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Samuel Petit

Rencontre avec Samuel Petit, réalisateur du film musical La Mémoire du feu

La Mémoire du feu, album-concept qu’EZ3kiel a publié il y a un an, est décidément une œuvre aux multiples facettes. Conjuguant musique et littérature, le disque s’adossait à une nouvelle écrite pour l’occasion par l’auteur de polars Caryl Férey. Les mots, jusque-là rares dans la musique des Tourangeaux, se joignaient aux notes pour relater l’errance finale d’un couple de Bonnie & Clyde du futur, en fuite dans un monde dont sont bannis les sentiments. Le réalisateur Samuel Petit y ajoute aujourd’hui des images à travers un road movie contemplatif mêlant captation de live, scènes de fiction et chorégraphies.

Un film atypique à découvrir sur Arte Concert à partir du 12 janvier.

Arte Concert - EZ3kiel "La Mémoire du Feu"

L’idée de réaliser une déclinaison filmique de l’album est-elle venue d’EZ3kiel ou de toi ?

Samuel Petit : L’idée m’est venue en mai 2020, au sortir du confinement. Je connaissais le groupe depuis plus d’une dizaine d’années et, sans trop savoir à quel stade se trouvait leur projet, je leur ai envoyé un petit synopsis exprimant mon envie de réfléchir à un film entre live et fiction. Ils m’ont immédiatement répondu avec enthousiasme.

Le groupe semble l’avoir lancée dès la création de l’album en 2020. Quelle était alors son intention avec ce projet particulier  ? Peux-tu revenir sur sa genèse  ? 

J’avais discuté de ce nouvel album avec le groupe dès les finitions du DVD de la tournée LUX vers 2016. Je savais que le groupe souhaitais développer un album-concept autour d’une narration et de chansons. D’autre part, à la suite du confinement, puisque les concerts en public étaient interdits, nous, réalisateurs, avons eu l’occasion d’imaginer des captations live sans public et intégralement mises en scène. Cela nous permettait de proposer aux diffuseurs de nouvelles formes de concerts filmés. La volonté du groupe avec cet album était de proposer une œuvre dans sa globalité, sans single et sans clip avant sortie. Pour conserver tout le sens de l’histoire, il voulait que le disque s’écoute d’une traite, du début à la fin. Ainsi, l’idée d’un long clip hybridé avec une captation de live les a séduits.

Quelles ont été tes premières réactions à l’écoute de cet album d’EZ3kiel, très différent dans sa forme de leurs précédentes œuvres  ?

J’ai eu la chance de pouvoir écouter l’album très tôt, tout juste sorti du mixage, dès fin 2020. Je m’attendais à être surpris et je l’ai été. On retrouvait cette filiation gainsbourienne de l’album-concept, des voix mi-chantées, mi-parlées, mais aussi quelque chose qui ne ressemblait à rien d’autre. Enfin et surtout, le son d’EZ3kiel était bel et bien là. C’est toute la force de ce groupe : réussir à garder depuis plus d’une vingtaine d’années son identité musicale, tout en prenant ses auditeurs à contre-pied à chaque projet. La densité et la richesse de cet album m’ont donné envie d’y retourner instantanément, dès la fin de la première écoute. Il contenait quelque chose d’insondable qui m’a donné envie de le réécouter encore et encore.

L’approche très complète qu’EZ3kiel a du live, avec une recherche scénographique et visuelle poussée, a forcément eu un écho dans ton regard de réalisateur…

Bien-sûr  ! Je suis allé voir le groupe sur scène pour la première fois vers 2003 ou 2004 et ce fut un choc. Je me souviens de cette date comme si c’était hier. A l’époque, on ne voyait pas beaucoup de groupes français proposant une expérience de live aussi complète. J’étais impressionné et séduit par leur musique puissante, mais aussi par le travail visuel de Yann Nguema autour du groupe  : les pochettes d’album, les lumières de scènes, la scénographie et les projections vidéo. Tout était si beau ; ils sont devenus un de mes groupes français préférés. Je les ais revus ensuite en concert un grand nombre de fois. Chacun de leurs projets était une nouvelle interaction d’images et de musique. Le DVD du Versus tour 2004 est même clairement pour moi la première pierre dans mon désir d’essayer un jour de filmer la musique. Quand j’ai commencé à travailler avec eux, sur le DVD de Naphtaline Orchestra en 2011, je n’avais pas une grande expérience de réalisateur. L’exigence du groupe et surtout de Yann Nguema sur l’aspect visuel a été un moteur puissant pour moi. Chaque intention était discutée de manière constructive, je n’avais jamais connu cela avant, cela m’a poussé à m’affirmer comme réalisateur et à défendre mon regard.

Tu es spécialisé dans la captation de lives musicaux et tu n’avais donc pas jusque-là réalisé de film de fiction. Était-ce pour toi idéal, d’en réaliser un tout en demeurant dans le registre musical  ?

Je n’ai pas d’expérience en fiction c’est vrai, ni même en clip, même si ce format m’attire depuis longtemps. Cependant, dans tout ce que je fais, j’essaie, dès que j’en ai l’occasion, de rebattre les cartes et de trouver de nouvelles façons de faire, de nouvelles façons de filmer. Ce projet m’offrait l’occasion de pousser encore plus loin mon désir de casser les habitudes et les réflexes de réalisation classique, mais, effectivement je voulais partir d’une base que je maîtrisais et qui pouvait intéresser un diffuseur comme Arte : la réalisation d’une captation. Le reste était pour moi comme un saut dans le vide, alors j’ai travaillé longuement pour arriver sur le plateau de tournage en ayant tout découpé et en sachant précisément ce qui devait être tourné.

La nature narrative de l’album se prêtait particulièrement à une adaptation cinématographique, mais pourtant, ton film ne suit pas une structure narrative traditionnelle. Les parties de fiction sont muettes et entrecoupées de scènes de danse. Pourquoi ce choix d’une forme plus basée sur la suggestion  ?

Le film, comme l’album et la nouvelle, se devait d’être une pièce à part tout en répondant aux deux autres. Quand j’ai rencontré Caryl Férey pour lui demander des précisions sur son histoire, il m’a instantanément répondu qu’il ne me dirait rien de plus… (Rires) La seule chose qui lui importait était mon propre regard sur cette histoire. Cela m’a définitivement libéré. J’ai tout de même beaucoup travaillé à partir de la nouvelle pour m’inscrire en quelque sorte dans ses interstices. J’ai ainsi tenté d’imaginer des instants suggérés et contemplatifs entre les lignes, les paragraphes… Un peu à la manière d’un clip finalement. Je ne me sentais pas capable d’imaginer une forme narrative avec des dialogues, car je n’en avais sûrement ni les compétences, ni le budget. L’idée d’un film contemplatif m’a toujours beaucoup intéressé ; en tant que spectateur, c’est une forme que j’affectionne particulièrement. Je pense que les fans de Terrence Malick trouveront dans le film quelques clins d’œil à ce réalisateur de génie.

Comment t’est venue l’idée d’intégrer au film de la danse  ?

L’idée est venue assez vite. Déjà, j’avais une attirance de plus en plus forte pour filmer de la danse. Plutôt que de partir sur une fiction complexe et coûteuse à mettre en place, j’ai souhaité faire passer les émotions et les ressentis des personnages par la danse. Il se trouve qu’au moment même où je commençais à réfléchir à ce film, j’ai rencontré Johanna Faye à Paris pour un clip qui ne s’est finalement pas concrétisé. Avec son charisme et son regard, elle s’est imposée comme une évidence dans mon esprit comme la Diane du film. C’est elle qui ensuite m’a présenté Tarek Aït Meddour. Ils se connaissent depuis très longtemps et sont suffisamment proches dans la vie pour incarner l’intimité d’un couple à l’écran. Il fallait vraiment que l’on sente la passion dévorante entre Diane et Duane, sans retenue.

Le but des parties live, des parties chorégraphiées et de l’absence de dialogues dans les scènes de fiction était-il de garder la part purement sensible et émotionnelle de l’album, qui n’est pas forcément traduisible en mots  ?

Oui, pour moi la musique est une affaire de sensation. C’est pour cette raison d’ailleurs que j’écoute majoritairement de la musique anglo-saxonne, où je ne comprends pas forcément tous les textes. Ici, le texte de Caryl Férey était capital bien sûr, mais j’ai travaillé essentiellement sur la rythmique, trouver les ruptures qui me permettaient de passer de la fiction au live et inversement. Au montage, les choses se sont mises en place assez naturellement, même si ce n’était pas si évident dans mon esprit au moment du tournage, car on passe des ambiances assez sombres du live aux ambiances très solaires de la fiction. Finalement, c’est ce contraste qui me plaît.

Les chorégraphies semblent très libres. Johanna Faye et Tarek Aït Meddour se sont-ils beaucoup inspirés de la musique pour les construire ou davantage d’une sensation d’ensemble et de l’émotion des personnages  ?

La danse est effectivement construite à partir d’improvisations. Nous avions une enceinte cachée dans le décor et les danseurs improvisaient par morceaux de quatre à cinq minutes d’affilée. Au moment du montage, j’ai sélectionné des passages pour les intégrer au live. Ma conduite de narration pour la danse était que Diane et Duane sont au départ du film, ils sont aimantés l’un vers l’autre d’une façon très animale et plus le film avance plus on sent la nervosité, les angoisses et les tensions extérieures qui les brûlent.

Peux-tu dire quelques mots sur les parties live et le décor dans lequel joue le groupe  ?

Nous avons tourné dans les locaux d’une compagnie de théâtre de rue à Tours, la Compagnie Off. Nous avons investi leur atelier pour le transformer en studio et l’équipe de la compagnie nous a construit les décors. Mon idée était de travailler sur la réflexion, la dualité, le miroir. Avec le directeur photo, Raphaël Pannier, nous avons donc imaginé un plan d’eau au milieu duquel jouerait le groupe. Cela n’a pas été simple à mettre en œuvre car je n’avais pas imaginé la quantité colossale d’eau qu’il fallait pour remplir le bassin. Cependant, après quelques sueurs froides, nous avons atteint l’effet recherché. Nous avons fait trois prises intégrales de l’album sur une journée de tournage. Chaque membre du groupe a ensuite sélectionné sa prise préférée pour chaque titre et, miracle, ils avaient tous choisi les mêmes. Pour l’image, j’ai travaillé avec des intentions : je voulais éviter d’essayer de tout montrer comme dans une captation classique et plutôt orienter le regard, voire faire des choix radicaux, comme, par exemple, de ne montrer que la batterie pendant une minute au début de “Rouge sang“.

Ta caméra se concentre surtout sur Benjamin Nerot et Jessica Martin-Maresco, qui interprètent les parties narrées, et peu sur les autres musiciens. Était-ce important de les montrer comme partie prenante de l’histoire  ?

Je voulais que le couple de la partie fiction réponde au couple sur scène et comme les chansons elles-mêmes sont une petite partie d’une narration plus globale, je trouvais qu’il fallait incarner ces textes et ces mots. J’ai ainsi filmé Benjamin et Jessica comme des acteurs, comme des personnages d’une histoire.

Tu as tourné le film en Bretagne : les paysages bretons se prêtaient-ils selon toi particulièrement bien à la mise en image de cette histoire  ?

Je vis à Nantes depuis quelques années mais j’ai grandi sur la côte de granit rose et mes parents y sont d’ailleurs toujours. Ce sont les paysages de mon enfance, où j’essaie de retourner dès que j’en ai l’occasion car je ne pourrais pas m’en passer. Je n’avais jamais eu l’occasion d’y tourner même si l’envie ne manquait pas. Ce sont pour moi des paysages sublimes avec une lumière particulière. J’ai choisi cette région parce que je la connais parfaitement mais aussi parce que j’avais besoin de paysages grandioses pour trancher avec le live et pour exprimer la liberté des personnages. Mon intention générale était de commencer le film au fil de l’eau et de voir les paysages s’épurer au fur et à mesure de la cavale, comme pour signifier une solitude des personnages de plus en plus palpable. J’ai fait très attention à ne pas filmer ces paysages de façon touristique, ce qui aurait été très facile mais aurait brouillé la narration, et à en faire plutôt un décor que l’on ne peut pas réellement situer.

Texte : Jessica Boucher-Rétif

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