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FEU ! CHATTERTON

Changer le monde !

La rencontre a lieu à la terrasse d’un paisible restaurant parisien au fond d’une impasse, par une chaleur presque estivale. Le confinement est levé depuis moins d’une semaine que déjà le trafic est redevenu intense et compliqué, les moindres mètres carrés d’asphalte disponibles sont pris d’assauts par de nouvelles terrasses archibondées. Un vent nouveau de liberté mêlée de folie joyeuse semble vouloir envahir la ville, même si les visages masqués sont toujours présents.

C’est dans cette atmosphère un peu particulière que nous retrouvons les 5 membres inséparables du groupe Feu ! Chatterton : Arthur Teboul, le chanteur et ses 4 compagnons musiciens Sébastien Wolf, Clément Doumic, Raphaël de Pressigny, et Antoine Wilson. Soulagés de bénéficier enfin d’un assouplissement des mesures sanitaires, ils débordent tous d’enthousiasme à l’idée de reprendre enfin la route des concerts, emplis d’espoirs et d’envies.

Le baptême de Feu ! à lieu à l’occasion du Main Square Festival d’Arras, dont l’édition 2021 ne se tiendra pas dans la citadelle comme à l’accoutumée mais sera enregistrée. Ce sont huit concerts exclusifs qui sont tournés avec un public hyper restreint dans divers lieux de la région des Hauts de France pour être diffusés sur le site officiel du festival les 1, 2 et 3 juillet.
À la veille de la captation prévue au magnifique beffroi de l’Hôtel de ville d’Arras, le quintette avoue avoir le trac, mais reste impatient de se retrouver face à un plateau de 70 petits veinards tirés au sort pour assister à l’enregistrement. C’est peu, face aux jauges habituelles de concerts, mais c’est la possibilité après de long mois d’attente et de travail de pouvoir enfin se confronter à un premier public avec Palais d’argile, leur nouvel album sorti depuis mars dernier et de mesurer l’accueil qui lui sera fait en live « C’est l’instant de vérité, on découvre ce que nos chansons racontent réellement quand il y a un échange, quand tu regardes les gens dans les yeux ». Ce qui n’a pas été le cas du concert au sommet de la Tour Montparnasse en avril dernier. L’enregistrement est réalisé pour la 1ère partie de la diffusion du concert de U2 tourné le 7 décembre 2015 avec les Eagles Of Death Metal en hommage aux victimes des attentats du 13 novembre à Paris. Si cette opportunité leur confère une ouverture internationale, une French Touch qui semble vouloir s’exporter, elle n’en reste pas moins uniquement virtuelle.

Tout reste à faire en live. La tournée s’annonce plutôt bien, plus de 40 dates, un Olympia qui affiche déjà complet et un final prévu au Zénith de Paris en février 2022. L’envie grandissante du public de les retrouver se fait également sentir depuis plusieurs semaines. « C’est la première fois que l’on a des retours aussi intenses, puissants, intimes. Je pense que c’est le rêve de tout artiste, en particulier dans ce contexte de Covid, on a toujours espoir à chaque disque de toucher au cœur, à l’esprit. Peut-être sommes-nous plus inventifs, ou plus sensibles et à fleur de peau mais depuis quelques mois, on lit des choses qui nous touchent beaucoup et on tisse un lien qui pour l’instant est purement numérique… » Alors que la dépendance aux écrans est un des thèmes qui traverse leur nouvel album, le groupe se révèle très actif sur les réseaux sociaux qui paradoxalement deviennent le meilleur moyen de communiquer avec l’extérieur lors du dernier confinement. Ces élégants Dandy s’y présentent sous une image plutôt détendue et conviviale, s’amusant vraiment en proposant en direct des apéro-concerts interactifs assez délirants chaque semaine. Que ce soient leurs morceaux, des impros ou des reprises, tout est joué sans préparation et dans la bonne humeur, et en totale décontraction, renforçant naturellement le lien et le capital sympathie qu’ils avaient déjà aux yeux d’un public fidèle.

Les textes de leur 3ième album, socle de cette tournée, ont tous été écrits bien avant la pandémie pour une création artistique prévue au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris annulée juste avant sa sortie en raison du confinement national. Ce disque est néanmoins fortement imprégné de cette crise Covid. Il marque les 10 ans d’existence du groupe, toujours aussi complice, encore plus uni et soudé depuis cette étrange traversée qui a bouleversé leur plan : « On voulait profiter de ce spectacle pour mettre les morceaux à l’épreuve du live, à l’épreuve du public. On se disait que ça allait nous permettre de les retravailler, de leur donner une patine, une épaisseur que la rencontre avec le public donne toujours, c’est ce que nous avions fait pour notre 1er album et qui nous a manqué lors du second ». L’idée d’en faire un disque est donc déjà là, le chemin a juste été différent « On a du faire deuil du spectacle, mais le travail réalisé n’a pas été perdu, au contraire, il a donné toute la sève de notre album » Rien d’étonnant à ce que l’enregistrement ait lieu au mythique studio ICP de Bruxelles spécialisé des conditions du live. Avec Arnaud Rebotini à la réalisation (césarisé pour la bande originale du film 120 battements par minute), Feu ! Chatterton livre un album puissant de rock alternatif érudit mêlé d’électro pop entêtante avec, en toile de fond, un monde de technologique asservissante prêt à s’effondrer, opposé aux beautés naturelles et à l’envie d’un monde nouveau.

Loin de se considérer comme des visionnaires, ils observent que la pandémie va donner une toute autre dimension à leurs textes, en résonance parfaite sur le ressenti de chacun « Notre manière de vivre nos chansons s’est imprégnée de toute cette période qui est venue décupler le sens de chacun de nos textes écrits un an auparavant, mais qui pressentaient déjà un malaise. On n’a rien inventé, on a été sensible. On a affiné nos chansons sans en modifier le sens. Ce qui a changé pour finir, c’est notre manière de les habiter ». Le confinement leur donne cette occasion unique et inédite de prendre le temps d’achever tous les montages dans les moindres détails, de sortir du rythme de l’industrie de la musique, des dates toujours plus pressées, et d’être totalement prêt pour l’enregistrement de l’album, et par conséquent pour la tournée.
Derrière leur succès, beaucoup de travail basé sur des textes raffinés, sensibles, imagés et des morceaux qu’ils construisent autour, tous ensemble, pour une poésie musicale qui marque le paysage de la chanson française. Sans être pour autant moralisateurs ou revendicateurs, affirmant ne pas être un groupe engagé, ils portent un regard insidieux sur notre société face aux tensions croissantes et aux pertes de repères liés à une technologie toujours plus présente dans la vie quotidienne. Tel des poètes stimulés par leur époque, ils piochent leur inspiration dans ce monde qui est le nôtre et qui les questionne par sa complexité. Les chansons sont construites comme de petites histoires simples dont l’écriture imaginative et émotive est sublimée par l’interprétation qu’ils en font sur scène : « On essaye, dans la manière de disposer les chansons, de construire une vraie narration, une vraie traversée, que cela ne soit pas juste une playlist ». Au fil de l’écoute, l’intention est plutôt optimiste malgré les thèmes traversés. Et s’il y a un but caché, il est certainement de semer une petite graine dans les esprits, même si cela peut sembler ambitieux ou utopique, c’est une idée intéressante d’avoir ce regard différent : « Ce n’est pas l’époque que nous essayons de rendre belle, ce sont nos vies, en créant ces bulles entre nous avec toujours cet infime espoir de transmettre ce frisson. Et ça c’est beau ! Comment on change le monde ? Ça se joue là, si tu arrives à faire pressentir à un autre individu une émotion, peut-être sa manière de voir le monde va changer. Christian Bobin* dit ça : « Le monde est plein de visions qui attendent les yeux ». Il n’y a pas de vérité, il n’y a que des fictions collectives qui composent une époque, et à partir du moment où l’on accepte cette idée, à nous de savoir ce que l’on veut raconter, ça dépend de comment on regarde »
L’aboutissement de leur travail se situe donc au niveau des concerts: pouvoir rendre les chansons muables, empreintes des émotions du moment présent pour les rendre uniques et peut-être toucher la conscience « C’est un véhicule pour y mettre nos humeurs nos angoisses, nos joies ». Sur la voix apaisante d’Arthur, ils sèment des indices qui viennent raisonner dans les esprits, sur des mots simples, à l’instar du single “Un monde nouveau” dont le refrain répétitif « Que savions nous faire de nos mains, Zéro, attraper le Bluetooth » trouve un écho en fin de chanson avec « se prendre dans les bras ».

C’est cette idée qu’Arthur nomme « la magie des chansons » et qui évoque le nom de leur autre projet : celui de la composition de la bande originale du futur film de l’actrice et réalisatrice Néomie Lvovsky, qui devrait s’appeler La grande magie et dont ils ont écrit les 13 chansons interprétées par les comédiens du film. Bien ancrés dans leur époque, ils admirent les grands écrivains du passé tels Apollinaire, Baudelaire, Prévert (ou encore Thomas Chatterton donnant le nom au groupe) dont la vision reste intemporelle, mais s’inspirent aussi d’auteurs contemporains, tel Christian Bobin qui leurs apporte autant d’émotion « C’est magique les fleurs qui ne fanent pas, c’est comme les arbres millénaires, il y a des poèmes qui sont comme ça. Actuellement, il y a sans doute aussi de très grands poètes, de très grands artistes, et seulement le temps nous dira qui ils sont, leur regard sur notre époque façonnera l’idée qu’on se fera de leur époque dans le futur. Christian Bobin ou Apollinaire c’est pareil, on lit et on se dit tient, il dit quelque chose de notre époque qu’on n’avait pas capté, qu’on ressent et avec la justesse particulière qui nous permet de mieux saisir nous même le monde dans lequel nous vivons ». À chacun sa façon de parvenir à voir les choses sous un autre angle, et d’essayer d’apporter sa touche à l’édifice d’un monde nouveau. Les Feu ! Chatterton ont trouvé leur chemin !

>>Site de FEU! CHATTERTON.

Palais d’argile / Caroline Records, Universal Music France

Texte et photos : Valérie Billard

* Christian Bobin est un écrivain et poète français né en 1951 souvent décrié par la critique pour la simplicité de son écriture fragmentée, mais dont le succès ne cesse de grandir. Son inspiration se situe dans l’invisible du quotidien, dans ces situations banales traversées de courts instants de grâce dont on ne soupçonne pas l’existence. Il porte un regard très doux sur la vie, s’émerveillant des choses les plus simples pour les rendre presque mystiques et conduit ainsi le lecteur vers une forme de bonheur de l’instant présent. Ses thèmes de prédilection sont le vide, la nature, l’enfance et les petits moments simples de la vie.

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