Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

HUBERT-FÉLIX THIÉFAINE

Soleil cherche toujours futur

À 74 ans, l’artiste jurassien revient avec Géographie du vide, un dix-huitième opus empreint de mélancolie et aux sonorités plus électroniques. Les mélodies sont entêtantes, les textes percutants souvent sombres, labyrinthiques, d’une beauté bouleversante.

 

 

L’écriture de Géographie du vide débute vers 2015/2016, avant même qu’Hubert-Félix ne fête ses 40 ans de carrière à l’automne 2018, avec 12 concerts exceptionnels immortalisés par un album live : « J’ai commencé par une page blanche qui n’en finissait pas, non par manque d’inspiration, ni d’envie d’écrire. J’avais un blocage pour deux raisons. Symboliquement, j’avais envisagé sérieusement, après avoir chanté dans mon premier album que le fou chante 17 fois, que le travail était fini pour moi [NdlR : dans “Le chant du Fou” de l’album Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir, en 1978 qui dit que « Le fou a chanté 17 fois puis il est mort de désespoir »]. L’autre raison était que je sentais quelles allaient être les parties obsessionnelles, à savoir que j’allais sans doute utiliser la tristesse. Puis un jour j’ai réalisé que l’on pouvait remplacer le mot tristesse par mélancolie. Ça ouvrait les choses différemment et j’ai pu entrer dans l’écriture, d’autant plus que Lucas aime ce mot, souvent il en parle avec ostentation en ce qui concerne certaines musiques. »

Lucas, c’est son fils, dont on le sent très fier. Il participe de façon majeure à ce nouvel album, prolongeant ce qui avait été entamé dans Stratégie de l’inespoir, le dix-septième album écrit sept ans auparavant et pour lequel il était co-réalisateur et guitariste. Cette fois-ci, l’implication est plus importante : réalisateur, compositeur et co-arrangeur, il apporte ces sons synthétiques qui donnent une touche de pop moderne.

À l’origine de la pochette, il y a le clip du premier single “Page noire”, réalisé par Yann Orhan. Les images marquent par leur dépouillement saisissant : un fond bleu turquoise totalement vide, presque irréel, des débris venant reconstituer une stèle fissurée à l’effigie du buste de Thiéfaine pleurant des larmes noires et qui explose à la fin de la vidéo. Coïncidence ou pas, “Le chant du Fou” se termine par ces paroles : « Et ta tête tombe de son socle de rêves ». Le texte contraste avec l’allégorie de l’image par sa richesse. D’une grande beauté, il sidère, simplement avec ces quelques mots « Nous n’avons plus le temps d’imaginer le pire », lourds de sous-entendus.

Hubert-Félix Thiéfaine, son entrevue sur Longueur d’Ondes

 

Les thèmes flirtent souvent avec le désespoir, ils questionnent sur notre monde, sur son hypocrisie, sur cette technologie qui a envahi la société, éloigne et asservit les hommes, sur ce monde où l’on ne prend plus le temps de réfléchir et où tout va si vite : « On vit dans un monde vide de sens, vide de fraternité d’amour, vide d’intelligence, vide de poésie, c’est un monde aride. ». Dans la chanson “La fin du Roman”, la dépendance aux écrans est clairement évoquée et met en évidence l’emprisonnement, thème souvent sous-jacent, et dans lequel elle maintient « Dis-moi comment sortir des écrans, s’enfuir du présent, changer d’océan… »

Souvent considéré comme un visionnaire dans son écriture (notamment avec “Alligator 427” qui parlait des dangers du nucléaire bien avant les incidents de Tchernobyl), Hubert-Félix a toujours préféré porter son regard vers le futur, là où tout peut s’imaginer. Pour lui, rien à voir avec des visions, c’est affaire de sensibilité et d’intuition de l’artiste, mais il reconnaît avoir un petit côté auteur de science-fiction. Il n’a cependant jamais été à l’aise dans son présent, que ce soit dans celui des années 60, où la société se tournait vers le confort et le capitalisme, et encore moins avec son présent actuel dont il essaye de prendre ses distances, loin aussi des réseaux sociaux qui avilissent les relations humaines « Le présent est pire aujourd’hui avec Internet qui permet l’anonymat, c’est une chose abominable, je trouve qu’il y a une ambiance un peu des années 40 avec cette histoire de gens qui dénoncent d’autres gens et qui balancent des fausses nouvelles, tout devient faux, c’est la pire des choses que de vivre dans le mensonge. »

Dans le prolongement de Stratégie de l’inespoir, il poursuit sur le chemin avec Géographie du vide, tout en gardant une forme de mélancolie pour adoucir la dureté du constat : « Je pensais que l’inespoir permettait d’échapper à l’espoir trompeur par ses promesses, et au désespoir amenant tourment et tristesse, par le fait que c’était un endroit où on pouvait prendre du recul. Dans Géographie du vide je parle du désespoir mais je sous-entends que l’on peut essayer d’arriver à vivre un peu mieux dans celui-ci, en appliquant justement les formulations que j’avais apportées à l’inespoir, c’est-à-dire en restant calme, en dédramatisant et en essayant de respirer normalement pour vivre le quotidien. »

 

 

Sa singularité est de réussir à rendre belle la noirceur du monde de façon poétique, par les mélodies et des textes dont les mots qu’il utilise, propres à son style unique, ont une résonance dans les esprits du fait de leur sonorité ou leur signification. Son écriture recèle des références multiples : peintres, auteurs littéraires, compositeurs, autant de détails qui surgissent au détour d’une phrase et qui emmènent sur d’autres chemins : « J’aime utiliser l’inconscient collectif, faire remonter les choses de l’inconscient, c’est important de savoir ce qu’on a au fond de nous-mêmes, même si ça fait peur parfois. À partir du moment où on a conscience du vide, on va essayer de lutter contre, c’est déjà un moyen de reconstruction quelque part… »

Cet artiste parfois torturé à la trajectoire si particulière a réussi à remplir des salles sans être médiatisé pendant plus de 30 ans, avec un seul désir : partager ses chansons avec son public, vivre ces instants avec eux, sans intention de changer le monde ou d’être un porte-parole : « On disait que je voulais prendre le pouvoir quand je commençais à remplir les salles, ça m’a blessé, j’ai dû m’arrêter pour réfléchir et comprendre ce que c’était que cette histoire de pouvoir dont on me rendait coupable. En sortant un peu du jeu comme au temps où on allait au milieu du désert pour méditer, je me suis aperçu que mon pouvoir, c’est simplement celui de donner du plaisir aux autres chaque fois que je monte sur une scène, ils chantent avec moi, ils sont heureux et ça dure 2 heures… »

Le rendez-vous est donc donné à partir de janvier 2022 pour une tournée “unplugged” prévue dans de plus petites salles pour plus d’intimité, suivie d’une “replugged” en janvier 2023 avec le retour des musiciens sur une grande scène !

>>Site

Entretien : VALÉRIE BILLARD

Photos de presse

 

Hubert-Félix Thiéfaine, son entrevue sur Longueur d’Ondes

Géographie du vide

Columbia France

Voici un album éclectique, où chaque morceau revêt un air différent, mariant harmonies issues de la musique électronique avec divers styles : jazz, pop-rock, baroque… en contraste avec les textes sombres et graves. La première chanson, “Du soleil dans ma rue” ouvre le bal sur un air enjoué en totale opposition avec les paroles. Au centre des 12 morceaux, “Prière pour Ba’al Azabab” est le plus rythmé de tous, entouré par quelques ballades mélancoliques ou romantiques comme “Fotheringhay 1587” et “Elle danse”. Puis, juste avant le dernier morceau, le bouleversant et émouvant “Combien de jours encore”. Un album différent par ses sonorités qui emmènent musicalement dans divers lieux.

 

 

ARTICLES SIMILAIRES