rock des aspérités volontaires. Ultime outrage, il fuit les trompettes de la renommée et la fortune. L’énergumène fonctionne sans maison de disques tout en assurant sa promotion avec un style unique. « Le Yéti est le dernier et le meilleur album de Nicolas Jules, selon Nicolas Jules» : ainsi débute et s’achève la dernière édition de sa newsletter. À sa lecture, on se marre en songeant que des drôles d’oiseaux dans son genre, il en faudrait davantage. « Je me sens complètement étranger à l’univers de l’industrie musicale, admet-il. Je pense qu’il y a des gens qui courent après un besoin de reconnaissance. Sans doute qu’ils n’existent pas assez fort. Il y a aussi ceux qui courent après l’argent. Je ne cours après rien de tout ça. Ce qui m’intéresse dans le fait d’être chanteur, c’est d’avoir la vie d’un manouche, d’un gitan, d’un aventurier. »

L’enfance de l’art

Dès l’enfance, Nicolas Jules manifeste des symptômes d’anarchisme. Le syndrome n’est pas héréditaire. Son père travaille au P.T.T. Sa mère est dactylo. Lui souhaiterait échapper au monde du travail, pouvoir toujours envisager l’existence sur le mode du jeu, cette activité que les enfants pratiquent de façon désintéressée et les adultes de manière souvent lucrative. « Avant la musique, j’ai fait du théâtre, du dessin, du judo. C’était des trompe-l’ennui, et puis une façon de jouer. La musique c’est pareil. C’est un jeu. Je prends ça comme un jeu. » L’année de sa majorité, le joueur assiste à la répétition d’un groupe de rock du doux nom de Mama Vaudou. Ses membres cherchent un chanteur et parolier. Lui-même a des textes plein les tiroirs. Il sait également donner de la voix lorsque l’occasion s’y prête ; une voix de basse, qui vibre, grésille et déraille parfois merveilleusement comme l’aiguille d’une platine sur un vinyle. « J’attrape le micro et je commence à chanter en yaourt. J’avais dix-huit ans à l’époque. Je n’ai jamais arrêté la musique depuis. » Quatre ans plus tard, il quitte les bancs de la faculté de lettres pour embrasser pleinement la chanson. Il a pour tous bagages ses vingt-deux ans et sa guitare. À force de s’entraîner à chatouiller les cordes comme son idole John Lee Hooker, il s’est familiarisé avec l’instrument. « On m’avait appris que tout ça, c’était un rêve. Faire de la musique, partir en tournée. Sauf que rêver ne m’intéressait pas. J’avais une envie de réel. Et puis je me suis rendu compte qu’on pouvait prendre un train, un camion, une voiture pour aller rencontrer des gens, chanter devant eux et revenir avec un billet de vingt balles. Ça, ce n’est pas un rêve. C’est la réalité. »

« Je cherche en moi pour créer

parce que je n’ai pas les moyens de faire autrement »

S’il sillonne l’Hexagone depuis trente ans pour y semer ses chansons, c’est en lui-même que Nicolas Jules a parcouru la plus grande distance. « Avec le temps, je me suis aperçu qu’il fallait que je cherche en moi pour créer parce que je n’ai pas les moyens de faire autrement. Il y a des gens géniaux qui n’en ont pas besoin. Dylan ou Rimbaud par exemple. Ils sont immenses. Soit on cherche à les égaler et on termine terrassé par leur grandeur, soit on laisse tomber les montagnes et on va chercher en soi-même son propre tas de cailloux. » Au contraire de la composition musicale, qui lui vient d’une manière instinctive, presque animale, l’écriture a pour ce grand anxieux quelque chose du travail de Sisyphe. « J’écris à partir d’un magma qui sort tout droit de mon inconscient. Je ne cherche pas à y mettre de l’ordre, parce que l’ordre, ça tue tout. Je fuis mon esprit logique. Je vais me promener seul dans les rues et je pars à la pêche aux chansons. J’essaie de voir ce qui s’agite le plus dans le magma… Je rentre presque toujours bredouille. » En trente ans, il a toutefois accumulé suffisamment de textes pour composer onze albums, sans compter un disque live et un autre en duo avec Le Banquet. « J’ai un style qui ne varie pas. Ce que j’ai écrit il y a dix ans, ce que j’écrirai demain, ça peut figurer dans n’importe quel disque. L’unité de l’album, je la trouve dans le son. »

Une vie rocambolesque

Pour Le Yéti, paru le 15 juillet dernier, Nicolas Jules a enregistré guitares et basse en solitaire avant de faire appel aux membres de son trio actuel, le violoniste Frédéric Jouhannet et le batteur Roland Bourbon avec qui il partage également l’affiche du groupe Bancal Chéri. « Roland a une espèce de grande boîte à outils dans laquelle il n’a qu’à piocher. Je me permets de lui suggérer des choses parce que je sais ce que je peux obtenir de lui. On est ami depuis vingt ans. C’est la personne qui me connaît le mieux sur Terre. Avec Frédéric, c’est autre chose. Il n’y a eu aucune discussion à propos de comment faire. Il a pris un violon qui traînait là. Il avait écouté tous mes morceaux, il les connaissait par cœur. Il s’est mis à improviser. Et c’était génial. » Certains morceaux du Yéti ont la particularité de se passer de mots. L’on y emprunte des chemins de traverse où seule la musique, dont les accents évoquent une bande originale de western, figure les pensées et les sentiments. « Les morceaux instrumentaux de l’album sont antérieurs aux chansons. J’en compose de temps en temps. J’attrape des sons qui me plaisent. Je ne suis pas du genre à me poser à une table comme un compositeur. Je fais ça en nomade. Mettons, je débarque chez quelqu’un. Il y a un clavier dont j’adore le son. Je n’aurai pas l’occasion de rencontrer l’instrument deux fois. Si j’ai de quoi, j’enregistre. » Une question demeure. Pourquoi s’être emparé avec cet album de la figure du Yéti ? « Enfant, j’étais assez fasciné par les monstres de Jules Vernes ou par Moby Dick, mais en fin de compte ce ne sont pas les bêtes fabuleuses qui m’intéressent. C’est l’être humain qui cherche. J’aime beaucoup l’idée qu’il y ait des gens prêts à partir pendant des années à la recherche du monstre du Loch Ness ou du Yéti. » Et lui, que cherche-t-il ? La poésie, comme Rimbaud. Et l’aventure. « Mes amis diront que j’ai une vie rocambolesque. Moi je répondrai que non. Quoi que… Ce soir, je dors dans une cabane au bord d’une rivière. Demain j’irai au bistrot en barque. »

Le Yéti

Onzième album aux accents western où mythes et contes côtoient les éléments de la modernité. Évoluant dans le sillage d’Apollinaire et Gainsbourg, Nicolas Jules aime s’emparer avec ses textes des éléments du monde moderne. En la matière, il procède avec dérision, n’hésitant pas lorsqu’il chante l’amour à marier une Bétonneuse et une métaphore rimbaldienne. Depuis le début de la crise sanitaire, son goût pour la modernité paraît toutefois avoir tourné à la haine. Serait-ce à force de voir tourner ses pensées dans la machine à laver (Lavomatic) ? Toujours est-il qu’en ouverture du Yéti, le voilà qui se métamorphose en créature de mythe et fuit la ville après avoir scandé : « Mort aux photocopieuses ». Derrière la nature cocasse de cette formule un brin surréaliste se dissimule un appel à la désobéissance, principe cher au blond poète. Confinement ou non, semble-t-il nous dire, on ne saurait se contenter de la duplication des jours, des pensées, des sentiments. Et de nous inviter entre deux airs de western à déplacer notre cœur comme on déplace une montagne (L’aventure). Comment mouvoir son cœur, cependant, quand une ogresse en princesse de contes grimée nous l’a dévoré à belles dents (Pays de cendre) ? La question demeure, posée par un yéti pleurant le souvenir d’un amour consommé. De cette mésaventure résulte un album à nul autre pareil, qui nous fait scander à notre tour : « Mort aux photocopieuses ».

Pour acheter le dernier disque de Nicolas Jules, rendez-vous sur son site internet.

Salomée Tafforeau

Photos Marylène Eytier

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