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DEBOUT DANS LES CORDAGES

Libérer les consciences

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Avec Debout Dans Les Cordages, Serge Teyssot-Gay et Cyril Bilbeaud (Zone Libre) et Marc Nammour (La Canaille), tentent ni plus ni moins de dépoussiérer la pensée humaniste et magnanime qu’est celle d’Aimé Césaire. En ces temps de clivages sociaux et culturels, l’écho du poète et philosophe noir ne semble jamais avoir si bien retenti dans l’inconscient des sociétés dites modernes. Présentation de ce projet féroce, brutal et expérimental, qui pour l’intégrité du vivre ensemble, ne doit pas tomber dans l’oreille d’un sourd. Pour cela, il est temps de rendre à Césaire ce qui appartient à Césaire…

Comment s’est formé le projet Debout Dans Les Cordages ?
Serge Teyssot-Gay :
L’origine du projet remonte à 2012 et le festival littéraire havrais “Le Goût des Autres”. C’est Gauthier Morax qui a pensé à moi. Il savait que je pratiquais la mise en musique de textes littéraires notamment depuis mon deuxième album solo qui s’appuyait sur les écrits de Georges Hyvernaud.

Marc, la lecture que tu fais des textes d’Aimé Césaire frappe par sa fluidité, est-ce là ta première expérience de ce genre ?
Marc Nammour :
Il s’agit en effet d’une première, mais j’avais déjà une histoire avec ce texte avant de le jouer, ce dernier étant resté longtemps sur ma table de chevet. Nous nous sommes portés sur cette œuvre car nous avions carte blanche pour choisir des écrits issus du mouvement des poètes de la négritude. Aimé Césaire s’est alors imposé naturellement.

Quel processus as-tu suivi pour t’emparer du texte d’Aimé Césaire Cahier d’un retour au pays natal ?
MN :
Sur les soixante pages de l’œuvre, j’en ai repris une trentaine. Les passages que j’ai choisis font partie des plus simples afin de respecter la pensée de cet homme dont le langage peut se révéler très pointu. C’est une langue très riche que nous avons voulu remettre au goût du jour afin de la rendre accessible à un large public.

Fonctionnez-vous sur la base de l’improvisation pour chaque représentation de Debout Dans Les Cordages ?
STG :
Le découpage du texte pratiqué par Marc est fixe. Pour la musique, c’est un peu différent : il s’agit d’une fausse improvisation. Non pas parce que nous réfléchissons au préalable à la musique qui accompagne le texte, mais parce que notre relation sur scène est spontanée. Cyril Bilbeaud, à la batterie, m’accompagne depuis un moment. Notre émulsion est véritable du fait que nous puissions nous répondre avec nos instruments d’une manière presque inconsciente. Je fais de la musique improvisée depuis une dizaine d’années, je trouve qu’il s’en dégage une émotion très sincère. Dans le cadre de Debout Dans Les Cordages, l’onde musicale exprimée est celle que nous ressentons sur le moment. Cette manière de faire de la musique s’est imposée naturellement et m’a empêché de me figer techniquement et artistiquement.

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Pour toi, il faut donc rompre avec les habitudes ?
STG :
Oui, en effet. L’argument est surtout politique. On vit dans une époque en perpétuelle accélération. Cette vitesse est devenue une norme qui exerce une pression sur les artistes, ces derniers s’auto-formatant face à des producteurs qui les obligent à suivre cette inflexion. Ce mouvement nourrit l’industrie musicale actuelle. Le projet Debout Dans Les Cordages est ainsi né avec le désir de s’opposer à cette norme.
MN : Cette norme nous dégoute. Elle institue une industrie du divertissement bête et méchante. On n’a pas de grief précis contre cette industrie, mais le fait qu’elle écrase et empêche des musiciens d’émerger pour des raisons de direction artistique, ça c’est problématique.
STG : Ça me fait marrer quand les gens disent que l’on se met en danger via ce projet car notre volonté a toujours été de se remettre en cause musicalement. J’aime les situations où l’on a peu de repères car cela influe forcément sur la manière d’appréhender la musique.

Comment s’opère la relation entre la musique et les mots exprimés ?
STG :
Il faut bien comprendre que la musique développée ici est l’accumulation d’un boulot d’une trentaine d’années. Elle est avant tout celle d’un duo que j’ai formé avec Cyril. La voix de Marc intervient alors comme un instrument. En tant que musicien, tu as tendance à oublier le sens des mots pour ne plus qu’en apprécier l’intonation.
MN : Bien que les morceaux du texte soient choisis au préalable, l’émotion qui en ressort à chaque lecture est différente selon le jeu musical épousé par Serge et Cyril. Leur manière de jouer influe directement sur l’interprétation émotionnelle que je vais donner à tel ou tel phrasé.

Comment qualifieriez-vous le style musical qui se dégage de cette lecture-concert ? Du shoegaze sur lequel le temps n’a plus de prises ?…
STG :
Oui, ça me semble plausible de l’entendre comme ça, car nous jouons un titre par concert dont la durée s’égrène sur un peu plus d’une heure. Avec Cyril Bilbeaud on fait des cinés-concerts en impro totale au travers de notre projet Zone Libre. Le concept de Debout Dans Les Cordages n’en est pas si éloigné au final.

La lecture d’un texte comme celui que vous avez choisi porte sur la condition de l’Homme en tant qu’esclave. En quoi la portée de cette œuvre est-elle encore légitime dans le monde contemporain ?
MN :
Ce texte va au-delà de l’esclavage. C’est un cri d’émancipation. Il ne faut pas envisager cette œuvre sous la seule condition de l’esclave noir. On peut très bien remplacer le “nègre” au centre de cette œuvre par l’indien d’Amérique d’hier, l’arabe ou le prolétaire d’aujourd’hui. C’est un message universel pour les opprimés quant à leur faculté à se redresser. Le pauvre ressent un complexe d’infériorité face au reflet que la société lui renvoie. Le texte d’Aimé Césaire doit permettre à ceux qui sont à genoux de se relever et de regagner leur dignité.
STG : La parole d’Aimé Césaire est profondément humaniste. Elle résonne comme celle d’un aîné tant sa portée philosophique et politique tend à dépasser les aspects négatifs qui gravitent dans l’être humain et qui amènent ce dernier à ressentir de la haine.

Que pensez-vous de la polémique qui entoura l’exposition sur l’esclavagisme “Exhibit B” ?
STG :
Je n’ai pas vu l’exposition, mais si son auteur s’est fait dézinguer parce qu’il est blanc, c’est une erreur. La couleur de peau doit rester en dehors du débat.
MN : J’ai été très intéressé par la réaction des gens à ce sujet. Cela démontre le danger actuel, inhérent à un communautarisme exacerbé et dans lequel il n’y a plus de valeurs ni de repères. Les défenseurs des droits de l’homme noir ont dénoncé cette exposition en l’assimilant à l’ignominie d’un zoo humain sans en interpréter le sens critique. Les mouvements pro black étaient légitimes en prônant la perte de l’histoire de l’individu noir, cette dernière étant personnifiée par l’homme blanc, mais dans le cas présent, il s’agit ni plus ni moins de censure. Le rappeur D’ de Kabal a d’ailleurs réagi d’une manière intéressante à ce sujet, en faisant valoir que la censure de l’art est une porte ouverte vers toutes les ignominies. Je n’ai même pas envie, à ce titre, d’interdire la parole d’un individu comme Dieudonné. La polémique autour de cette exposition nous a d’ailleurs empêché de jouer Debout Dans Les Cordages au 104, sous couvert et je n’ose l’espérer, que nous soyons des blancs qui évoquions un pamphlet de la condition noire.

Pensez-vous, à la vue de cette polémique, que les gens sont prêts à être ébranlés intellectuellement par l’art ?
MN :
Les gens consomment ce qu’on leur donne. Je n’ai pas envie de penser qu’ils sont des moutons. Ils ne mangent pas de la merde par choix. La pauvreté culturelle d’une personne n’est pas due à sa seule volonté. Les grands médias, maisons de disques et de production ont une responsabilité importante dans l’éducation culturelle. D’autant plus qu’il faut pouvoir prendre du recul pour se cultiver, mais le rythme de notre société ne le permet pas, la priorité du frigo encore moins…

Texte : Julien Naït-Bouda
www.bmk-agency.com/artistes/debout-les-cordages

> Présentation à Paris le 4 février 2015 à 20h, à La Scène du Canal – Espace Jemmapes
> Serge Teyssot-Gay sort en mars 2015 l’album “Trans 2 », en collaboration avec Joëlle Léandre, sur le label Intervalle Triton.
> Mark Nemmour, dit La Canaille, a fait paraître son troisième album “La nausée”, en 2014.

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