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EIFFEL

Le Trianon, Paris, le 15 avril 2022

Entamée en avril 2019 à la sortie de Stupor Machine, le 6ème et dernier album d’Eiffel (Longueur d’Ondes N° 89), la tournée est brutalement interrompue avant sa fin par la pandémie, le jour même du concert prévu à Paris au Trianon en mars 2020.

Après avoir été maintes fois reportées, les 7 dernières dates peuvent enfin avoir lieu. Cette épopée s’achève au bout de 3 ans à La Manufacture de Saint-Quentin, le lendemain du Trianon. Le public est au rendez-vous pour cette avant dernière, après avoir conservé bien au chaud leurs billets pendants 2 ans ! La foule nombreuse s’étend depuis l’entrée de la salle en une longue file sur le trottoir du boulevard Rochechouart vers Pigalle. C’est devant un Trianon plein à craquer que se joue ce dernier concert Parisien pour Eiffel.

Pas de modification notable sur le format du set depuis celui donné à La Cigale en novembre 2019 (Eiffel, leur concert sur Longueur d’Ondes (longueurdondes.com) , le jeune Baptiste Ventadour seul sur scène en homme-orchestre ouvre à la guitare une 1ère partie très enjouée et captivante, donnant une belle introduction à cette soirée. C’est très affectueusement que le public accueille ensuite Eiffel : Romain Humeau, leader charismatique chanteur-auteur-compositeur, au look inhabituellement « roots » avec ses quelques longueurs de cheveux en plus, sa femme Estelle à la basse et au clavier, Nico (Nicolas Courret) à la batterie et Nikko (Nicolas Bonnière) à la guitare. Ils sont accompagnés d’un 5ème membre, Damien Pouvreau, guitariste polyvalent passionné de théâtre et de musique baroque.

Le combo très complice et bien rodé montre un réel plaisir à jouer. Il livre une setlist composée de 22 morceaux dont le tiers est consacré à leur dernier opus, le reste des chansons est puisé dans chacun de leur 5 autres albums, sans en oublier aucun, offrant une rétrospective équilibrée sur l’ensemble de leur carrière, de quoi ravir les « ahuris », surnom des fans de la 1ère heure en lien avec le titre du deuxième album Le quart d’heure des ahuris.

Eiffel entame la soirée tout en douceur dans une ambiance tamisée bleutée, intimiste et chaleureuse, avec “Place de mon cœur” de l’album Foule Monstre joué pratiquement en acoustique. L’énergie prend vite le dessus lorsque le groupe enchaine avec “Sombre”, un des morceaux les plus emblématiques de leur répertoire, rock et toujours aussi puissant. Pas de répit avec l’entrainant “Cascade”, de Stupor Machine aux paroles percutantes et répétitives reprises en cœur par le public : « Ils ont connecté la masse et enfiché l’espoir. Monte un tsunami crasse qui nous déborde en cascade. Les hommes en cascade, les hommes en cascade… ». Pour reprendre son souffle, de belles chansons parlant d’amour s’intercalent, romantiques, comme
“Inverse moi”, du tout premier album « Inverse le cours du temps, Inverse-le pour que nous restions beaux amants » ou encore la somptueuse “Chasse Spleen” du dernier disque, porteuse d’espoir :

« Je t’aime ici
Je t’aime avant
Depuis longtemps
À l’infini
Come prima
Sonnez matines
À l’instant Karma
Où l’amour gueule et chasse spleen… »

Les derniers textes sont toujours aussi accrocheurs, souvent alarmistes ou dénonciateurs de l’état du monde comme dans “Oui” qui scande « Sauve les banques mais pas la planète… Politiques, haut-patronat, lobbies, GAFA, architectes du terrorisme » ou encore “Miragine”, ils soulignent le recul de la démocratie, l’utilisation néfaste faite de la technologie, la manipulation des foules et la résignation des êtres humains à accepter leur sort malgré les incohérences du système « Dans le trémail de la médiasphère, je ne suis qu’air et elle l’éventail ». Leur côté sombre volontairement exagéré se trouve mis en exergue par le tourbillon d’évènements inimaginable traversé depuis le début de tournée. Ces dernières dates ont une résonance différente et plus grave.

Au beau milieu du concert, la soirée prend un tournant particulier, lorsque Romain dédicace la magnifique chanson de circonstance “Milliardaires” à Emmanuel Joux, producteur de Eiffel le film Do It Yourself, décédé subitement quelques jours auparavant et qui aurait dû être présent ce soir-là au Trianon. Un Romain Humeau comme ont l’a rarement vu, visiblement très ému et touché comme tous les autres membres du groupe par la mort d’un ami « Manu a fait plein de choses pour plein de gens, pas que pour nous loin de là, il a fait une folie, mais c’était un peu son un truc, de produire un film sur Eiffel, qui est fini, qui existe, et qui a été diffusé à l’Utopia de Bordeaux en septembre, il était là d’ailleurs, il a parlé très timidement et il était comme un gamin, c’est triste et inattendu, le film est réussi et on se dit avec Eric Bougnon le réalisateur que ce film sortira ! »

Comme libérés du poids de l’émotion, les morceaux s’enchainent ensuite avec fougue, continuant de mettre en avant le dernier album dont le titre évocateur de « machine à effroi » fait bien écho à l’actualité. Vraiment contextuel, le sens des paroles prend encore plus de profondeur, et le live n’en est que plus intense. Comme à chaque concert d’Eiffel, les musiciens sont excellents, le son est parfait, la voix de Romain d’une justesse infaillible, les mots claquent et transportent le public. La complicité entre chacun des membres du groupe est évidente, leur joie est communicative. Les ingénieux jeux de lumières apportent énormément à l’ambiance grâce au travail remarquable de Stéphane Lemée à l’éclairage : La révolte s’affiche en rouge sur “À tout moment la Rue” (peut aussi dire non). Les effets stroboscopiques déjà présents en début de set sur “Il pleut des cordes” tels des éclairs s’invitent de nouveau sur le très punchy “Big Data” rendant cette chanson encore plus apocalyptique.  Le bleu ramène de la douceur aux moments opportuns.

C’est un superbe concert qui s’achève au dernier rappel avec 2 morceaux mythiques d’Abricotine, le premier album d’Eiffel d’abord avec “Hype” dont l’interprétation prend beaucoup de liberté par rapport à la version originale et sur laquelle Romain s’amuse beaucoup, toujours avec son fameux lâcher de gros confettis par quelques fans au-devant de la scène et par lui-même, puis se conclu avec la classique reprise du texte de Boris Vian “Je Voudrais Pas Crever”.

Le groupe quitte la scène sous un tonnerre d’applaudissements, pour combien de temps, personne ne pourra le dire. Le public peut néanmoins prolonger son plaisir sur la tournée de Romain Humeau en solo actuellement, sans être trop déstabilisé.

EXTRAS

Message d’Éric Bougnon sur les réseaux sociaux

« Ce soir le groupe Eiffel jouera au Trianon, mais il y aura un absent dans la salle : mon ami et producteur Emmanuel Joux. Philanthrope au grand cœur qui m’a accompagné pendant 8 ans pour que mon film – EIFFEL LE FILM Do It Yourself – voie enfin le jour. Je me sens tellement triste et orphelin depuis sa brutale disparition…un vrai esthète dans l’âme, un mécène à l’ancienne qui a aidé tellement de gens…des groupes de rock aux artistes peintres, des photographes aux poètes ou encore du restaurateur du coin au chauffeur de taxi en passant par son équipe de rugby… Son altruisme, sa générosité et sa gentillesse étaient infinis. »

Eiffel, le film (réalisé par Éric Bougnon et produit par Emmanuel Joux) :

Le film retrace les 20 ans de carrière du groupe. L’originalité d’Eiffel est de toujours repartir de zéro. Leur trajet est ponctué de victoires et de défaites, mais depuis 1997, ils sont toujours là, intransigeants, sans compromis, fidèles à leur éthique. Cette longévité est due à l’obstination de leur leader charismatique Romain Humeau, maître d’œuvre laborieux à la créativité foisonnante, excessive, maladive, addictive. Sans jamais dévier de leur route, affinant encore et toujours la technique du Do it yourself, ils ont mis en route leur propre système pour rester libres face aux rouages de l’industrie du disque.

Texte: VALÉRIE BILLARD
Photos: CAROLYN. C (galerie ci-dessous) et VALÉRIE BILLARD (photos dans le texte ci-dessus)

Stupor machine / Pias

Site d’Eiffel

 

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