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EDITH NYLON

Retour vers le futur

C’est aujourd’hui seulement que l’on se rend compte à quel point ce groupe météore du début des eighties était précurseur. Tous les thèmes abordés dans ses titres de l’époque sont totalement dans l’actualité de 2021. Leur science-fiction a rejoint notre réalité ; et leur come-back 37 ans après leur séparation est le bon moment pour faire le point de leur vision de l’évolution de la société…

C’était il y a une éternité. 1977 ! Quelques lycéens de 17 et 19 ans se retrouvent autour de Mylène et Zako, frère et sœur, pour faire du punk-électro, précurseur des “jeunes gens modernes” qui allaient enfanter les Rita Mitsouko, Indochine ou Taxi Girl… Deux ans plus tard leur premier album éponyme se vend à 90 000 exemplaires ! Ils font une musique où les riffs de guitares rivalisent avec les claviers incisifs. Sur leurs mélodies synthétiques et tubesques ils abordent des thèmes “intellos” pour l’époque : les manipulations génétiques, l’immigration, le féminisme, la conquête de l’espace, le terrorisme, les dictatures… Qu’en est-il aujourd’hui ?

« Chaque semaine j’adresse des lettres, les appels sont rares et les retours absents. » “Mariage dernier délai” « Ne m’oubliez pas. Il me faut quelqu’un de spécial pour réussir ma vie. » “Attendez-moi” C’est vous qui avez inventé Meetic ?

Les garçons : (Rires) On aurait bien aimé !

Mylène : Effectivement à l’époque c’étaient des petites annonces, mais aujourd’hui ce sont des sites de rencontres avec la projection de soi idéalisé…

Eux : En fait y avait très peu de magazines sans ces petites annonces. Et aujourd’hui une des premières utilisations des médias sociaux, c’est pour les rencontres. Après le Minitel, la presse, c’est Internet qui relie les gens.

Elle : Et puis j’étais touchée par la solitude des gens qui n’arrivent pas à rencontrer quelqu’un ou former de couple. On a un autre texte qui s’appelle “Télégramme” qui parlait des hommes politiques envoyant leurs télégrammes quand il y a une catastrophe. Ce qui est marrant c’est que même si on remplaçait le mot « télégramme » par le mot « tweet » ça reviendrait au même ! Alors oui, effectivement, on abordait pas mal de choses de l’actualité à l’époque, mais ça n’a pas vraiment changé.

« Blondes, brunes ou rousses, nous attendons gentiment. » “Femmes sous cellophane” « Seins gonflés silicone, lèvres glacées de chrome, perruque de nylon, vagin inoxydable, je suis la femme bionique. » “Edith Nylon” Il était beaucoup question de féminité…

Elle : Alors oui ! On aborde aussi dans “Électroménager” la femme-objet à la maison, celle qui a toujours à l’esprit les enfants, les tâches ménagères ; celle qui n’est pas considérée comme une personne. On a abordé le sujet de l’inégalité des sexes dans beaucoup de nos chansons. Les choses se sont améliorées, mais c’est pas encore ça, même si on a fait des progrès.

Eux : Et il y a l’aspect physique : on demande aux femmes d’avoir une certaine “plastique”, et aujourd’hui c’est même pire qu’avant.

Elle : En effet la chirurgie esthétique commençait juste. Kim Kardashian n’existait pas, nous étions des précurseurs ! Quand on écrivait ces textes, c’était instinctif, on ne se projetait pas forcément dans le futur, même si on a beaucoup lu George Orwell !

 

« En rang serrés deux par deux, souriants et sans yeux, nous allons travailler, dirigés par neurtons. Chez nous pas de couleurs, évitons les erreurs. Nous sommes des enfants fécondés sans parents. Être unicellulaire suffit pour exister. » “Hydrostérile” OGM et clones un peu partout, vous étiez déjà un peu dans le futur…

Zako : La valeur du travail est la première valeur mise en lumière dans la science-fiction. On parle du travail comme d’une aliénation.

Elle : On parlait de fabrication des enfants, sans parents. À l’époque nous faisions tous des études scientifiques donc c’était un sujet qui nous intéressait énormément. Il y a cette dimension d’être automatique ; on se projetait dans une société future où nous allions tous être clonés, standardisés…

Eux : On arrive un peu à ça aujourd’hui, avec des métiers uberisés, bas de gamme, très précaires. Et de l’autre côté on a une autre partie de la population très éduquée qui fabrique des algorithmes. Et puis au milieu il y a toutes ces classes intermédiaires qui penchent soit d’un côté ou de l’autre. Les gens sont classés par castes d’une certaine manière. On se demande ce qu’on va faire de cette caste du milieu…

« Mohamed contre Jésus, Allah ou Akbar. » “La danse des poignards” « Je suis l’ennemi intérieur… Je rêve de semer la terreur pour obtenir ce que je veux. » “Terrorisme”

Elle : C’était plus politique que religieux. D’ailleurs nous nous étions fait engueuler par l’ambassade chinoise lorsque nous avions sorti les Quatre essais philosophiques.

Zako : On a monté Edith Nylon 8 ans après notre arrivée en France. Il était beaucoup question d’immigration, ce qui nous parlait personnellement, venant du Liban ! La première chose que l’on a dite à nos parents, c’était : « On inscrit vos enfants à l’école ». Pour nous, c’était de la science-fiction ! Notre intégration s’est d’ailleurs passée très vite… grâce à l’école républicaine !

« Regardez ma jolie famille bien remplie d’hypocrisie : mamy ta leucémie, tu pleures sur ta vie, papa devant son écran, maman devant le fourneau… » “Ma jolie famille”

Zako : C’est parti de l’idée que nous nous faisions de la famille française. On en avait une vision via la télé de l’époque où il ne se passait pas grand-chose. On imaginait donc une famille communautaire, qui s’ennuie et qui se satisfait de ne rien faire, en restant devant la TV.

Elle : C’était un peu une dérision de l’échec du concept de la famille.

Eux : C’était aussi le punk, la jeunesse en rébellion contre ses parents, avec violence, employant des symboles. On peut rapprocher cette chanson de celle des Ramones “My happy family”. C’était nos influences de l’époque.

« En rangs serrés par milliers pour nous désintégrer, armées de guerre, armées de fer, anéantissez toute la terre » “Tank” « C’est la coupe des vainqueurs, la finale de la dissuasion, la terre va exploser » “La finale des champions”

Elle : Le thème de la guerre, la destruction qu’elle apporte, le temps que les gouvernements et les armées passent à mettre en place tout ça, évidemment ça nous révoltait.

Eux : C’était l’époque de la guerre froide, le mur de Berlin était encore debout, on nous montrait des images de Nagasaki, c’était terrifiant le nucléaire… Quand on fait du rock, si on n’est pas inspiré par ça, ce n’est pas la peine d’en faire !

Elle : Et la course aux armements continue ; le nucléaire est de plus en plus répandu aujourd’hui.

Zako : Avant le Pakistan et l’Inde n’avaient pas cet armement, aujourd’hui il y a une prolifération encore plus terrifiante qu’avant avec des puissances de feu délirantes… Nous sommes à une époque où l’Homme a une influence sur l’environnement, ce qui n’était pas un sujet prouvable scientifiquement avant… Et pourtant il y a encore beaucoup de sceptiques qui continuent à dire que l’homme n’influe pas sur la nature. Il y a 20 ans en France, il y avait toujours un scientifique de la TV qui racontait ce genre de conneries. Et les gens mangeaient devant la TV en écoutant ça. Aujourd’hui ils ont une chaine d’info qui tourne en continue à la maison ou des infos sur smartphone… qui disent la même chose. Désespérant ! Avant, l’info avançait une morale journalistique. Maintenant sur Youtube, on met ce que l’on veut et tout le monde peut le faire. Sans parler des commentaires sur les réseaux…

 

Vos retrouvailles se sont passées comment ?

Eux : On a toujours continué à jouer ensemble, on s’est amusé à faire des chansons. On avait tous dans l’idée de rejouer ensemble quand on aurait du temps, car on était très pris par nos métiers respectifs, nos enfants… Le déclencheur c’est Mylène.

Elle : …Et le déclencheur était loin ; il a vécu 11 ans en Asie, aux USA, 20 ans à New York. Oui, nous étions tous globalement très occupés. Mais grâce à Aram (clavier), on a remis tout notre répertoire sur le digital. Une fois que tout a été disponible, la Belle au bois dormant s’est réveillée ! J’ai été invitée à jouer dans un groupe qui voulait reprendre Edith Nylon aux USA. On a joué dans une salle à San Diego et tout m’est revenu. Ça s’est tellement bien passé que nous nous sommes mis à retravailler. On a invité Yann, Laurent et Aram à venir et tout est revenu assez facilement.

Zako : On a pas mal de nouveau matériel… Une bonne vingtaine de morceaux ! On touche un peu aux mêmes sujets, mais tournés d’une autre façon. C’est plus mûr. On a fait des arrangements plus élaborés. C’est moins punk et c’est plus maîtrisé.

Mylène : Mais toujours rock’n’roll ! Maintenant on a un métronome ! (Rire)

Discographie :

1977 Mylène, Christophe, Zako, Karl et Albert donnent naissance au groupe.

1979 Edith Nylon, premier album éponyme.

1980 Femmes sous cellophane

1980 Quatre essais philosophiques

1980 Johnny, Johnny

1982 Echo bravo

1983 après plusieurs remaniements au sein du groupe, c’est la séparation.

2020 live : après un Petit Bain complet, RV le 10 octobre prochain au Trianon.

2021 La fin de la vie sauvage

Entretien : Serge Beyer

Photo posée Guendalina Flamini

Photos Live : Serge Beyer

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