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ARMAN MÉLIÈS

Arman Melies @ Flo Sortelle

Hasardeux et heureux

Cinq ans après le flamboyant Vertigone, Arman Méliès s’est lancé le défi ambitieux de sortir trois albums, esthétiquement opposés, mais tous inspirés des États-Unis. Après Roden Crater en mai et Basquiat’s Black Kingdom en septembre, l’artiste a sorti vendredi le dernier volet de sa trilogie, Laurel Canyon.

Pour se lancer dans une telle aventure, nous imaginons naïvement que l’idée a été pensée il y a de nombreuses années avant de mûrir et d’être remodelée. En réalité, rien de tout ça. “C’est un peu par hasard qu’est née cette idée de trois disques. En fait il y avait des esthétiques qui m’intéressaient depuis longtemps mais auxquelles je n’avais pas vraiment consacré de temps. C’est en voulant instaurer des esthétiques différentes que je me suis rendu compte que c’était trop hétéroclite pour un seul disque. J’ai donc fait trois partitions différentes. Le fait de séparer les travaux m’a permis d’explorer chacun dans le détail et d’approfondir le propos.”

En allant au bout de chaque idée, Arman Méliès a même fait le pari de retirer complètement sa voix de Roden Crater et Basquiat’s Black Kingdom, avant de la remettre au centre du projet sur Laurel Canyon. Deux disques quasiment instrumentaux donc, mais dont le concept n’avait pas non plus été prémédité. Roden Crater avait davantage de chant au départ. Je n’avais pas prévu que ce soit que de l’instrumental. Au final il n’y a qu’un titre chanté qui fait office d’interlude au milieu de tous les autres. J’ai essayé d’en chanter un peu plus mais simplement ça ne fonctionnait pas. Quand il y avait une mélodie et un texte qui me parlaient, je trouvais que c’était presque mieux de les mettre de côté pour faire quelque chose de plus classique plutôt que de les faire rentrer au chausse-pied dans des formats qui ne leur convenaient pas.” Et pour Basquiat’s Black Kingdom, le deuxième album, “il y avait une idée initiale de faire quelque chose proche de la musique de film. Ce qui excluait peut-être un peu plus la partie vocale. C’est finalement un album plus post-rock, mais sans chant non plus.”

Si ces trois albums se ressemblent peu sur la plan musical, le fil rouge des États-Unis les relie. Un fantasme assumé par son auteur mais arrivé, lui aussi, par un heureux hasard. “Ce fil directeur qu’il y a eu entre les trois disques n’est pas arrivé tout de suite. En commençant à séparer les esthétiques en trois disques différents je me suis rendu compte qu’ils correspondaient tous à un lieu. Un voyage à New York avait déclenché Basquiat’s Black Kingdom il y a très longtemps. Laurel Canyon a été commencé bien plus tard mais avec pour point de départ ce quartier de Los Angeles et ce qu’il représente. Enfin, Roden Crater vient de l’œuvre de James Turrell en Arizona. Ça faisait longtemps que je voulais écrire quelque chose à ce sujet. J’avais accumulé un peu de musique ambiante qui pouvait se prêter à ce travail. En travaillant en parallèle sur des pièces de théâtre, je me suis replongé dans cette musique et il y a eu un déclic.”

 

 

Dans cette trilogie, Arman Méliès a donc avancé au gré du hasard et des envies. Pour s’écouter au maximum et laisser place à l’inconnu, l’artiste a d’ailleurs fait le choix de l’autonomie. “Sur l’écriture et une grosse partie de l’enregistrement, l’exercice a été relativement solitaire. C’était un véritable travail d’orfèvrerie, notamment dans l’accumulation des sons et des couches de synthés. Je voulais que ce soit très naturel à l’écoute, que l’on se rende compte qu’il y avait quelque chose de très minutieux. Ça m’a pris beaucoup de temps parce que je ne suis pas ingénieur du son. J’ai parfois passé des mois sur des détails.” Il n’y finalement que sur le mix qu’Arman Méliès a fait appel à ses acolytes : Roden Crater est mixé par Sébastien Fouble qui a fait mon son en live pendant très longtemps. C’est aussi un musicien électro qui fait partie du groupe Remote. Il a vraiment l’expérience de travailler ces univers très synthétiques, très musique de film des années 80. C’était du pain béni pour lui ! Je lui ai donc confié le projet et il a fait des merveilles très rapidement.”

Outre les compétences que demandent la composition et l’enregistrement de trois albums, l’artiste a également dû se confronter à des contraintes techniques. “La programmation demandait beaucoup de mémoire et des processeurs puissants. Je ne les ai pas donc ça me bloquait et me poussait à chercher des solutions ailleurs. J’ai parfois supprimé des idées, et c’était intéressant de jouer avec ces contraintes. Ça permet de générer des accidents un peu heureux.”

Ces aléas, Arman ne les regrette pas, bien au contraire. “Pour l’instant je n’ai aucun regret ! J’ai même une impression de satisfaction qui est rarement là à la sortie d’un disque. Normalement il faut obligatoirement faire des choix et éliminer plein de possibilités. Le fait d’avoir trois disques permet de faire plein de choses que l’on ne se permet pas habituellement. Il y a vraiment ce côté récréatif, on s’est tout permis. Ce que j’ai appris, c’est aussi qu’il faut se faire confiance et s’écouter. Il faut aller au bout de ses idées.”

Grâce à cet exercice, l’artiste s’est conforté dans ses futurs projets, pour lesquels il n’a d’ailleurs pas peur de se sentir à l’étroit. “L’exploration des univers différents a aussi validé mes idées pour la suite. J’ai déjà une idée assez précise de ce que je veux faire pour le prochain album et ce n’est pas aussi fou, je reviens aux basiques !”

 

Arman Meliesentrevue

 

Vous l’aurez compris, cette trilogie mérite d’être écoutée, ne serait-ce que pour les deux ans et demi de travail intensif qu’elle représente. Hormis cela, l’œuvre est également un excellent moyen de rentrer dans l’univers d’Arman Méliès. Nous y découvrons par exemple des parallèles avec les disques précédents. Après avoir écrit Vertigone, sur la thématique du feu, la trilogie s’ouvre en effet avec Roden Crater inspirée de l’œuvre de James Turrell… au cœur d’un volcan. “J’ai lu un article il y a peut-être dix ou quinze ans qui parlait de l’histoire de Turrell. Il vole au-dessus de l’Arizona, il voit ce volcan, a un coup de foudre, achète le terrain gigantesque, creuse le volcan et fait une œuvre d’art à l’intérieur. Je trouvais qu’il y avait quelque chose de magnifique dans l’utopie que ça représentait. Je m’étais en effet dit qu’après Vertigone je ne parlerais plus du feu… C’est fou ça revient naturellement !”

Le jeu de piste est également visuel, puisque les jaquettes des trois albums contiennent un lot de formes, chiffres, et lettres, ayant évidemment toutes une signification. “Il y a plein de détails sur les pochettes qui constituent un jeu de piste pour trouver des indices et liens entre les disques. Les états des USA dont il est question sont dessinés et les coordonnées géographiques également indiquées. Il faut noter que cela vient surtout du travail de Yann Orhan. Je lui ai parlé du projet et après c’est lui qui a alimenté la thématique. C’est aussi un jeu pour moi du coup !”

Finalement, Arman conclut : “Dans cette trilogie, j’ai un peu l’impression de synthétiser tout le travail réalisé jusqu’à présent. C’est pour ça que je me suis autorisé tous ces clins d’œil. Quelque part ça pourrait être un best-of, mais un best-of inédits !”. Classe, tout simplement.

 

>> Le site d’Arman Méliès

MATHILDE VOHY

Photos : Florence Sortelle

Roden Crater / Basquiat’s Black Kingdom / Laurel Canyon – Royal Bourbon Records

 

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