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RODOLPHE BURGER

Rodolphe Burger @Jack Torrance

Programmation : l’œil de l’artiste

De cartes blanches à l’organisation de bals populaires, en passant par la création d’un festival, Rodolphe Burger pratique la programmation sur proposition : inédite, originale et non reproductible. Réflexions et pas de côté dans l’art de construire de belles affiches.

Une programmation, c’est d’abord une histoire de géographie. À Rouen, il y a, par exemple, cette longue promenade qui glisse tout au long de la presqu’île Rollet. Un point de vue inattendu sur la ville et le port qui est devenu la base du festival Rush dont Burger a pris en main l’édition 2018. Parce que c’était beau et parce que l’ami Bertrand Belin lui a chaudement recommandé l’équipe, l’énergie, les rencontres.  Version solaire, une programmation c’est une réputation, une envie de travailler ensemble. Version ténèbres, c’est pour le guitariste alsacien une petite cuisine qui fait des festivals  « la vache à lait des tourneurs. » Le jour et la nuit, on peut proposer de magnifiques affiches (type We love Green 2018) ou choisir d’ignorer la variable d’actualité promotionnelle pour une proposition chaque fois particulière, à la fois artistique et économique.

Surprise sur prise

Artistique ? « J’ai proposé à Sarah Murcia de jouer dans une mine d’argent (Never mind the future – C’est dans la Vallée 2015, Sainte-Marie aux Mines).  Les gens sont venus à 11 h du matin avec des casques et des bottes. » Parce qu’une programmation doit surprendre (« Je rêve d’un festival où l’on ne sait pas qui va se produire, on viendrait pour la surprise, et parce que l’on fait confiance »), ce qui n’est pas la formule la plus en vogue aujourd’hui. « Je me méfie de ces performances toujours ultra-formatées durant lesquelles on ne peut finalement pas proposer grand-chose. » Reste que rien n’est jamais joué d’avance et que, chaque fois, tout peut basculer. « Nous étions programmés au festival de Roskilde avec Kat Onoma… Un truc improbable, concert à midi, pas de balances. On arrive au dernier moment et là, des milliers de gens qui connaissaient visiblement nos chansons. » Ingrédient indispensable du succès d’une programmation aventureuse ? Diffuser localement la musique des invités les moins connus en amont de l’évènement…

Ne pas abandonner la population locale

Burger a souvent fonctionné avec un budget plus que ric-rac. « Pour le bal du 14 juillet en Avignon, il y a des artistes qui ont rigolé lorsque je leur ai fait ma proposition… » Et d’autres, en revanche, qui rêvaient de se retrouver devant 12 000 personnes sur la scène du Palais des Papes. Burger imaginait quelque chose avec Dave qui aurait bien voulu mais : «  Le 14 juillet, pour nous les mecs de la variété, c’est le jour où l’on fait le gros de notre recette annuelle ! » Évidemment… Mais la programmation, c’est aussi, par exemple, se poser la question suivante : pourquoi le bal avignonnais n’est-il pas intégré à la programmation du festival ? « J’étais tombé sur une lettre de Jean Vilar qui demandait à la municipalité l’autorisation de s’occuper des fêtes… Mais en vain. » Il faudra la pugnacité d’Hortense Archambault et Vincent Baudriller qui dirigent le festival entre 2004 et 2013 pour arracher un accord  administratif  à la municipalité. On sait ce qu’il en a été. Un public enthousiaste, des commerçants ravis et la formule Burger qui commence à s’affûter : un orchestre carré, capable de très bien jouer (« Jouer “Sex machine”, c’est du sérieux, il faut être très bon. ») et, surtout, des invités surprise qui font rêver tout le monde. « D’un coup, Higelin monte sur scène, les mecs n’en croient pas leurs yeux… Ensuite vient Christophe qui chante “Les mots bleus”… Tu as le tube et tu as la star, c’est énorme. »

Rodolphe Burger @Jack Torrance

Le génie du lieu

 

Surprises, rencontres et, si possible, mélange des genres : on trouve de plus en plus de conférences, d’ateliers culinaires dans les festivals. À Rouen, les interventions du plasticien Hugue Reip et de la philosophe Agnès Gayraud. À Sainte-Marie aux Mines, le concert de Burger et Stephan Eicher au très bourgeois Théâtre municipal n’est pas sitôt terminé que l’on annonce in extremis un concert du Couscous Clan (avec Rachid Taha) à suivre, dans le bar nord-africain du coin. Et c’est l’autre grande idée du programmateur : recréer du lien entre les gens, envoyer des messages. Au Printemps de Bourges, cette année, on cherche la parité homme/femme. À Sainte-Marie, on s’inquiétait de l’extrême droite : « Je n’ai jamais voulu faire “Rock against the facism” mais c’est important de ne pas abandonner le territoire au Front National qui a toujours été très implanté ici. » Ainsi cette façon de reprendre un standard de la culture alsacienne, accompagné par la mandole d’Hakim Hamadouche. Puis en Avignon, refuser le fait que la population locale abandonne la ville aux Parisiens et ne se cantonne aux bords du Rhône, le soir du 14 juillet, pour le feu d’artifice…

Un festival et sa programmation, c’est donc aussi une manière de relier un territoire. Burger évoque, par exemple, ces Vieilles Charrues, ce centre de la Bretagne qui reprend appui sur l’amphithéâtre naturel de Kerampuilh avec ses 5 000 bénévoles pour faire face à l’autre Bretagne, celle du riche et vieux Gréement. Et c’est cette communauté qui va structurer le public des Charrues, assurer sa réputation parmi les tourneurs et garantir ainsi une programmation de grande qualité (en 2018 : Lomepal et Marquis de Sade, Roméo Elvis et Mogwaï, Orelsan et Lysistrata, etc.). Encore une occasion de surprendre pour celui qui est l’invité permanent du festival breton et profite de sa carte blanche pour présenter des artistes qui n’auraient peut-être pas eu la possibilité de jouer sur une telle scène, tel James Blood Ulmer, brillant héritier d’Ornette Coleman en version blues. Génie du lieu… Burger se souvient d’un rendez-vous avec Adrien Zeller, alors député du Bas-Rhin, qui se demandait à haute-voix pourquoi l’Alsace n’avait pas de festival rock à la mesure de ses équipements publics. Et le musicien de répondre qu’il manquait peut-être l’essentiel : l’envie de connecter les gens et les communautés.

« Un festival, ça doit gagner de l’argent ? »

 

Relier le territoire, en reformuler une proposition inédite autour de laquelle, en effet, une programmation peut se déployer. À Sainte-Marie aux Mines, l’équipe investit une ancienne chambre patronale du textile, fermée depuis des années : « Et là on tombe sur des collections de livres, des partitions pour les orchestres qui jouaient au théâtre pour les notables », et cette idée paternaliste d’élever la conscience populaire grâce à la culture. À ce stade, on peut se demander si le festival C’est dans la vallée n’est pas une continuité de cette posture « philanthropique », avec cette fois non plus le grand patron, mais l’artiste connu qui met en lumière une région abandonnée, en commençant par lui consacrer un disque (incroyable d’ailleurs) avec Olivier Cadiot, On n’est pas des Indiens, c’est dommage (1999). Burger est dubitatif, indiquant qu’il fait son festival, « pour le plaisir » et non pas « par dévouement ». Il pointe en revanche le fait suivant : « Pour être respecté des financeurs, publics ou privés, un festival doit gagner de l’argent… », ce qui n’est évidemment pas le cas de celui-ci, sans véritable logistique professionnelle et qui fonctionne à l’amitié et à la gastronomie locale… Mais n’est-ce pas ainsi, justement, qu’ont démarré les Vieilles Charrues ?

Rodolphe Burger @Jack Torrance

Programmateur amateur (ou presque)

Outre le festival C’est dans la vallée, né en 2001 dans l’idée de créer un meeting d’artistes qui associe le public, Rodolphe Burger a organisé et programmé la prestation de divers artistes venus de tous horizons lors du bal du 14 juillet, sur l’île de Batz, en clôture du festival d’Avignon et à Sainte-Marie aux Mines. Il a régulièrement utilisé sa carte blanche pour inviter des musiciens à monter sur la scène des Vieilles Charrues. Parce que, souvent, l’invitation est le prélude à une collaboration. Cette année, il était en charge de la programmation du festival Rush, composée autour du thème de la transe.

>> Site de Rodolphe Burger

 

Texte : Antoine Couder

Photos : Jack Torrance

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