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L’Ircam, le labyrinthe du son

Le 12 Janvier 2023, Espace de projection de l’IRCAM, PARIS

Après huit ans de travaux de désamiantage, l’Espace de projection, cette salle de concert souterraine aux capacités acoustiques extraordinaires, a réouverte en ce mois de janvier 2023. Pour l’occasion, c’est un pont générationnel de musiciens savant-fous qui s’est offert au public, de Jean-Michel Jarre à Lucie Antunes en passant par Deena Abdelwahed…

IRCAM en FÊTE 2023 concert Seconde Nature © Quentin Chevrier
Près de 175 panneaux absorbeurs et diffuseurs de son pivotent, se réajustent sur leur axe et des frissons parcourent l’échine du demi-millier de spectateurs présent au soir du jeudi 12 janvier 2023 dans l’Espace de projection de l’Ircam (Institut de recherche et coordination acoustique-musique) lors de la première soirée célébrant la réouverture, de cet équipement situé à seize mètres sous la place Stravinsky, à côté du Centre Pompidou, dans le quatrième arrondissement de Paris. Ces dynamiques et les émissions des 350 hauts-parleurs durant le concert de Lucie Antunes subjuguent le public, donnant à cette salle le rôle d’un instrument de musique comme les autres présents sur scène. Au cœur de celle-ci trônent les percussions de la musicienne formée au conservatoire de Lyon, interprétant avec ses trois camarades des morceaux de son album Sergueï, réédité en juin 2022, trois ans après sa sortie, notamment.

Ce « concert unique », comme la multi-instrumentiste le présente, sert une production hypnotique aux humeurs minimalistes assez intense et convaincante. L’audience apprécie sans réserve et obtient un rappel mérité.

OPUS © Quentin Chevrier

Opus

Un sort très différent de celui connu par Opus, la performance audiovisuelle de Tovel et 1024 architecture. L’atmosphère industrielle, puis de plus en plus guerrière, carrément nihiliste et hostile, composée par le violoncelliste et ses deux complices, poussa des dizaines de spectateurs oppressés et sonnés par cette déflagration sonore à fuir. Ceux résistants entrèrent alors dans une forme d’hébétude.

IRCAM en FÊTE 2023 - Jean-Michel JARRE © Quentin Chevrier

Jean-Michel Jarre

Jean-Michel Jarre invite les spectateurs à le suivre les yeux fermés en ouverture de ce deuxième soir de concert samedi 14 janvier 2023 dans l’Espace de projection de l’Ircam. Le compositeur lyonnais, trois mois après la publication de son nouvel album, Oxymore, l’interprète en l’enrichissant d’un prologue afin d’optimiser l’usage de cette salle idéale pour expérimenter le déplacement du son. Le public s’immerge dans une piscine musicale dont le fond se trouve à plusieurs mètres sous ses pieds tapant la cadence. La puissance des compositions forme un épais brouillard faisant oublier tous les autres spectateurs autour et même la scène en face. Une configuration parfaite pour élaborer des chorégraphies intenses.

DEENA ABDLEWAHED © Quentin Chevrier

Deena Abdlewahed

Une heure après la fin de la leçon de Jean-Michel Jarre, Deena Abdelwahed s’assied derrière son bureau d’écolière sur scène, son « premier instrument ». La DJ et productrice tunisienne (sa dernière sortie : Free Radicals en juin 2022 chez InFiné) tape dessus avec ses doigts, ses bagues et ses poings. Cette surface studieuse recèle de surprises et de techniques permettant à la musicienne de produire des sonorités différentes selon l’endroit de ses impacts (et leurs forces ?). Très joviale et d’attitude franchement sympathique, s’amusant de certains couacs et imprécisions, livre une prestation de fin de résidence réussie.

Lucie Antunes © Quentin Chevrier

Lucie Antunes

Une dizaine de musiciens de l’Ensemble TM+ attend dans l’ombre sur la scène au soir du mardi 17 janvier 2023 et écoutent le pianiste Julien Le Pape interpréter la deuxième partie de La Rousselle effarvatte et Le Courlis cendré d’Olivier Messiaen et des hauts-parleurs émettre des extraits d’Hidden Values de Natasha Barrett. Laurent Cuniot, à la direction de la formation, défend, à l’issue de sa prestation, cette « circulation de l’écoute entre le plateau et la salle », ce transfert de l’attention, afin de reprendre le terme donné comme titre à la nouvelle création de Florent Caron Darras, pièce-maîtresse du programme de la soirée (celle-ci sera aussi donnée mercredi 8 février 2023 à la Cité musicale de Metz, Moselle, Grand Est). Ce compositeur a conçu cette œuvre en enregistrant les sons du « réveil des oiseaux [notamment, NDLR] à 5 h du matin au milieu d’une forêt de l’Anjou » et en les remplaçant tous par d’autres, structurant ainsi un environnement de bruits acoustiques et synthétiques très différent, inédit et étrange, presque arythmique. À l’écoute, le spectateur non-averti ne peut pas comprendre cela, sauf à bénéficier d’une perspicacité particulièrement forte, malgré les rares diffusions de pépiements de volatiles. Le caractère donc un peu incompréhensible de la création n’empêche toutefois pas à ressentir le plaisir procuré par la découverte de cette expérience, cette espèce d’errance auditive. L’Espace de projection s’affirme comme un temple sous-terrain idéal pour être transporté par la musique et ses mouvances. Un lieu où les chanteurs du “bizarre” comme Camille et Philippe Katerine pourraient déployer leurs jeux vocaux de manière radicale.

Texte : Valentin CHOMIENNE

Photos : Quentin CHEVRIER

–> Site Ircam : https://www.ircam.fr/

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