Nous avons mis les deux artistes sur la sellette, afin d’avoir des précisions sur la façon dont ils mènent ensemble leur carrière, d’en savoir davantage sur ce second projet en commun, “Tout va bien”, auquel Jérôme (Ignatus) Rousseaux a de nouveau participé… Laissons-leur la parole, ils ont des choses à nous dire !
Jusqu’en 2008, vous meniez des carrières séparées, chacun son album (“La fille aux papillons” pour Lili, “Un monde meilleur” pour Thierry). Quelles raisons vous ont poussés à former un duo et à travailler ensemble sur l’album “Voyager léger” en 2011 ?
Lili Cros : En juillet 2008, nous avons été invités à jouer à Tadoussac, au Québec. Nous étions très heureux de faire ce voyage, mais nous ne pouvions pas emmener nos musiciens pour des raisons de budget. Nous avons mélangé nos deux répertoires et l’expérience nous a tellement plu que nous avons eu envie de la poursuivre.
Thierry Chazelle : Le duo a tout de suite trouvé son public, nous avions des retours excellents après les concerts et en trois mois, nous avons booké environ quatre-vingts dates.
Lili : Si tu ajoutes à ça le plaisir que nous avons eu à partager la scène, ce que nous avions soigneusement évité pendant huit ans, je crois que tu as ta réponse.
“Tout va bien” est votre deuxième album en duo. Quelles raisons vous ont poussés à renouveler l’expérience ?
Thierry : Notre premier album commun “Voyager Léger”, sorti en 2011, était une première étape dans l’histoire du duo. À notre échelle d’artistes indépendants, il a eu beaucoup de succès puisque nous arrivons aujourd’hui à épuisement du stock… Pendant ce temps, de nouvelles chansons voyaient le jour en tournée, le deuxième album était une évidence.
Jérôme (Ignatus) Rousseaux a été partie prenante dans la réalisation de vos deux albums. Pouvez-vous m’en dire un peu plus sur son implication…
Lili : En 2004, Thierry a été invité par Jérôme à donner sa conférence sur la structure des chansons au Studio des Variétés, dans le cadre de “Central Texte”, un super stage d’écriture de chansons. Tellement super que Thierry s’est inscrit comme stagiaire l’année d’après, et moi en 2009. En travaillant ensemble, Thierry et moi avions perdu notre capacité à prendre du recul sur nos nouvelles chansons. Il nous fallait un référent de confiance, une paire d’oreilles fraîches, un mentor.
Thierry : Jérôme nous aide à faire le tri dans nos chansons, à progresser dans l’écriture des textes, à chercher une identité sonore qui respecte l’énergie que nous déployons sur scène. Déjà deux albums avec lui et rendez-vous est pris pour le troisième.
Comment travaillez-vous tous les deux ? Chacun a-t-il des textes à proposer ou les écrivez-vous ensemble ? Qu’en est-il pour les compositions musicales ?
Thierry : Chacun écrit ses textes dans son coin, avec un début de mélodie ou une idée d’accompagnement. Si ce début de chanson est accepté par l’autre, nous finissons la musique et les arrangements ensemble ! On trouve qu’on est meilleurs compositeurs à deux !
Lili : Ceci étant, nous avons écrit ensemble le texte de la chanson “Les amoureux”, d’après une histoire qui nous a été racontée par Amélie-Les-Crayons. Une première !
Est-ce parfois “le bras de fer” ou “l’empoignade” comme le suggèrent les photos de l’album et de votre site Internet ?
Lili : Nous nous entendons très bien mais nous avons aussi des caractères très différents, il a donc fallu apprendre à travailler ensemble. Pour moi, l’empoignade des photos suggère surtout l’émulation incroyable qu’il y a entre nous. Quand Thierry écrit quelque chose de chouette, je me sens comme mise au défi de faire aussi bien, voire mieux.
Thierry : …Et puis une photo de couple ça tombe facilement dans le “cucul” ! On a demandé à Arno Lam – le photographe – un visuel qui ait du caractère, qui montre l’équité du duo. Nos modèles c’est plutôt les couples Bacri-Jaoui ou Niki De Saint Phalle-Tingeli.
Qui a généralement le dessus ? Lili, ou Thierry ?
Lili : C’est moi bien sûr !
Thierry : Et pourtant j’ai toujours raison !
Comment intervient Ignatus dans votre processus de création ?
Lili : Nous lui soumettons nos nouvelles chansons, qu’il valide ou rejette. À chaque étape, arrangements, mixage, mastering, pochette, son point de vue est pris en compte et quand nous ne sommes pas d’accord entre nous, c’est lui qui tranche, ça nous simplifie la vie.
Thierry : En vrai c’est lui qui a toujours le dessus. Pfffff.
Quelles sont les autres personnes ou structures qui ont permis la réalisation de ce deuxième projet en duo ?
Lili : Nous avons au départ été encouragés par l’Autre Distribution. Avec un coup de cœur de l’Académie Charles Cros pour “Voyager Léger”, leur point de vue était de ne pas trop attendre pour un deuxième album. Nous avions de nouvelles chansons en route et nous nous sommes donc lancés. Nous sommes des artistes indépendants mais très bien entourés de personnes que nous avons choisies et qui nous aident à avancer : Christelle Florence et Patricia Espana pour la com, Christel Ribeiro pour la diffusion du spectacle, Catherine Vadureau pour l’administration au sein des Gesticulteurs, Florian Chauvet, notre ingé son de scène et qui a mixé “Tout va bien”, Eric Planchot aux lumières, Bernard Lhuillier pour tout le reste…
Thierry : Nous avons également reçu une aide de la SPPF, et puis le soutien de trois théâtres de notre région qui nous ont reçus en résidence pour le nouveau spectacle (Couëron, La Flèche et Nivillac). Ce projet de disque reste attaché à la scène.
Sofia Label est un label indépendant, grâce auquel vous avez édité vos disques en solo et maintenant en duo. Quels sont les avantages à avoir son propre label ? Y a-t-il néanmoins des inconvénients ?
Lili : Nous avons toutes les libertés, nous faisons tous les choix. C’est génial, mais il faut apprendre à porter toutes les casquettes en même temps, c’est parfois épuisant. La crise du disque est aussi un problème. Aujourd’hui il est très difficile pour des indépendants de franchir la barrière des médias nationaux, à moins d’être dans une esthétique très indé, ce qui n’est pas notre cas.
Thierry : Nous sommes également indépendants pour la tournée, et c’est là qu’on gagne notre vie ! Le disque est devenu un lien avec le public des concerts.
Que vous a apporté le fait de vous installer en Bretagne, plus précisément dans le Morbihan ? Si c’était à refaire est-ce là que vous choisiriez de vivre ?
Lili : La Bretagne, ça vous gagne ! Je bénis le jour où nous avons pris la décision de quitter Paris pour le Morbihan. On y trouve beaucoup d’artistes de tous poils, de voyageurs, de festivals, de salles de spectacle très impliquées dans le développement d’artistes. Je crois que nous sommes en Bretagne au bon moment, nous avons été accueillis à bras ouverts.
Thierry : Nous avons été soutenus par les pros, adoptés par les artistes et le public bretons, qu’ils en soient remerciés ! Et puis nous avons intégré les “Gesticulteurs”, une expérience pilote de groupement d’employeurs qui permet de mutualiser des emplois administratifs, ça s’est avéré un outil fantastique pour notre indépendance et notre développement.
Vos inspirations musicales sont-elles influencées par le fait de vivre en Bretagne, où le folklore et les traditions sont plus présents qu’ailleurs ?
Lili : C’est bizarre, on s’est fait la réflexion après coup. Thierry est tombé sous le charme d’une mandoline lors d’une petite tournée dans le Nord, ça a été le déclic pour de nouvelles chansons qui de toute évidence sonnent plus folk que les précédentes.
Thierry : La folk – comme nous le faisait remarquer un journaliste de chez vous – c’est aussi la rencontre entre le rock et la chanson, logique donc, et parfait pour nous.
“Tout va bien” est aussi le titre de la chanson qui ouvre l’album, au ton optimiste, mettant en avant votre vie d’artiste, et le fait d’être deux. Est-ce plus facile, effectivement, de mener une carrière à deux ?
Thierry : Nos voyages au Québec, qui ont fait naître le duo, ont été une révélation pour moi. Guitares et brosse à dents en bandoulière, aller de ville en ville, exister simplement par la rencontre avec le public, c’était si naturel, si loin des frustrations que peut nous provoquer le showbiz.
Lili : Maintenant, on joue ! Nous jouons à poser des petits drapeaux sur la carte du monde pour chaque endroit où nous avons fait un concert, nous jouons au producteur, au manageur, à l’éditeur, nous sommes deux auteurs-compositeurs-interprètes qui jouons ensemble. Sans cette légèreté que nous partageons, je me serais découragée depuis longtemps.
Vos chansons sont souvent pleines d’humour, de fantaisie et de tendresse. La vie est là, avec ses joies, ses bonheurs, ses petits riens qui font tout. Cependant, deux de vos chansons abordent avec pudeur et délicatesse le thème de la mort : “Ulysse” et “L’éclaireur”. Comment s’est fait le choix d’intégrer ces chansons sur l’album ? En avez-vous discuté ou cela était-il évident ?
Lili : En effet, nous avons hésité à mettre ces deux chansons dans un même album. Mais elles ne parlent pas de la même chose. Dans “L’éclaireur”, j’ai voulu faire une chanson en hommage à toutes les personnes que j’ai perdues depuis l’enfance. Elles sont hélas nombreuses parmi ma famille et mes amis. Pour “Ulysse”, c’est différent. Je me suis appuyée sur le héros mythologique, imaginant qu’une sirène avait finalement réussi à l’entraîner au fond de l’eau et qu’elle en était désolée. La mort n’est pas le sujet de cette chanson. Pour moi elle parle de l’incapacité de chacun à aller contre sa nature, même si cela implique de faire du mal autour de soi.
Thierry : La musique d'”Ulysse” a été improvisée un soir de Saint-Sylvestre, une fête que nous passons toujours en tête-à-tête. Quant à “L’éclaireur”, quand Lili m’a chanté le début, j’ai insisté pour qu’elle soit absolument sur le disque, c’est une chanson simple et magnifique.
Votre nouveau spectacle avec “Tout va bien” va donner lieu à une grande tournée printanière et estivale, qui va vous mener jusqu’au Québec (festival de Tadoussac). Quels liens avez-vous avec le public québécois ?
Thierry : Le Québec est à l’origine de notre duo, merci à Catou Mark, la programmatrice. C’est grâce à l’enthousiasme du public québécois que nous avons décidé de continuer à jouer ensemble. Nous sommes ravis d’y retourner pour fêter nos cinq ans d’existence à deux et les trente ans du festival !
Outre les concerts, vous intervenez dans des ateliers d’action culturelle (“Sème un mot, récolte une chanson”…) où vous rencontrez différents publics (école, collège, adultes). Que vous apportent ces ateliers ?
Lili : Nous faisons en général ces ateliers dans des régions où nous ne sommes pas très connus, ce qui permet de faire parler un peu de nous et d’amener plus de public lors des concerts. Ceci étant, l’idée est surtout d’amener des enfants ou des adultes à s’amuser et créer avec nous, en laissant leurs complexes de côté. A la fin d’une séance, j’aime voir les grands sourires de nos apprentis compositeurs et entendre leurs œuvres toutes fraîches chantonnées à tue-tête dans les couloirs.
Lili, tu tiens un journal très complet, avec textes et photos, depuis janvier 2011. http://www.lilicros.com/blogQu’est-ce qui te pousse à bloguer ainsi, pratiquement chaque jour ? Cela te demande-t-il une discipline, des contraintes, des exigences particulières ?
Lili : J’ai tenu ce journal tous les jours en 2011 et 2012. En 2013, au vu de notre actualité, j’ai décidé de ne poster des billets que les jours où nous travaillons. D’ailleurs je me rends compte qu’il n’en manque pas beaucoup depuis le début de l’année. J’ai créé ce journal pour que les gens puissent rester en contact avec nous et sachent ce que nous faisons et où nous sommes. Nous sommes les trois-quarts du temps en tournée, je n’arrivais plus à donner de nouvelles régulières à ma famille et à mes amis, ça a facilité les choses. Nous avons aussi quelques fans qui sont heureux de suivre nos aventures.
Thierry : Quant à moi, lire le journal de Lili me rappelle la belle vie qu’on mène, alors tout va bien.
Elsa Songis
Photos Florent Drillon
Album “Tout va bien”
(Sofia Label / L’Autre Distribution)
Sortie officielle le 2 avril 2013
Le site de Lili Cros et Thierry Chazelle :
Le blog de Lili Cros :
http://www.lilicros.com/blog
