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FRANCE DE GRIESSEN

France de Griessen © Christophe Crénel

Troisième album de France de Griessen, Orpheon, entre folk spatial et sincère invitation au voyage, canalise le punk pour mieux dépeindre, avec lucidité et distance, l’époque contemporaine. Et revendique l’importance du support physique sous la forme d’un livre-disque.

Saint Sebastien, le précédent album de la musicienne, remonte à 2014. Si France a depuis donné de nombreux concerts, cette nouvelle production se faisait attendre. Besoin de se ressourcer pour y exprimer des thèmes et des pensées nécessaires ? « J’ai été gravement malade », explique-t-elle. « Ce qui m’a forcé à interrompre pendant certaines périodes la plupart de mes activités. Cet isolement forcé s’est avéré par certains aspects bénéfique pour moi qui avais toujours eu du mal, depuis ma plus tendre enfance, à me sentir « faisant partie du monde », et qui ai longtemps cherché à m’y raccrocher par toutes sortes de moyens allant de l’autodestruction à l’amour. Paradoxalement, c’est quand je me suis retrouvée par la force des choses dans un rapport plus distant au monde que j’ai pu mieux parvenir à exister d’une manière qui me convienne. Et comme dans mon cas la personne et l’artiste ne sont qu’une, cela m’a apporté des choses différentes à exprimer et à partager. Ce qui m’amène à la deuxième raison : le besoin de vivre pour créer. » Une présence-absence au monde qui permet à Orpheon, entre chatoiements et songes éveillés, d’entraîner l’auditeur dans un univers pas très loin du magique, de l’incantation humaniste. Sans doute parce qu’il s’adjoint aux sonorités, des propositions d’images, de dessins et d’aquarelles. Il s’agit effectivement d’un magnifique livre-disque, pas loin d’un objet d’art.

Est-ce un hasard si, à l’automne dernier, France publiait son premier livre, Fleurs de Paris, ouvrage à base d’aquarelles et de photographies consacrées au métier de fleuriste ? « Le livre s’est révélé être un support convenant très bien à ma nature d’artiste pluridisciplinaire et à des choses que j’aime profondément, comme le fait d’entrer dans une librairie sans idée préconçue. Ce rapport s’est presque complètement perdu avec les disques, à l’exception de quelques magasins et disquaires passionnés qui continuent d’attirer une clientèle mélomane. D’où la question du virtuel… Sortir un disque en digital ne me procure aucune émotion, même si ma musique est aussi disponible sur Bandcamp. J’aime la sensualité d’un beau papier, la douceur veloutée d’un carton mat, le fait de pouvoir déposer un objet que l’on aime à portée des yeux chez soi. Si je me trouvais dans une position où je ne pourrais pas partager mon travail sous la forme d’une expérience qui ait du sens pour moi, je préférerais alors jouer pour ceux que j’aime, pour mes chats et pour les oiseaux de mon jardin, ou bien faire uniquement du live. » Pour France, un disque est donc une proposition parfois réfractaire au speed actuel : « Je pense que nous vivons une époque étrange où la notion d’expérience disparaît au profit de tout ce qui est immédiat, dématérialisé, consommable et jetable… jusqu’à l’être humain… et ce pour le profit. Je ne vois pas du tout cette utilisation de la technologie comme un progrès pour l’humanité. »

Orpheon fut enregistré à L.A. avec le producteur Jamie Candiloro (R.E.M., Courtney Love) : « Quand j’ai eu la vision de cet album comme une association de guitare acoustique et de percussions utilisées comme instruments rock, je lui ai tout de suite envoyé des démos… J’ai enregistré l’album en deux fois, une première série de titres pour tester notre entente artistique – vu qu’il n’y avait que lui et moi en studio, c’était primordial ! –, puis les autres titres plus tard, la première session ayant été plus que concluante. Dès le début, il m’a parlé de “mettre en scène les morceaux” ensemble. Cette manière d’envisager le travail, d’exprimer verbalement ce que nous allions faire, m’a confirmé la pertinence de cette collaboration. »

Road-trip mutant car échappant aux étiquettes, ce nouvel opus se présente néanmoins comme du “wild folk”. France : « Après un concert, une artiste qui s’appelle Fleur Offwood a utilisé ces termes pour parler de ma prestation et mes chansons. J’ai trouvé ça très beau, et c’est sacrément important, une formule qui claque, comme un beau costume ou une robe élégante. Alors j’ai gardé ! Le terme “wild” c’est aussi parce que je crois que ça me décrit bien, étant très connectée à la nature, au monde sauvage, à la transe, aux choses venues de très loin que l’on ne peut pas enfermer. » À ce sujet, la jeune femme, végane depuis des années, précise en souriant que la fourrure qu’elle porte sur les photos est bien entendu totalement fausse !

 

Ciné-rock

Le cinéma enrobe les compositions de France. Un titre de son album se réfère explicitement au Only lovers left alive de Jarmusch, mais c’est bel et bien à David Lynch que renvoie, depuis toujours, l’univers “strange world” de la musicienne : « C’est un cinéaste qui ne cherche pas à expliquer mais emmène le spectateur dans des climats troubles dont il parvient à exprimer une beauté extraordinaire. Ses héroïnes ne sont jamais ordinaires et toujours très sexy. Je trouve qu’on est dans une époque beaucoup trop prude, trop propre ; or l’attrait initial du rock est aussi lié à l’animalité, et pour moi cette animalité passe par la sensualité. »

 

Texte : Jean Thooris

Photo : Christophe Crénel

 

Orpheon / AAM Editions

 

>> Site de France de Griessen

 

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