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A MOVEMENT OF RETURN

 

Avec la sortie quasi-simultanée de deux EPs pensés comme deux angles d’exploration de l’être, l’un extérieur (Safe Harbor – Lightness) et l’autre intérieur (Safe Harbor – Darkness), le trio shoegaze originaire de Bourges sonde les profondeurs de l’âme en enveloppant son travail exploratoire d’une esthétique qui se nourrit de littérature et de philosophie. C’est à la fois chaud et glaçant, et surtout particulièrement réussi.

 

 

Parle-nous de A.M.O.R que tu as créé je crois en 2013, comment est né le projet ?

Fred Parquet : « J’avais un précédent projet qui se nommait Mechanism for people auquel j’ai mis fin en 2012 après un EP et un album chez Les Disques Normal. J’avais quelques ébauches de morceaux et quelques idées assez précises sur ce que je voulais faire: accorder une place entière aux instruments électroniques tout en conservant des murs de guitares saturées ce qui en soit n’est pas nouveau, mais j’ai cherché des couleurs et des assemblages en me re-penchant sur ma formation classique. Durant la même période j’ai travaillé avec de jeunes vidéastes qui avaient besoin de bande-sons pour leur travail d’école, cela m’a permis de mettre en forme des embryons de morceaux non formatés qui ont donné naissance à de vrais titres. Je connaissais déjà Stéphane Merveille qui oeuvrait sur le label Monopsone , il a écouté les titres et m’a soutenu auprès du label. Le premier album Half sin, half life est né et c’était le début d’A.M.O.R.»

Il y a beaucoup d’influences dans ta musique, du shoegaze, mais aussi un coté très sombre. Quels sont les groupes qui t’ont le plus marqué et qui t’influencent encore ?

Fred : « Le shoegaze tient une place à part il est vrai dans le départ du projet. Du moins l’idée que je me fais du shoegaze qui, pour moi, est centré sur My Bloody Valentine. Kevin shields est un musicien remarquable, les accords utilisés sont toujours très particuliers. De nos jours, le terme shoegaze est utilisé parfois en toutes circonstances sans que l’on en comprenne très bien la raison. Avec le temps je me dégage un peu de cette influence. D’autre part, j’ai toujours eu un lien très fort avec les groupes un peu “dark”. Ma préférence ira aux Sisters of Mercy et aussi à Siouxsie and the Banshees pour les plus connus . Il y a une énergie très particulière chez les Sisters, je les écoute encore souvent. Dans cette mouvance, le style est très présent, et recoupe d’autres branches artistiques et esthétiques tant dans l’imaginaire que dans le sens, même s’il faut parfois admettre un côté théâtral, qui a cependant son charme.»

Safe Harbor est le troisième album du groupe, que vous sortez en 2 parties : la lumière et la pénombre (Lightness et Darkness), qui correspondent à l’extérieur de l’être (la partie claire) et de l’autre coté à l’intériorité (la partie sombre). Comment t’est venue l’idée de présenter deux parties totalement contrastées ?

Fred : « La dualité de l’être été un thème central pour moi. Je parle de dualité psychique, nos contradictions, nos aspirations contraires générées par la méconnaissance de notre désir profond. La composition des titres de Safe harbor s’est échelonnée sur 2 ans et au fil du temps je me suis rendu compte que mes compositions « s’assombrissaient » à mesure que j’explorais un domaine un peu plus « analytique » dans les textes. Au final , deux pôles se dégageaient naturellement, sans que l’intention en soit l’origine. Le déclic final a été le visuel et des discussion avec Stéphane Merveille où tout a pris un sens explicite lors de la mise en forme de l’artwork.»

 

 

Darkness commence par le titre “54”, clin d’oeil à Lacan qui disait : « Aimer c’est donner ce que l’on a pas à quelqu’un qui n’en veut pas ». Les paroles sont très explicites : « wasting time to love your… your hysteria… ». Est-ce que la noirceur de l’être vient de ce malentendu amoureux ?

Fred : « Cette phrase de Lacan interpelle toujours, c’est d’ailleurs sa fonction première je suppose. Le texte traite de « l’hystérie », thème cher à la psychanalyse, et de la confusion de son propre désir dans le désir de l’autre. La noirceur n’est pas loin quand il y a perte d’identité au travers de la relation. S’il y a un malentendu, il n’est pas de l’ordre amoureux mais pathologique, et entraine bien évidemment un chaos intérieur où le noir est une bien belle teinte. « Donner ce que l’on a pas » n’est pas « donner ce que tu désires ». Aimer est sans doute pour beaucoup la chose la plus difficile et problématique de l’existence, peut-être en est-elle le but. Aimer ce que nous sommes (pour citer Christophe) est déjà un bon point de départ. »

Darkness finit sur un titre inspiré d’une nouvelle de l’écrivain et prof de philo Claude Louis-Combet. C’est important toutes ces références littéraires et philosophiques dans ton écriture ? 

Fred : « J’attache beaucoup d’importance aux textes. En cela, je suis aidé par un ami, Nicolas Germain, qui maitrise la langue anglaise et écrit également. Je jouais avec lui dans le groupe Horses Eat Sugar (chez whosbrain records). Claude Louis-Combet est un écrivain peu connu mais chez qui je trouve toujours la beauté, la noirceur et l’élévation. Il n’y a pas de message à proprement parler dans les textes, mais une recherche esthétique et, de façon générale, il y a toujours une problématique dans chaque titre, un rapport au réel et sa répercussion intérieure dans l’être

Vos premiers albums étaient chez Monopsone, super label français qui a malheureusement dû arrêter. Comment vous avez géré pour cet album ?

Fred : « Le label a cessé son activité alors que nous avions finalisé les 10 titres. Nous nous orientions alors vers une auto-production, puis j’ai contacté Martial du label Les Disques Normal que je connaissais de longue date depuis un précédent projet. Il a accepté de sortir l’album, un peu dans la précipitation il est vrai, mais tout était prêt. Nous n’avions pas envie d’attendre encore des mois aussi la sortie numérique a-t-elle eu lieu début janvier. La sortie physique sera complète fin janvier pour les deux CDs. »

Pourquoi 2 EPs plutôt qu’un LP ? Quitte à faire un double 12” à 45T ? Pourquoi pas de vinyle ?

Fred : « Nous voulions à la base sortir un vinyle qui n’aurait pas de face A et face B, seuls deux visuels sur la pochette et le nom du groupe, en gardant les deux parties darkness et lightness. Hélas, la production de vinyles à moins de 300 exemplaires devient très compliquée, voire impossible en ce moment. Stéphane a eu l’idée de décliner alors les deux visuels de façon conceptuelle en deux CD distincts. Cela a permis de conserver l’idée première, de façon explicite, même si un beau vinyle nous aurait plu, ce sera peut-être pour plus tard. »

 

 

On parle de la superbe pochette de Stéphane Merveille… qui a eu l’idée de cette mariée un peu perdue dans la forêt qui représente la symbolique lumière/noir encore une fois ?

Fred : « J’ai eu cette idée il y a quelques temps en lisant des nouvelles de Claude Louis-Combet. Nous avions fait quelques essais avec Jeff le guitariste et Sophie (modèle photo). Je cherchais un symbole fort, à consonance inconsciente sociale élevée, ayant un rapport au sacré. L’idée était de déplacer ce symbole dans un contexte indépendant de l’activité humaine, un lieu lui aussi « sacré » qui deviendrait de fait « consacré ». L’image devient alors très poétique et également torturée voire tragique et questionne inévitablement sur les raisons et le destin de cette mariée, voire de son existence même. Stéphane a été emballé par cette idée et a réalisé de superbes photos, renforçant graphiquement toutes les idées premières

Quels sont vos projets ? Des dates de live ?

Fed : « Nous serons en concert le 4 février au Jardin Moderne à Rennes, pour les 15 ans du label Les Disques Normal. Beaucoup de groupes du label se produiront pendant 2 jours, il y aura également une exposition sur le label. Pour le reste, trouver des dates est assez difficile, c’est un exercice assez ingrat auquel je ne me livre plus. Nous aimerions bien entendu jouer sur scène davantage, donc si il y a des demandes… avec plaisir ! »

Lightness est déjà disponible en CD. Quelle est la date de sortie de la deuxième partie Darkness ?

Fred : « Darkness est sorti en numérique le 14 janvier, le CD sort le 28 janvier. »

 


 

Safe harbor – Lightness

Les Disques Normal

Exploration extérieure de l’être, cette première partie débute avec “ADN”, tout d’abord enveloppé de nappes de synthés avant que le rythme ne s’accélère alors que la batterie et les guitares saturées rentrent en piste jusqu’au début de “You are”, le morceau suivant. Puis, on enchaîne avec  “Dreams” et “Secret heart” aux allures de ballades post-rock.  “Flowers” ferme le premier volet sur une note un peu plus angoissante, comme pour sonner l’urgence du réveil d’un corps et d’un esprit engourdis trop longtemps, ou peut-être pour annoncer la tempête intérieure promise par le disque suivant.

Safe harbor – Darkness

Les Disques Normal

Changement d’ambiance dès les premières notes, aussi sombres que le fond des catacombes, voyage au plus profond de l’être, sur fond de troubles liés à l’amour et l’hystérie alors que les paroles « you give me something you don’t have», référence Lacanienne, résonnent dans tout le corps. Puis viennent les incantations de “Dark” suivies de guitares reverbérées dans le style du premier The Church et des Sisters of Mercy. Plus le disque avance, plus l’on s’enfonce, happé comme dans une spirale avant de toucher le fond avec les splendides “A strange void” et “While eel”. “Crucifixa”, inspiré d’une nouvelle de Claude Louis-Combet, vient poser une dernière couche de noir sur le diptyque Safe harbor, tellement riche qu’une seule écoute ne saura en révéler tous les secrets.

Clip “White eel”

 

>> Site

>> Lien d’écoute vers Safe Harbor – Lightness

>> Lien d’écoute vers Safe Harbor – Darkness

Entretien et chroniques albums : Xavier-Antoine MARTIN

Crédits Photos : Stéphane MERVEILLE / Jean-Marc SURRAND / Jack TORRANCE

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