Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

SHEWOLF

Louves story

Shewolf
3 ans ont passé depuis la sortie de leur premier LP, Sorry, not sorry, et Alice, Marie-Claude et Fanny n’ont rien perdu de leur fougue, bien au contraire. Retranchées au fin fond du Perche, les 3 musiciennes ont pris le temps de continuer leur exploration de la nature humaine, entre fascination et méfiance, et surtout, de donner vie à un superbe deuxième album.

L’ALBUM

Parasite (Tadam Records)

On ne change pas une équipe qui gagne, aussi les musiciennes reviennent plus décidées que jamais avec 9 titres dans la plus pure tradition grunge et alternative – Nirvana, Hole, Pearl Jam, Bikini Kill – où le son est d’autant plus sale en apparence qu’il cache une habileté à dégainer des mélodies imparables sur 3 accords (“Parasite”, “Pages”) ainsi que les arpèges à fondre de plaisir (“Burnt”). L’ensemble est du niveau des meilleures productions de la scène d’alors de Seattle aussi bien qu’à certains moments on se plait à penser que l’on est en présence d’inédits de In Utero. Tantôt en anglais, tantôt en français, le trio dénonce les dérives, injustices et autres maux de la société avec un ton toujours étonnement juste qui ne sombre jamais dans la revendication même si la sourde révolte qui les anime peut s’entendre – et surtout résonne – à chaque note. Un disque que l’on écoute en boucle tant il fait un bien fou par l’énergie qu’il dégage et qui donne envie de venir danser avec ces louves.

L’ENTREVUE

Bonjour SheWolf. Qui êtes-vous ?

Alice : « Trois meufs qui se sont trouvées au bon moment, au bon endroit 🙂 Nos parcours sont faits de voyages, de problèmes de papa, de rock à la rescousse d’une adolescence difficile, d’études supérieures… convergeant vers LA décision de tout lâcher pour la musique. »

Comment vous êtes-vous rencontrées ?

Alice : « Quand j’ai décidé de former un groupe, à 25 ans, j’ai passé une annonce sur le Net. MC a répondu à l’appel. Je savais à peine jouer de la guitare électrique et chanter (j’avais une formation de saxophoniste… hum), MC débutait à la batterie (c’était son rêve de gosse) mais elle avait déjà fait son trou dans la musique à la guitare, au chant, à la clarinette. Fanny, elle, apprivoisait la basse. Elle était notre camerawoman en chef avant d’intégrer le groupe. Notre passion, mais aussi nos valeurs et nos caractères de “relou” jusqu’au-boutistes nous ont réunis, tenus ensemble et même fait déménager dans le même village au cœur de la campagne percheronne ensemble. Nous y avons établi notre home studio, et intensifié le travail. »
MC : « Pour ma part, c’était un peu un malentendu dû à une alcoolisation un peu poussée… Je me suis dis, je ne sais pas jouer de la batterie, mais je postule quand même ! »

En 2018 vous sortiez un premier album, Sorry, not sorry qui vous a amené sur les routes, notamment en ouvrant pour les No One Is Innocent. Quels souvenirs vous gardez de cette tournée ? Est-ce que vous avez été surprises par l’accueil du public ?

Alice : « Tournée totalement D.I.Y, du booking jusqu’aux hébergements chez les potes ! On a joué dans pleins de lieux différents, rencontré pleins de gens différents qui ont aimé notre groupe pour des raisons différentes. Ce que j’ai adoré, ce sont les réactions positives de gens qui ne sont pas initiés à la musique que l’on propose. Je n’ai rien contre l’amour “nostalgique” (« Top les filles, vous nous rappelez nos chères 90s ») mais ça me rassure et m’enchante de voir que cette vibe puisse toucher les gens pour ce qu’elle est, qu’elle reste intemporelle. »

MC : « Les rencontres ! Quand on organise une tournée en mode indé/alterno/pas de thune, on a besoin de tous ces gens passionnés qui organisent des concerts pour l’amour de l’art et non du fric. »

Parasite, votre deuxième album (sans compter le premier EP), sort le 11 juin. Vous l’avez enregistré dans quelles conditions ? Dans le Perche en mode DIY ou est-ce que, pour reprendre l’une de vos expressions, vous êtes à cette occasion « sorties du bois » ?
Alice : « D.I.Y + confinement = on s’est encore davantage enfoncées dans le bois… mais on en est ressorties avec notre Graal ! On a vraiment pris notre temps sur cet album et on a tout enregistré “live” (sauf les voix). C’est MC qui a géré la prise de son et le mix. »
MC: « Oui j’ai enregistré et mixé l’album dans notre home studio. Avec le temps, c’est devenu un sacré bon studio qui sonne mine de rien. On l’a appelé Trash Palace Studio car au début, il ressemblait plus à un placard à balais qu’à un studio. Le choix du mixage a été une étape importante et nous a pris pas mal de temps. On ne voulait pas que je mixe parce que je fais partie du groupe mais bien parce que ça correspondait vraiment à notre son.  Du coup, on a fait mixer notre single “Parasite” par des pointures de la scène 90e tel que Brad Wood (Placebo), Wharton Thiers (Sonic Youth) ou Paul Kolderie (Pixies, Radiohead, Hole) et ils nous ont fait de très bons retours sur notre musique et notre façon d’enregistrer. Au final, ma façon de mixer correspondait plus à ce que l’on voulait pour cet album. Mais les échanges que j’ai eus avec eux étaient vraiment enrichissants et m’ont apporté une grande confiance en moi (éternel problème féminin !). »

Vous le décrivez comme un disque poétique et politique… On peut difficilement faire plus paradoxal que d’assembler ces deux mots, non ?

Alice : « La vocation première du politique est de faire respecter les valeurs morales les plus naturellement partagées (l’empathie, la bienveillance) au moyen du droit positif, des lois. Il s’agit de renoncer volontairement à certaines de ses libertés au nom de la justice, de l’égalité et de la paix sociale. Moi je trouve ça beau. Ne confondons pas le droit et le fait. Le problème c’est qu’avec cette démocratie représentative teintée de capitalisme, on assiste à une façon de gouverner qui s’approche plus de la gestion que d’autre chose. Tout est politique, parce que tout a une dimension morale. Or la poésie n’est pas indifférente à la morale, elle n’est pas au-dessus du bien et du mal, elle est juste une manière d’exprimer sa sensibilité (et donc son empathie, son investissement dans le monde et les êtres qui le peuplent) dans une forme libre, la plus libre du monde. Il est vrai aussi que cet album est ambivalent : il exploite les images, la métaphore (“Parasite”) mais se montre aussi très ancré dans le réel, très “droit au but” (“Monster”), tant dans les paroles que la musique. C’est ça d’être deux à la compo (Rires). »
MC : « Oui on est deux à composer et pour ma part j’aime bien aller droit au but. Alice a une écriture plus poétique, métaphorique. C’est très enrichissant pour un groupe. »

Vous dites que vous êtes des artistes féministes, décroissantes et engagées. C’est important pour vous de le dire explicitement même si ça transparait dans les paroles de vos chansons ? Et comment ça se traduit-il au-delà de votre musique ?

Alice : « Et bien déjà, tout le monde ne comprend pas tout de suite les paroles (on s’exprime beaucoup en anglais). Et secundo, il paraît que l’on vit dans un monde de requins où personne n’a le temps de rien et dans lequel il faut pouvoir être identifié (catalogué ?) au premier coup d’œil. Cela se traduit par un mode de vie plutôt frugal, alternatif, à la campagne. Nous nous efforçons de nous contenter du nécessaire, évitons le salariat autant que possible, vivons en collectif, et tentons à notre échelle de structurer un réseau culturel underground qui défend certaines valeurs (auto-gestion, pratique intensive du prix libre, filières courtes, système D…) »

Parlons de votre musique, ancrée assez profondément dans le grunge, je ne pense pas que ça soit offense de vous dire qu’on reconnaît assez distinctement dans vos compositions le son de Seattle, Nirvana et Pearl Jam en tête. Vous avez toutes les 3 les mêmes influences musicales, les mêmes goûts ? Est-ce que vous vous nourrissez des sons que les autres vous font découvrir ?

Alice : « La seule chose qui m’offense c’est que tu cites Pearl Jam et Nirvana et pas Hole, les Breeders, PJ Harvey… non pas parce qu’elles sont des femmes comme nous, mais parce qu’elles ont autant voire davantage contribué à l’émergence et la définition du mouvement grunge et qu’elles en sont de dignes représentantes (Courtney Love est la meilleure screameuse et la meilleure parolière de toute cette scène selon moi). Perso, mes influences majeures sont donc Hole et Nirvana. Donc maintenant ça suffit Xavier !!!  (Rires) MC m’a fait découvrir l’indus et m’a fait adorer Trent Reznor. Fanny a la danse dans la peau et elle sait trouver les meilleurs sons pour bouger son body. C’est son ouverture que j’admire, son goût de l’aventure, sa capacité à sauter dans l’inconnu pour un projet et non seulement à s’y adapter, mais à aimer le truc et à y apporter sa patte avec pertinence et goût. »
MC : «  J’avoue n’avoir jamais vraiment écouté de grunge avant de rencontrer Alice. Pire en tant que batteuse, je ne connaissais même pas Dave Grohl… aïe. Bon je me suis rattrapée maintenant. Moi mon truc, c’était plutôt le rock indus, NIN, Machine Head, Manson ou alors du rock tel Placebo, Muse, PJ Harvey ou Portishead. Et puis Bjork, énorme modèle pour moi. »

Ça vous parle le mouvement des Riot Grrrls, un courant féministe proche du grunge et de la scène alternative dans les 90’s avec des groupes comme L7 ? Ça vous inspire quoi, aujourd’hui 40 ans plus tard ?

Alice : « Ça me parle mais je ne m’y identifie pas, je ne suis pas une “riot girl”. Les riot girls mettaient la musique au service d’un combat, d’une cause. Même si nous avons un propos (qui ne se résume pas qu’au féminisme d’ailleurs), jouer de la musique est pour nous une fin en soi. C’est une expérience sensorielle (partagée) avant d’être un média. Ce que j’écris s’inspire beaucoup plus de groupes comme Nirvana que les L7, que je n’ai d’ailleurs jamais écoutées : les riffs et les mélodies de voix sont trop simplistes, trop “punk”, pas assez introspectifs à mon goût. La revendication sociale qui est la marque de fabrique de ce groupe impose parfois ce style d’ailleurs, c’est bien normal, ce n’est pas une critique. Mais je préfère quand c’est plus mélodique, plus torturé, plus subtil. Donc vive les riot girls, leur héritage est précieux, heureusement qu’elles sont passées par là et je ne cracherai jamais sur un concert à thème “riot girls”. Mais je n’en suis pas une, et je préfère qu’au stand de merch, on nous compare aux Breeders, à PJ Harvey, aux Pixies, à Sonic Youth ou à Hole qu’aux L7. C’est dit 🙂 »

Il faut la puissance du grunge et un son (faussement) sale pour faire passer les messages que vous voulez véhiculer ?  Ça ne marcherait pas aussi bien avec de la pop ou de l’électro?

Alice : « Si ! Mais qu’est-ce qu’on se ferait chier. Au passage, certains morceaux confinent à la pop sur l’album (“Nothing left to say”, “Pages”). Quand c’est crado on appelle ça de la “ugly pop”, tu le savais ? Et dans notre set live, figure-toi que l’on a désormais un “moment électro” servi par un magnifique Korg. Peur de rien ! »

Revenons à l’album, Parasite, dont le nom n’a pas été trouvé par hasard encore une fois. Il fait référence à tous ces organismes vivants (y compris des humains) qui squattent pour pomper les ressources de l’autre. Vous pensez à qui en particulier ?

Alice : « Les pervers, les narcissiques, les gens toxiques, malsains… mais pas que. Au fond, nous sommes tous le parasite de quelqu’un à un certain degré. Je pense plus à des dynamiques de parasitisme qu’à des individus qui seraient “le mal absolu”. Il y a aussi du parasitisme consenti, ça s’appelle l’entraide. Je pense aussi à tout ce qui nous détourne de nous-mêmes, de notre volonté, ce qui nous distrait, nous divertit, tout ce qui brouille nos ondes. Bien souvent, nous sommes nos plus grands parasites. On pompe nos propres ressources à force de ressasser les choses, de refuser de lâcher-prise, d’être en proie à l’égo, au doute perpétuel, à l’auto-sabotage… »

 Il y a quand même une note d’optimisme dans le sens où vous dites que certains parasites peuvent être bénéfiques in fine. Tout ne serait donc pas perdu ?

Alice : « Rien n’est jamais perdu, l’humain est résilient. Mais prendre, c’est aussi apprendre. Et inversement. »

Vos projets (tournées, promo…)

Alice : « Quelques festivals cet été, de belles dates françaises dès la rentrée, une tournée allemande en novembre. Toutes les infos sont sur notre site. Il nous reste quelques dates de libres… avis aux programmateurs qui souhaitent contribuer à bâtir une scène qui a un sens et un propos ! »

>>Site de SHEWOLF

XAVIER-ANTOINE MARTIN

Photos : CELINE SALIN

Clip “Parasite (live)” :

ARTICLES SIMILAIRES