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ABD AL MALIK

Rencontre du 3e type

Écrivain et réalisateur à ses heures, le slameur Abd Al Malik revient avec un cinquième album solo, Scarifications. Mais, si les rythmiques sont toujours le fait de son frère aîné Bilal, les mélodies, elles, ont été confiées au pape de la house française : Laurent Garnier.

Abd Al Malik - Longueur d'Ondes N°76 - ©Fabien Coste

Tête qui dodeline, regard habité, timbre doux et phrasé syncopé… Interroger Abd Al Malik, c’est chaque fois avoir l’impression de le voir ou l’entendre slamer, avec toujours cette habitude de contextualiser son propos et de ponctuer ses souffles de punchlines, s’excusant continuellement de tout ce qui pourrait paraître immodeste.

Cet été, c’est son visage impassible qui s’est affiché en marge des Francofolies de La Rochelle aux côtés de Laurent Garnier. Noir & blanc de rigueur Vs hip-hop & house, le teaser en papier glacé a éveillé les curiosités. Pourtant, leur association date d’une dizaine d’années : une rencontre fortuite lors d’un concert, un duo improvisé dans un festival de jazz et la promesse de se recroiser… « Jusqu’au jour où je cherchais une couleur précise pour mon film (l’autobiographie Qu’Allah bénisse la France, ndla) », précise Abd Al Malik. « Qui mieux alors que Laurent Garnier pour l’illustrer ? » Le résultat, singulier, l’incite à poursuivre au-delà de la B.O.

Mélanger électro et slam ? L’exercice en rappelle d’autres, notamment les bandes originales des films Judgment Night (1993, réunissant la crème rap et rock) ou Spawn (1997, avec artistes métal et DJs électro). « Nous partageons avec Laurent un rapport encyclopédique à la musique. Run DMC, Afrika Bambaataa, Kraftwerk… Ce sont bien sûr des éléments fondateurs de mon apprentissage. Mais il n’y a pas eu, ici, la volonté de copier tel ou tel concept : ce fut naturel. N’oublions pas que le hip-hop a une culture du sample… »

Le résultat se décline dans Scarifications, un album au nom des plus étranges. « J’y évoque mes cicatrices (infligées ou non). C’est également l’idée de procéder à un rituel, mais avec passivité. De raconter une histoire en distinguant les marques et les blessures. De rebondir sur les leçons retenues, plutôt que sur des plaies encore béantes. »

 

Deux hommages, à fleur de peau, sont d’ailleurs rendus sur cet album, à commencer par Juliette Gréco : « C’est ma marraine. Avec son mari, Gérard Jouannest (compositeur de Jacques Brel, ndla), ils m’ont ouvert les bras à l’époque de mon deuxième album Gibraltar. Il y a une vraie admiration de ma part pour ces deux légendes, sans cesse modestes et fuyant la nostalgie. » Puis, Daniel Darc. « C’était un frère. Il me faisait penser à un grand frère du quartier. L’héroïne, tout ça : j’ai connu. J’avais été bouleversé en voyant Crèvecœur sur scène. Puis, j’ai eu la chance de participer avec lui aux concerts des Aventuriers d’un autre monde (2006-2007, à l’initiative de Richard Kolinka, avec Aubert, Bashung ou encore Cali, ndla). C’était quelqu’un de très cultivé, très spirituel. On s’est échangé une bague berbère et un collier avec une croix. On avait même un projet en tête ! Mais voilà… Quand il est mort, j’étais en tournée. J’avais écrit un texte, mis de côté jusqu’à aujourd’hui… »

Ce qu’Abd Al Malik a en commun avec ces personnalités ? « Être entier, évidemment. Ne jamais mentir, ni se renier. Il n’y a aucune différence entre notre représentation médiatique et ce que nous sommes. A l’heure d’Internet, il est important de rester réel. » Précisant qu’il a aussi beaucoup pensé à DJ Medhi (Ed Banger records), décédé en 2011.
Est-ce à dire qu’il ne regrette pas ses propos sur Charlie Hebdo (Le chanteur estimait dans un texte d’une vingtaine de pages, publié en février, que le journal, malgré son « acte démocratique par excellence parce qu’éclatant symbole de la liberté d’expression », a « clairement contribué à la progression de l’islamophobie, du racisme et de la défiance envers tous les musulmans ») ? On imagine aisément le slameur assumer ses propos, mais cette prise de position n’a-t-elle pas parasité son discours général ? « En aucune manière », répond-il du tac-au-tac. « Je suis un être humain, avec ses défauts et ses qualités. Si je me parasitais moi-même, ce ne serait pas cohérent. Je suis un ensemble, toute proportion gardée. Je n’oblige personne à penser comme moi. Je ne suis ni dans la stratégie, ni dans le désir de blesser les gens. Et c’est aussi ça, être entier. »

 

Site d’Abd Al Malik

Scarifications / [PIAS] LE LABEL

Texte: SAMUEL DEGASNE

Photo: Fabien Coste

 


Scarifications

PIAS

Sortie : 6 novembre 2015

ABD AL MALIK en entrevue sur Longueur d'Ondes« J’ai toujours cherché à repousser les limites du hip-hop », confie l’artiste. C’est encore vrai ici, en réunissant deux styles musicaux issus des platines. Deux genres réunis après de longues aventures émancipatrices. Résultat : treize titres, aux rythmiques très hip-hop, qui jouent serrés. Le flow n’a peut-être jamais été aussi rapide, excluant les envolées instrumentales. Ou comment se réinventer en compagnie d’un DJ dont « la black music et le jazz » restent un ancrage commun. Pour mieux s’en défaire ensuite. Et la scène ? « Le disque est une aventure. Le concert en est une autre. Préparez-vous : on réfléchit à quelque chose de très singulier… » On prend date.

 

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