Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

SERGE TEYSSOT-GAY

…entrevue en Zone Libre !

SERGE TEYSSOT-GAY

Il dit qu’avec le temps, il a appris à mettre des mots sur sa musique mais qu’avec sa guitare, « il se comprend mieux ». A l’heure où paraît le premier volet de PolyUrbaine, Serge Teyssot-Gay nous a longuement parlé du nouveau projet rap / rock de Zone Libre, son groupe à géométrie variable. Suivant depuis une bonne décennie un chemin tracé à l’écart des autoroutes du rock, celui qui a été “le son“ et une bonne partie de la conscience politique de Noir Désir défend une musique improvisée ouverte sur le monde mais lucide.

Quelle dimension politique mets-tu dans la musique ? 

Waouh, il y a énormément de choses ! Je réfléchis par rapport au monde actuel et je vois l’étendue du désastre qu’amène ce monde marchand, ultralibéral. Actuellement, on est quand même en train de discuter la déréglementation du marché du travail parce qu’il n’y a soi-disant pas assez de souplesse dans la façon d’embaucher ou de désembaucher les gens. Quand tu as en Allemagne des travailleurs qui sont payés 1 € / l’heure, c’est juste pas possible. J’ai assez peur de voir où est-ce que l’on va en France… Dans le monde de la musique, l’industrie – je veux dire par là les marchands, les majors – tue littéralement l’espace qui est dédié à la diversité musicale. C’est super grave parce qu’ils font cela en imposant une sous-culture qui est complètement uniforme et envahit tout. Forcément, je m’oppose à ça parce que je défends “une musique qui est à vivre, pas à vendre“, comme le dit Bernard Lubat. 80 % de ma musique est totalement improvisée… L’industrie, quant à elle, attend des artistes qui se vendent comme des produits, qui produisent des shows. On est loin d’une création libre qui propose, qui invente des choses ou qui amène simplement de la diversité.

Zone Libre 1 - Ced ForbanIl y a deux ans, au moment où sortait le troisième disque d’Interzone, Waiting for spring, tu me disais « rechercher le maximum d’ouverture possible dans les rythmes, dans le sons ». Avec tous les projets que tu poursuis en ce moment, as-tu l’impression d’arriver à cela ?

Cet été, j’ai travaillé avec une chanteuse japonaise, joueuse du biwa. Le biwa, c’est un dérivé du oud, comme la guitare classique européenne. C’est des saveurs, des nouveaux goûts, parce qu’il n’y a pas de rythme défini. Tout est suggéré, ce qui est vachement agréable, le son est proche du oud, des sons très courts. J’ai joué avec elle et Gaspard Claus, un violoncelliste qui est un super improvisateur. C’était ma dernière découverte… Pour répondre à ta question, je ne peux jamais avoir le sentiment de finir quelque chose parce que je découvre tout le temps et je le ferai toute ma vie. Je m’éclate, je prends énormément de plaisir à travailler régulièrement avec tous ces gens. Parce que je les quitte pour aller sur un autre projet puis je les retrouve avec le bagage que j’ai accumulé entre-temps. On a ce plaisir de se retrouver, de redialoguer dans l’improvisation. On se montre de nouvelles choses et ça nourrit notre musique. C’est un écosystème en évolution permanente.

Sur PolyUrbaine, où tu explores la polyrythmie et des rythmes à 5, 6 ou 10 temps, on entend clairement le travail de recherche rythmique que tu as mené sur Interzone avec ton ami, le joueur d’oud syrien Khaled Al-Jaramani.

Effectivement, il y a une grosse influence de mon travail avec Khaled, même si aucun rythme de PolyUrbaine ne vient du Moyen-Orient. Pour la plupart, je les ai inventés… J’avais commencé cette recherche avec Noir Des’ sur ce long morceau qu’est « Europe », qui est un riff en 7 temps, et puis après, je faisais instinctivement des rythmes comme ça. Mais jamais je ne l’avais abordé avec Zone Libre, c’est la première fois. Si je fais ça en fait, cela tient compte d’un ensemble précis. PolyUrbaine part d’un aller-retour entre l’observation que je fais des gens qui habitent en périphérie des centres-villes et en même temps, de l’énergie qu’ils développent pour exister, pour se confronter au quotidien. Cette énergie positive, c’est celle que j’ai essayé de retranscrire en musique.

Zone Libre 2 - Ced ForbanC’est-à-dire que tu t’es rendu dans des cités et tu as observé comment les gens vivent ? 

Non, j’habite là depuis 25 ans ! Ça ne concerne pas seulement la vie des cités, mais toutes nos villes multiculturelles et tous ces gens qui vivent en périphérie des centres-villes. C’est une observation qui m’a pris presque toute ma vie, de façon plus ou moins consciente, mais cette fois-ci, je me suis focalisé sur cette énergie qui va dans le sens de la vie. Et puis, je suis aussi parti de l’énergie de la ville. Une ville, c’est une création permanente. J’ai donc voulu rendre compte de la sensation que j’ai de tout ça et cette sensation, elle passe forcément par le filtre des influences musicales qui ont transformé ma façon de voir les choses. Il y a le rock, le rap, les musiques africaines, les musiques orientales. Par exemple, l’afro-beat, je ne l’ai jamais fait remonter dans ma musique mais il était temps que ça vienne. Jusqu’à présent, j’ai eu tendance à faire une musique assez sombre, mais cette fois-ci, je voulais dire : « Ok, c’est le bordel ! La vie en banlieue n’est pas facile. Mais il y a une énergie fabuleuse et j’ai envie de la montrer ».

Comment Mike Ladd et Marc Nammour ont-ils rejoint Zone Libre ?

Tout est parti d’une carte blanche au Festival Beauregard que l’on m’a proposée à l’été 2013. D’abord, j’ai juste pensé à la forme du groupe, j’ai appelé tout le monde, je leur ai dit : «  Vous êtes partant ? C’est dans un an… Ouais ? Ok ! On se recontacte ! » Je trouvais intéressant de les réunir quelques jours avant que l’on fasse notre premier concert, sans qu’ils se connaissent. Marc travaille déjà avec Zone Libre sur une adaptation du Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire. C’est quelqu’un qui travaille beaucoup ses textes en amont, qui a un flow extrêmement précis. Il me donne l’impression de planter ses mots sur la musique. Mike, je le vois pour d’autres choses, en parallèle, je bosse avec lui depuis 2007 et on a fait ensemble Sleep Song, un superbe projet qui parle entre autres des vétérans de la Guerre d’Irak. Il vient de la musique improvisée, du free-style. Comme Saul Williams, il fait partie de ces gens qui savent créer en temps réel avec des mots. A la fois, il est dans la poésie et il se tient très au courant de comment marche le monde. Au lieu de se dire on va répéter, je trouvais intéressant, pour faire évoluer Zone Libre ensemble, de se dire : « Non, on structure rien du tout… » Je pense qu’au fond, j’ai besoin de l’incertitude qu’amène ce travail. En règle générale, l’improvisation est toujours une promesse de richesse musicale et donc, humaine.

Zone Libre 5 - Ced ForbanComment sont venus les textes ? C’est toi qui a parlé de ces thèmes à Marc Nammour et Mike Ladd ou ce sont eux qui sont venus te voir avec leurs textes ?

C’est moi qui leur ai parlé de ça, en fait. Avant tout, la base musicale de ce projet est la confrontation de mes riffs aux idées musicales de Cyril (Bilbeaud – l’autre moitié du groupe Zone Libre. NDLA), à son jeu de batterie. Une fois que l’on a cela, je fais appel à Mike Ladd et à Marc Nammour, car je sais que mes préoccupations sont également les leurs. Le thème est donné, mais pour le développement de cette idée, ils font ce qu’ils veulent. A mon sens, Marc a ce talent immense de  mettre en forme des scènes de la vie courante sous forme de nouvelles, comme sur le texte qui parle de son enfance à Montreuil… J’étais super heureux qu’il en parle ! Les textes sont assez sombres en général mais il y a des textes positifs comme « Je suis », parce que tu ne peux pas rester sur un constat négatif, c’était important qu’il y ait un équilibre.

Après ce disque, quel avenir y’aura-t-il pour PolyUrbaine ?

Je considère PolyUrbaine comme un projet qui va évoluer. Après la tournée, je vais enregistrer à partir des bases musicales de ce disque un album instrumental avec des vents, Médéric Collignon au bugle et Akosh Szelevényi au saxophone ténor. J’y travaille cet hiver, c’est un album qui sortira au plus tôt au printemps, au plus tard à l’automne prochain, et qui donnera lieu, je croise les doigts, à des concerts à quatre. Ce sera Zone Libre PolyUrbaine quelque chose. Il y aura aussi un autre volet, avec Mike Ladd et Marc Nammour et les mêmes vents. Ce sera une création pour le ‘in’ du festival d’Avignon l’an prochain dans un beau lieu, je recroise les doigts. A partir de là, le projet pourra vivre en sextet, en 2017. Et il y en aura encore un dernier volet, qui va terminer l’aventure à quatre, juste pour aller voir les gens qui vivent en périphérie des grandes villes. L’idée, c’est juste d’aller dans la ville, de se poser et de jouer gratuitement pour eux.

Zone Libre 3 - Ced ForbanTu as beaucoup de projets expérimentaux comme Trans que tu mènes avec la violoncelliste Joëlle Léandre. Est-ce qu’aujourd’hui, tu te vois revenir à du rock très accessible comme c’était le cas avec Noir Désir ?

J’ai aucune envie de faire ça ! Ça ne m’intéresse plus depuis très longtemps. Il faudrait vraiment que quelqu’un me donne envie… J’ai une démarche de chercheur, je veux plutôt développer des choses que je n’ai jamais pu faire en guitare. Par exemple, je n’avais jamais fait de concert en guitare solo et j’ai commencé à faire des « solo » en Chine il n’y a pas très longtemps. Si on m’avait dit que j’étais le Pape, c’était pareil. Mais la vie passe, c’est une occasion, pourquoi ne pas faire cela ? Jusqu’à présent, j’ai toujours eu besoin du contact avec les autres pour avancer. C’est pour cela que depuis dix ans, je n’ai pas cessé de faire des duos qui peuvent devenir des groupes. Pour moi, le duo est l’entité la plus riche, c’est là où l’on va le plus en profondeur dans l’émotion.

Bastien Brun

Photos Ced Forban

Site web : http://www.sergeteyssot-gay.net/site

ARTICLES SIMILAIRES