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LAURENT SAULNIER

Les Francos de Montréal

L'entrevue de Laurent Saulnier est sur Longueur d'Ondes

A Montréal, les concerts ont enfin repris leurs droits. Après des mois de restrictions, les festivals peuvent à nouveau se dérouler en jauges complètes. Évènement incontournable de l’été, Les Francos de Montréal font aussi leur grand retour ! Le festival qui invite les artistes du Canada mais aussi du monde francophone, de la France à la Belgique se tiendra du 9 au 18 juin. Au programme des concerts gratuits et payants, des créations, des découvertes et des incontournables. Comme chaque année, il aura à coeur de prouver que les tous les genres musicaux peuvent se sublimer en français. Rencontre avec son programmateur passionné à l’aube d’une édition particulièrement attendue.

 

Peux-tu nous expliquer comment se passe le métier de programmateur ?

«La première chose à savoir pour être un bon programmateur c’est qu’il faut aimer ça. Il faut aimer l’idée de présenter des groupes à un public. Loin de moi l’idée de dénigrer d’autres programmateurs, mais parfois j’ai l’impression que les programmations sont faites par des statistiques. Moi, je travaille dans le concert. En dehors des deux dernières années, je tiens à voir les groupes que je programme avant de les mettre à l’affiche. »

Comment sélectionnes-tu les groupes ?

«Il faut laisser une grande place au hasard. Je suis quelqu’un qui fréquente beaucoup de festivals. Quand j’y vais, la dernière chose qui m’intéresse ce sont les têtes d’affiches. J’aime voir les artistes que je n’ai jamais vu. C’est mon métier et ma passion. J’aime découvrir des nouve.lles.aux musicien.nes.  Souvent j’y vais à l’aveugle.  C’est pour ça qu’un de mes festivals préféré se sont les Transmusicales. Aux Trans quand je regarde l’affiche, je ne connais personne.  J’ai un enthousiasme fou à aller à un festival où je découvre 50 groupes en 3 jours.»

Pour programmer cette nouvelle édition post-Covid, qu’avais-tu en tête ? As-tu dû renoncer à certains artistes que tu souhaitais programmer ?

«Lorsque la pandémie est arrivée, on avait déjà presque terminé la programmation de 2020, donc il y a certaines choses qu’on a voulu reprendre. Mais entre 2020 et 2022, la proposition musicale a changé et il reste juste le nom de l’artiste. On sait que le concert sera différent puisqu’un nouvel album a pu sortir mais on tient notre parole. Ce qui était plus complexe, ce sont les découvertes. Les découvertes de 2020 c’est compliqué en 2022. Parce que il y a plein de nouveaux qui sont arrivés en 2021 et en 2022, et il a fallu faire des choix difficiles. En même tout le monde a compris les difficultés et beaucoup ont été bons joueurs en disant, « C’est pas grave, notre album est sorti en 2020, on en a un autre fin 2022, on se voit en 2023. » C’est la bonne attitude à avoir. Certains ont quand même insisté et parmi eux, on en a repris certains. L’important c’est de retrouver l’équilibre entre des têtes d’affiches, des nouveautés, des européens, des canadiens et ceux qui sont représentatifs de presque tous les genres musicaux. Ça a été un casse-tête mais c’est tellement fun de faire un casse-tête.»

Te donnes-tu des contraintes de genres justement ? Par exemple on sait que c’est l’âge d’or du Hip Hop, tu as programmé PLK…

«On ne se donne pas de limite de genres. On fait attention à ne pas mettre trop d’un genre par rapport à un autre. Cette année, on aurait pu mettre au moins 50% de Hip Hop sans problème. Mais on a pas voulu. Cette représentation est là, c’est important, ça a toujours été important. La représentativité de la chanson est importante aussi, on a une scène rock, une soirée metal… On sait aussi que le rock va revenir, mais il n’est pas encore là. Je pense qu’en 2023, il y aura beaucoup de rock. Ce qu’on cherche c’est avant tout la qualité. On veut le meilleur de tout selon notre perception à nous. On fait des choix. C’est ça être programmateur, c’est en faire et les assumer. »

Tu vas chercher dans toute la francophonie et ses pays. Dois-tu répartir les scènes en fonction des nationalités ?

«On ne pense pas en terme de quota. On se donne la liberté de faire ce qu’on veut. Si une année, il y a plus de projets français qui nous intéressent mais moins de belges par exemple, ce sera comme ça. D’autres critères sont plus importants, par exemple pour nous la parité a toujours été importante. On y arrive jamais mais on tend vers. Cette année on est à près de 40% de femmes sur le festival. Moi je m’en réjouis et je trouve ça incroyablement important. On essaie que les têtes d’affiches soit autant des femmes que des hommes.»

Tu programmes un festival francophone. Au Canada, la langue française est un véritable enjeu, pour vous c’est quelque chose qu’il faut défendre, pour nous c’est naturel. Tous tes artistes chantent en français. Pourquoi est-ce important ?

«Ce n’est pas une question de défense, c’est une question d’exemplarité. Ce que je tenais à montrer, depuis que je fais ce métier, c’est que tous les genres musicaux peuvent se faire en français. Pas pour sortir les drapeaux. C’est pour montrer que ça se peut. Il faut aussi placer ça dans un contexte géographique. On est en gros 6 millions de parlants français, dans une zone où si on compte les Etats-Unis et le Canada, c’est presque 400 millions de personnes qui parlent anglais ou espagnol. Le français est une langue minoritaire. Nous, on fait le choix non pas du genre mais de la langue. J’aime ce twist qui est différent de beaucoup de festivals. On a pas une identité marquée par les Trans ou la Route du Rock. Ils défendent une esthétique. Alors que nous on défend l’idée qu’on peut chanter tout ce qu’on veut, en français.»

Tu as des têtes d’affiches françaises sur ton affiche. Je pense à des Luciani, De Pretto. Sont-ils perçus de la même façon par le public canadien ?

«Les deux que tu cites sont des artistes confirmés. Ce ne sont pas des grandes têtes d’affiches. C’est un peu comme ici, Booba c’est quelqu’un qui a plus de place que De Pretto mais ce sont quand même des vraies têtes d’affiche. Sur certains artistes, on a du retard, qui a toujours existé. En même temps, il faut toujours commencer quelque part. On présente Ichon cette année et Yseult. Pour nous ce sont des découvertes. On espère que grâce à nous ils vont trouver un vrai public et que d’ici quelques années, ce soient des têtes d’affiches. On est prêts à prendre le pari.»

Les Francos c’est aussi un tremplin. As-tu des artistes que tu es particulièrement fier d’avoir programmé ?

«Il y en a beaucoup. Pour devenir une vraie tête d’affiche, ce n’est pas un festival. Il y a plein de gens qui travaillent en coulisses pour faire monter ces artistes. Moi je ne suis pas grand chose là-dedans. Je suis celui qui a donné une première chance. Mais je ne suis pas le seul. J’ai de la difficulté à prendre du mérite là-dessus. Tout ça demande une vraie équipe. Quand je vois Clara Luciani, qu’on a présentée sur son premier album, Angèle en 2018 qu’on a présentée en showcase… c’est complètement fou. Mais ce n’est pas grâce à moi qu’Angèle est devenue ce qu’elle est. Ce serait prétentieux et faux de dire ça.»

Tu dois en avoir beaucoup mais quels sont tes plus beaux souvenirs des précédentes éditions ?

«On a fait des mini Francos au mois de septembre dernier avec des jauges, des limites, c’était 10 fois plus de travail pour 10 moins de concerts. Mais pour moi, cette édition là était particulière. Il y a eu un véritable sentiment de libération. Tout le monde disait la même chose : ça fait du bien ! Sinon l’un de mes plus beaux souvenirs : moi j’étais très très fan de Bashung. On a fait jouer Bashung à quelques reprises. Après son dernier concert chez nous, son manager me dit: «Alain aimerait beaucoup que tu viennes le voir dans sa loge après le concert». J’entre dans la loge, et il demande à tout le monde de sortir pour rester avec moi. Et j’ai eu 20 minutes en tête à tête avec mon idole de jeunesse. Je suis sorti de là, je pleurais comme un enfant.»

Et cette année, quels sont tes coups de coeur sur les Francos ?

«Je pense qu’il y a des découvertes à faire mais il ne faut pas lésiner sur la redécouverte. En cette époque post-pandémie, on se doit de revoir certains artistes, dans un contexte particulier. Un gars comme Pierre Lapointe par exemple qui a fait une création chez nous où il va présenter son nouvel album dans son intégralité avec 20 musiciens. Je ne peux pas dire que tu vas faire une découverte mais que ce que tu vas voir là, tu ne le reverras plus jamais comme ça de ta vie. Pour moi Ichon et Yseult, ce sont les deux découvertes françaises. Il y a aussi Amiral T qui apporte un son différent, une saveur différente.

Le choix a été difficile entre tous les jeunes artistes. On a donc décider de monter un concert très particulier avec trois jeunes artiste très prometteurs au Canada :  Lou Adrianne Cassidy, Ariane Roy et Thierry Larose. Ils sont probablement les trois jeunes les plus en vue. On sait qu’on aurait pu leur faire faire des concerts séparément mais on sait que cet évènement ne va arriver qu’une fois. Ils vont chanter des chansons les uns des autres. Un festival comme les Francos doit servir à ça aussi, à proposer des contextes différents pour présenter les nouveaux artistes. Les trois ensemble font comme ça la deuxième plus grande scène. Le pari c’est qu’au lieu d’avoir trois fois mille personnes, on réunisse 10 mille personnes.

Il faut essayer des choses et être audacieux. C’est notre métier. En 2015, j’avais proposé qu’on fasse le concert d’ouverture avec uniquement des groupes de Hip Hop. Ça ne s’était jamais fait chez nous. En 2015, on était vu comme extrêmement audacieux de faire ça. Tout ça a donné une soirée extraordinaire et depuis ce temps-là quand je parle de Hip Hop plus personne ne se dit que je suis fou. J’aime essayer des choses et sortir de ma zone de confort.»

Pour finir, quels sont tes espoirs et envies pour cette édition 2022 ?

«J’essaie de ne pas trop y penser parce que je sais que ça va bien se passer. On va avoir une édition extra-ordinaire, ce sera la première où on peut se rassembler en grand nombre depuis l’été 2019. Ça va être fou!»

 

Texte : Julia ESCUDERO

Photo : Kevin GOMBERT

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