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C.Maria Vega & Imbert Imbert


Les indomptés

Ils se sont croisés sur des festivals. Ont des amis et le jazz en commun. Tous deux prennent à rebrousse-poil la chanson. Dans de sauvages épousailles. Librement, ardemment, férocement. L’une l’a ravie de sa voix d’or et de sa fougue outrée, l’autre au fil de ses phrases rugueuses brillamment troussées.

La chanson française a-t-elle bercé votre enfance ?

Carmen Maria Vega : Pas vraiment. Mes parents n’étaient pas du tout des aficionados. A la maison, on écoutait de la musique classique. Il y avait dans la discothèque un CD de Pink Floyd qui a, du coup, bercé toute mon enfance. La chanson française est venue plus tard. J’ai commencé à écouter Boris Vian, Boby Lapointe quand j’avais 20 ans. J’ai découvert Brel en rencontrant Max, mon auteur-compositeur. Mais je n’ai pas l’impression de faire de la chanson française.

Imbert Imbert : J’ai un peu de mal avec la chanson française, moi aussi. Aujourd’hui, je la trouve assez fade. C’est une belle petite prison dorée dans laquelle on essaie de nous mettre. En revanche, contrairement à Carmen, j’ai écouté en boucle Renaud jusqu’à mes 13 ans. Je ne renie rien, et surtout pas ce qu’il faisait à cette époque. Mes parents écoutaient eux, Brel, Brassens, Barbara, Ferré… Je ne sais pas si je serais très fier de réécouter toutes ces chansons, mais à l’époque, je l’étais. Mais je ne chante pas de la chanson française ! Ce que je chante, c’est l’amour de la vie, la révolte, des choses qui me touchent profondément, qui ne sont pas réductibles à telle ou telle étiquette.

On lit souvent que vous êtes punk. Est-ce là aussi une étiquette ?

II : Pareil… En même temps, j’ai longtemps porté une crête et beaucoup écouté de punk à un moment de ma vie. La colère me rapproche sûrement des punks, et peut-être aussi l’absence d’espoir, ce “no future” qui me correspond… Mais, je ne suis pas fini ! Si quelqu’un veut bien me redonner espoir, je suis prêt à y aller. Alors que le punk est un non-retour : tu te défonces, tu chies sur la gueule du monde, tu chies sur la vie. Moi pas !

Il y a tout de même, la volonté de ne pas laisser indifférent…

CMV : J’ai envie de secouer les gens, oui. Sans les malmener. Dès que tu es trop enragé, ils se referment. L’humour te permet de faire passer le message. J’essaie de doser dérision et moments plus mélancoliques. En concert, je veux garder cet équilibre, et secouer le public entre les chansons… Quand il ne remue pas assez, je le lui dis ! Ce n’est jamais agressif. Ca peut le paraître, mais ça ne l’est pas. Les gens aiment bien, de toute façon, être secoués. Tu leur lances : “Hey, bande de connards !” et ils s’esclaffent de rire. C’est limite maso, mais ça me rassure : ça veut dire que le message passe.

II : Monter sur scène, ce n’est pas anodin ! On n’y va pas pour dire la même chose que le voisin. Ce qui m’intéresse, c’est de ne pas redire ce qui a déjà été dit, même si on remet nos pas dans les pas des autres, ne serait-ce que par le petit millier de mots dont on dispose, et par la réalité qui est la même pour tout le monde depuis des siècles. A savoir : naître, vivre et mourir. Au départ de la création, il y a l’envie de surprendre. Ce que je cherche à mettre en valeur, c’est la différence. Ma différence. J’ose espérer que c’est ce qui peut intéresser le public.

Tous les deux, vous entretenez avec le public, un rapport très franc, souvent brut de décoffrage.

CMV : Ca ne sert à rien de lui mentir. Quand j’entre en scène, je me dis, pour me décontracter, que je suis dans une soirée entre potes, que l’on va faire les cons ensemble. Ceux qui ne veulent pas, tant pis pour eux. C’est peut-être banal, mais j’ai juste envie d’être sincère. On dit souvent que j’ai un personnage. Ce n’est pas tout à fait vrai. En fait, je me caricature, je force mes traits de caractère. Parfois, les chansons de Max suffisent : je n’ai pas besoin d’en faire des caisses, le texte est là, l’émotion aussi. Il peut également m’arriver de brutaliser les gens parce que je leur dis ce qu’ils ne veulent pas entendre.

II : En fait, j’ai envie d’être clair, que mes paroles ne soient pas parasitées par une forme de séduction ou de connivence feinte. Ce que je dis dans mes chansons n’est pas forcément tout rose. Il y a une certaine brutalité à chanter, à dire aux gens qu’ils se trompent de chemin (moi y compris). J’ai fait récemment une tournée des centres de vacances du CCAS, le comité d’entreprise d’EDF. Les gens étaient là pour prendre un peu de bon temps et effectivement, ça leur a fait un drôle d’effet. Certains sont venus me voir à la fin du concert en me disant : “Oui, j’ai peut-être loupé ma vie !” (Rire tonitruant de Carmen…) Je ne vais pas changer pour ne plus leur dire qu’ils se trompent. Si je suis sur scène, c’est justement pour le leur dire !

Il faut bien aussi conquérir le public, aller le chercher ?

II : Je n’essaie pas de faire se lever les gens, de les rendre heureux. J’essaie juste de chanter avec toutes mes tripes. Là est l’essentiel. Plus ça va, moins j’ai envie d’aller chercher le public. J’ai envie qu’il vienne s’il a envie, et s’il n’a pas envie, qu’il retourne devant sa télé !

CMV : Souvent, on me reproche d’en faire des caisses. Je ne m’en aperçois pas, parce que je suis comme ça. On ne force jamais les gens à frapper dans les mains… Tu peux faire tout ce que tu veux : quand ils ne veulent pas, ça ne sert à rien ! C’est pour ça que dès le début du concert, on essaie de les cueillir avec deux chansons qui plantent le décor. Comme ça, ils savent où ils sont ! Il n’y a rien de pire qu’un public qui adhère au bout de quinze chansons…

Etre honnête, c’est aussi ne pas se cacher derrière les convenances ?

II : Dans la chanson “Lalala”, sur le premier album, je chante : “J’éjaculais comme on pisse / Je faisais l’amour comme on nique.” Je l’ai écrit non pour choquer, mais tout simplement parce que c’était parlant. Ces fameux “gros mots”, ce sont des mots que j’aime autant que les autres. Ils ont une saveur, une beauté, une vérité bien à eux. Il ne faut pas s’en priver. Des mots bien comme il faut, qui sortent du dictionnaire, peuvent être tout aussi brutaux. T’as qu’à écouter Sarkozy !

CMV : Dans “Du jaune”, une chanson sur l’alcoolisme, Max écrit “Toi et ta picole / T’es qu’une bite molle / Qui n’a pas eu de veine.” Il parle juste d’une des conséquences de l’alcoolisme. T’as parfois quinze connards qui vont exploser de rire, s’ils n’ont pas suivi… Mais, généralement, il n’y a pas un bruit dans la salle. L’image est claire ; elle est parlante. Effectivement, dire “bite” sans raison, c’est vulgaire. Mais dans l’écriture, si c’est juste, il ne faut pas s’en priver. Pas besoin de mettre des paillettes et des alexandrins partout. Enfin, les chanteurs sont aussi des exutoires. Combien de gens me disent à la fin du concert : “C’est bien, mais vous dites beaucoup de gros mots !”, avant d’ajouter : “Mais, comme j’avais envie de hurler : putain, ça m’a fait du bien !”

Comment transpose-t-on la force de la scène sur disque ?

CMV : Difficilement. En studio, j’ai souvent l’impression de ne pas être à la hauteur. Je me demande tout le temps comment bien chanter pour un album, comment bien doser l’interprétation… Ce qui m’a saoulé aussi, c’est de ne plus avoir le contact avec le public. C’est pénible de se retrouver dans le caisson, d’imaginer les réactions, d’être juste dans l’interprétation, de nuancer les choses. L’avantage du studio, c’est que tu peux recommencer si tu n’es pas contente, mais je ne sais pas recommencer les choses indéfiniment. Je déteste ça, j’ai l’impression de devenir mécanique, de ne plus être sincère.

II : Il faut rester dans la force de l’instant. J’ai enregistré le premier album en deux nuits et trois jours. Pour “Bouh !”, je ne voulais pas prendre de réalisateur. Je n’en garde pas que des bons souvenirs à cause du pouvoir qu’ils peuvent avoir sur notre musique. J’avais peur de ça. Mon manager a eu la très bonne idée de ne pas m’écouter et de me présenter Jean Rochard. Il vient du jazz. Il a donc une manière totalement différente d’enregistrer. Là, on est parti six jours à Minneapolis et on a enregistré en live. Personne n’a répété. On avait juste une envie : garder la spontanéité ! On a d’ailleurs bien souvent conservé les premières prises.

Vos chansons, à l’un comme à l’autre, sont composées aussi comme des mises en scène. La musique n’est ni un habillage, ni un accompagnement.

CMV : C’est pour cela que dans notre spectacle, il y en a très peu… Je voulais au départ qu’il n’y ait pas de mise en scène, d’effet, de décor… Que ça soit nu, brut. Je voulais que la musique et les textes se suffisent. Je préfère qu’il n’y ait rien du tout plutôt qu’une mise en scène téléphonée ou déjà vue.

II : J’avais entendu Bashung parler de sa jeunesse, quand il écoutait des groupes de rock anglais et qu’il ressentait les chansons plus qu’il ne les comprenait. Quand il s’est mis à chanter, il a voulu garder ce mystère. Mais comment faire ? On revient à cette question de chanson française. On a l’impression que dès que tu écris en français, il faut que ce soit évident et génial. Alors que la beauté des mots se suffit à elle-même, surtout quand la musique joue bien son rôle, quand elle les sert et les met en scène.

Sylvain Dépée

“Carmen Maria Vega” – AZ / Universal Music www.carmenmariavega.com

“Bouh !” – Zamora myspace.com/imbertimbert

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