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RODOLPHE BURGER

De la mine jaillit la lumière

17 ans après leur collaboration sur Before Bach, Rodolphe Burger et Erik Marchand (figure emblématique de la musique bretonne), sont retournés à la mine pour continuer leur œuvre commune. De ce voyage, ils ont ramené bien plus précieux que du métal : Glück Auf ! (“Bonne chance” – la devise des mineurs), un album aux mille facettes et qui, par le bonheur qu’il procure et le souffle de liberté qu’il dégage, vaut son pesant d’or.

LA CHRONIQUE
Glück Auf ! Dernière Bande / PIAS

Ceux qui aiment mettre la musique dans des cases – rock, pop, blues… – vont en être pour leurs frais car comme souvent le musicien n’a pas hésité à pousser le curseur de la liberté artistique au-delà des conventions, et peut-être ici encore plus loin qu’à son habitude. Alors qu’il avait dessiné les contours de son territoire à l’aide d’une carte sur la pochette de son précédent album, Environs, Rodolphe Burger nous emmène avec ce nouveau disque tantôt sur des contrées déjà explorées musicalement notamment à travers des reprises (“Glück Auf !” issu du standard “Moonshiner” interprété entre autres par Bob Dylan, “Eisbär” de Grauzone, “John Henry” de Woody Guthrie), tantôt sur des terres moins visitées et plus inattendues, comme l’Albanie (“La nuit albanaise”) ou la Turquie (“Kara Toprak”). Tout au long des pistes, les chants s’entremêlent dans une multitude de langues – de la Bretagne aux Balkans – créant un espéranto tellement naturel que chacun se plaira à comprendre ce qu’il a envie d’entendre. Les plaques tectoniques du rock et du folklore s’entrechoquent avant de parfaitement s’imbriquer l’une dans l’autre, provoquant l’expérience d’une exploration musicale que peu d’artistes se sont jusqu’alors risqués à tenter (“La mine”).

La présence et l’influence d’Erik Marchand, artiste et musicologue, ne sont certainement pas étrangères à cette réussite. C’est d’ailleurs le musicien breton qui ouvre le bal – à tout seigneur tout honneur – avec “Kazanova”, imposant d’emblée une voix qui semble tout droit sortie des fins fonds de la mine. Ce qui est au départ un chant traditionnel (“Ar Froudennou”) prend ici une toute autre dimension lorsque le oud de Mehdi Haddab et la gadulka (violon bulgare) de Pauline Willerval entrent dans la danse, travail parachevé par Rodolphe Burger qui vient poser délicatement des mots en français sur fond de guitare bluesy.

Comme c’en est quasiment devenu une marque de fabrique dans ses disques, la littérature est également représentée à travers un texte tiré de “Waste land” du sulfureux prix Nobel de littérature T.S. Eliot, magnifiquement mis en musique et chanté par Erik et Rodolphe. Ultime contrepied à ceux qui voudraient qu’un musicien dit traditionnel ne puisse pas s’approprier un morceau aux antipodes de ses racines, sur “Eisbär” de Grauzone, dernier titre de l’album, on est surpris et charmé d’entendre Erik Marchand scander en breton sur fond de boucles électro, de oud et de chant en allemand. L’alliage improbable des genres accouche ainsi d’une version aussi inattendue que magistrale – sans doute l’une des meilleures – du standard des frères Eicher. C’est bien là le secret de ce disque : amener les musiciens sur des terrains qui leur semblaient inaccessibles de sorte que tous participent à créer quelque chose d’unique. Au-delà de la musique, Glück Auf ! est une invitation à sortir de nos prés carrés, à vaincre nos peurs et à nous rapprocher de ce qui nous entoure : des autres cultures mais surtout de la culture des autres. C’est aussi en cela que ce disque est particulièrement précieux.

L’ENTRETIEN

Il y a un an, Longueur d’Ondes avait rencontré Rodolphe Burger à l’occasion de la sortie de son album Environs (voir magazine Longueur d’Ondes n°93). Nous avions alors évoqué la tournée qui devait suivre, mais comme on le sait la situation sanitaire en a décidé autrement. Le musicien prolixe n’est pas pour autant resté inactif et n’a rien perdu de son enthousiasme surtout lorsqu’il s’agit d’explorer de nouveaux territoires musicaux..

Comment avait commencé le projet Before Bach ?

Rodolphe Burger : « C’est lié à l’album Hôtel Robinson que j’ai fait avec Olivier Cadiot sur l’île de Batz, en Bretagne. Après ce disque que j’avais dans ma vallée natale autour de la langue welche [NdlR : album On n’est pas des indiens c’est dommage en 2000], je lui avais proposé d’en faire un second de la même manière, mais cette fois à l’île de Batz. “De la même manière”, cela veut dire que l’on s’immerge, on enregistre les habitants, on passe du temps ensemble, on se fait écouter des choses, on rêve le disque ensemble. Une fois le disque fait, on l’a joué au festival Panorama avant que l’on me propose dans la foulée de le jouer au théâtre de Morlaix, en 2002. J’ai eu alors l’idée de demander à ce que l’on invite des artistes bretons pour ce concert ; des artistes qui pourraient réagir à cet album et parmi lesquels il y avait Erik Marchand. Erik c’est le patron de la musique traditionnelle, un musicologue à la fois très ouvert mais aussi très exigeant, et de plus pas vraiment dans le rock. Je crois d’ailleurs qu’il ne connaissait pas Kat Onoma. Ce n’était pas gagné a priori, mais il a répondu favorablement. Je me souviens qu’il est arrivé avec son chapeau et a tout de suite déclaré : « Je ne connais rien à la musique harmonique, qu’est-ce que vous attendez de moi ? » Quant à moi, je ne connaissais rien à la musique modale. J’avais dans mon sampler une petite percussion afghane, ma première rencontre avec la musique modale ayant été avec un ensemble afghan, l’Ensemble Kaboul, avec qui j’avais fait un concert, intégralement en do#. Ce qui fait la diversité des morceaux avec ce type de musique ce sont les changements de modes et non d’harmonie. Aussi, quand j’ai fait écouter à Erik cette boucle, ça a commencé à l’inspirer et on a fait une sorte d’impro qui est d’ailleurs devenue un morceau, “Montroulez” (Morlaix en Breton). Ce concert a été incroyable, tous les gens étaient venus en bateau de l’île de Batz, et parmi eux il y avait ce soir-là Jacques Blanc qui était le directeur du Quartz à Brest. Jacques qui nous connaissait tous les deux était sidéré de nous voir côte à côte, Erik et moi : « Les gars, je vous commande une création, je veux plus qu’un morceau! ». C’est suite à cette commande que l’on s’est mis au projet qui a été enregistré dans mon studio à Sainte-Marie, même si ensuite la première s’est bien entendu faite au Quartz. Pour cela, Erik a eu la bonne idée de convier Mehdi Haddab qu’il connaissait, en pensant que c’était le parfait “go-between” puisqu’il avait la double culture – du rock et de la musique modale – pour établir le lien entre nous. Après ça s’est fait naturellement avec les musiciens du Meteor Band. On a décidé d’apporter chacun des idées, créant ainsi au final un répertoire commun fait de mes reprises mais également de choses venant de lui. Il était arrivé avec une valise pleine de cassettes, notamment du folklore grec du coté de l’Épire avec des rythmes très lents. Ça a été une très belle rencontre inattendue. »

Comment se fait la reconnexion avec Erik Marchand 17 ans après ?

« On obéit à ce désir que l’on a eu la dernière fois que l’on a joué ensemble à Langonnet au festival Musique du Monde il y a deux ans, c’est d’ailleurs là que j’ai entendu Pauline Willerval. On a fait un concert alors qu’on avait pas joué ensemble depuis longtemps. Les gens étaient fous, comme si la proposition était encore plus lisible, passait encore mieux. Les gens avaient envie de ça. On y avait joué Before Bach avec l’équipe Julien Perraudeau et Arnaud Dieterlen qui amenait peut-être déjà un autre son. Eux aussi étaient très motivés, on s’est donc donné rendez-vous. »

Entre-temps tu a sorti l’album Environs avec normalement une tournée à suivre…

« En fait, je n’aurai finalement pu faire qu’une seule date filmée dans la chapelle [NdlR : concert à la Chapelle Saint-Pierre-sur-l’Hâte en Alsace, en novembre dernier avec Sarah Murcia et Christophe Calpini]. Aussi, j’ai trouvé d’autres choses à faire : de l’enregistrement, des concerts à distance mais filmés. On se retrouve ainsi avec ce disque qui normalement était programmé pour après la tournée Environs. C’est un peu compliqué, ça crée une sorte d’embouteillage mais normalement on va pouvoir rejouer et ça c’est vraiment cool. »

Pourquoi ce titre Glück Auf ! ?

« Le thème m’est venu comme ça, avec bien entendu en plus cette coïncidence entre le village d’Erik et le mien au sujet des mines. En effet, quand il est venu en Alsace, Erik a découvert que les experts en extraction qui avaient inspecté les mines de son village de Poullaouen venaient de Sainte-Marie-aux-Mines ! « Glück Auf ! », c’est la devise des mineurs, pas seulement de Sainte-Marie mais de tous les mineurs. Quand on descend on espère trouver quelque chose et quand on trouve le filon c’est le jackpot, surtout dans les mines d’argent. Ça a été un mini fil rouge, qui a appelé le blues de “John Henry”, qui n’est pas mineur mais un travailleur qui lance un défi à la machine. C’est une figure typique du working-class hero. »

Clip “Glück Auf! (teaser)” :

On retrouve dans le disque ton attirance pour les Etats-Unis et particulièrement le far-west…

« Avec le thème de la mine forcément ! Là d’où je viens il y a un coté américain, western, avec une ville industrielle plantée en plein milieu d’une vallée. Il y a eu des gens venus de partout… »

Pourquoi le choix d’un texte de T.S. Elliot ?

« Elliot était déjà présent dans Good [NdlR : disque et film sortis en 2018]. J’étais tombé sur un de ses enregistrements où il lisait son propre texte. J’adorais son ton, sa voix et le morceau a été créé à partir de ça. Dans Good, j’étais d’ailleurs parti d’enregistrements d’écrivains comme celui-là. Ça m’a conduit à ce morceau à la structure un peu impaire. Je m’étais dit que ça pouvait séduire Erik Marchand. Il aime assez les mesures composées, et d’ailleurs j’y ai moi-même désormais pris goût, avec des quarts de ton et des rythmes en 5/7 et pas forcément toujours en 4/4. Le titre a totalement été revisité par rapport à la version de Good, très électronique. »

Autre titre qui évoque les USA : “Moonshiner” rebaptisé “C’est dans la vallée”

« C’est un morceau qu’on a beaucoup joué en live. Il est sur Valley Sessions et Meteor Show, passé à l’acide sulfurique ! Je l’avais proposé à Erik initialement mais il n’était pas à l’aise à l’époque à cause des changements d’accords notamment. Et puis on l’a joué ensemble en concert et on s’est dit qu’il fallait le mettre sur le disque. Il chante comme un rockeur dessus, c’est incroyable ! »

Il y a également des chansons issues des folklores turc et albanais…

« Le folklore turc, ça vient de Pauline. La chanson du folklore albanais, c’est une proposition d’Erik qui a l’oreille même pour les choses de la variété, il sait déceler lorsqu’il y a quelque chose. Quant à “Kara Toprak”, quand Pauline nous l’a chanté, ça a été saisissant ! »

Et il y a cette dernière chanson, que tu avais déjà reprise avec son auteur, Stephan Eicher, qui est “Eisbär” de Grauzone… Ça n’a pas dû être facîle d’amener Erik Marchand dessus !

« Là je te jure que c’est quelque chose ! On l’a joué à l’île de Batz ensemble, à un festival qui se déroule dans toutes les îles du Ponant durant lequel les gens se déplacent d’île en île. À chaque étape, ils sortaient leurs produits locaux et leur artiste local. Là, c’était le tour de l’île de Batz avec Burger en l’occurence. J’avais convié Erik Marchand et on a fait “Eisbär”. Tu aurais vu la tête des Bretons : « Quoi ! Erik Marchand il chante en allemand !?? » ce qui était complètement inconcevable pour eux. Ça me plait d’amener Erik à un endroit où on l’attend pas. Idem sur le blues de “John Henry”. Il ne voulait pas le faire parce qu’il avait l’idée qu’il ne pouvait pas aller sur certains terrains. Ce qui au passage est aussi vrai pour moi. Mais finalement on a réussi à l’amener non sans qu’il ait essayé de nous faire transposer le titre… Le résultat est là. »

Les concerts rendus à nouveau possibles, Rodolphe Burger reprend la route en septembre après quelques performances cet été (dont la reprise de l’album “Radioactivity” de Kraftwerk à Bordeaux ), alternant tournée Environs avec notamment une date en décembre à l’Olympia, salle qui a accueilli il y a 25 ans un concert inoubliable de Kat Onoma, concerts avec le Trio Mademoiselle, nouveau projet avec ses complices Mehdi Haddab et Sofiane Saïdi, et bien entendu dates durant lesquelles Glück Auf ! sera joué (voir dessous).

Tournée Glück Auf !

16 septembre 2021 : La Passerelle – Saint-Brieuc (22)
3 octobre 2021 : Festival C’est Dans la Vallée – Sainte-Marie-aux-Mines (68)
4 mars 2022 : Centre Culturel J. Gagnant – Limoges (87)
23 mars 2022 : Paul B. – Massy (91)
25 mars 2022 : Centre Culturel Le Dôme – Saint-Avé (56)
26 mars 2022 : Le Sémaphore – Trébeurden (22)

Xavier-Antoine Martin
Photos : Richard Dumas

>>Site web de Rodolphe Burger.

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