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DENIS SCHEUBEL (1965-2018)


DENIS SCHEUBEL

 

Figure de la scène rock du grand Est alsacien, Denis Scheubel alias Papiers peints” alias “Big Mini” alias plein d’autres choses et notamment leader du groupe Singe Chromés est décédé au petit matin du 28 décembre, à Mulhouse. Il avait 53 ans.

Il était de ceux que l’on oublie pas. Petit rouquin teint en blond, particulièrement regardant sur les produits qu’il utilisait, faut pas déconner, Denis était tout en présence explosive, en leçons de vie parce qu’il était là intensément dans cette vie… et puis parfois pas du tout, dans une pulsation qui passait de l’empathie à ces coups de gueule qui pouvaient le rendre incompréhensible et qui lui a permis de ne pas passer à la télé, de ne pas trop s’épancher dans les médias parce que justement, « Le silence est d’or » comme il le chantait avec panache.

 
https://www.youtube.com/watch?v=wLT5MYEwlmM
 

Le rencontrer était une chance tant sa conversation, heureuse, chaleureuse creusait et questionnait sans s’imposer, sans autre but que de poursuivre avec son interlocuteur ce qui bouillonnait déjà. Denis était de ceux pour qui l’amour et la pensée tenaient chaque fois dans une chanson. Bashung, Barbara, Burger, il était comme une ligne sombre qui scintille au loin. Il jouait de la basse, il chantait en parlant et parfois il se lâchait comme dans son récent “Un ange passe”, hommage aux petits gars du coin, à Bashung d’abord qui lui aussi a séjourné dans la région, entre Gœthe et Philippe Poirier (Kat Onoma).

 
https://www.youtube.com/watch?v=CzuQaeQRLbU
 

Denis est, lui, resté à Mulhouse, dans son passé industriel, sa fascination pour l’automobile, son ambition culturelle quand même pour tous ses habitants, les anciens et les nouveaux ; au total, plus d’une centaine de nationalités différentes pour environ 120 000 riverains. Denis c’était Mulhouse plutôt que Strasbourg la bourgeoise, c’était Mulhouse plutôt que Paris qu’il chérissait autant qu’il détestait et qu’il arpentait des heures à pieds dans un bonheur silencieux d’architecte.

Du piano de son enfance, il a retenu la possibilité harmonique qu’il creusera plus tard avec ces synthés qui infiltreront doucement les groupes de la fin des années 80. Il y trouvera une formule post-rock en version Premium. Du texte et cette poussière de blues que l’on ramasse dans l’atelier du peintre qu’il était également, prolifique et changeant, laissant plusieurs centaines de toiles tout en passion de couleurs et de perspective gris foncé. Avec Mei Yang sa compagne, sa Yoko Ono du XXIème siècle, il a construit une œuvre vidéographique remarquable de justesse et de minimalisme qui complète avec brio et économie sa production musicale malheureusement trop confidentielle.

 
https://www.youtube.com/watch?v=efcw1ezcRJ8
 

Sur scène, il aimait parler en français avec un accent anglais pour dire sa soif des grands espaces, pour se décaler et trouver son équilibre, pour dire qu’au fond il venait d’un pays imaginaire, et affirmer son goût des confins et des sommets. Denis voulait voler et bien souvent dans ses chansons, il volait. Admirateur de Thomas Hardy, et d’Alan Moore, son œuvre est pétrie de références astrales, d’envie de s’élever très haut, de peur de ne jamais revenir, d’une grande solitude aussi, de celle qui nourrit le travail humble et méticuleux, de cette idée que l’on sculpte jusqu’à épuisement, où que l’on finit par jeter sans crier gare, sans explication.

 
https://www.youtube.com/watch?v=toTejYpKZIg
 

Lancé à deux reprises sur la scène médiatique, avec le label Saravah (Big Mini avec l’excellent Didi Kaiser en 1996) puis autour de Singes Chromés pour l’un des plus beaux disques de rock français enregistré dans les années 2013-2014 (Mediapop records), Denis et son « petit frère » Mathieu Gettliffe ont signé par la suite chez Sony pour un projet qui sera finalement refusé, un peu à l’image de ce Big Mini qui même publié aura aussi connu un même enterrement de première classe. Entre Radio Elvis, Feu ! Chaterton et Liminanas, il n’y avait visiblement plus de place pour Singe Chromés. Le groupe sortira donc un disque “2” en autoproduction en septembre 2018, s’adjoignant pour le live les services du batteur Günther Marisa. L’ambiance y est un peu plus épurée, un peu plus inquiétante aussi et semble annoncer un nouveau tournant que l’on imagine resserré sur l’équation rythme-synthé et chuchotement vocal. À Mathieu Gettliffe et Mei Yang de recomposer et ré-ordonner l’ensemble vidéo et discographique, de la compléter avec le travail en cours, afin de présenter une version plus exhaustive d’une œuvre prolixe et généreuse qui n’a certainement pas dit son dernier mot.

 

ANTOINE COUDER

Photo PHILIPPE LEVY

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