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Festivals et musique live

Festivals et musique live, Entrevue, Magazine Longueur d'OndesLa belle saison des concerts de plein air amène chaque année son lot de plaisirs festifs, mais aussi parfois les limites du genre : programmations répétitives, concerts raccourcis, conditions sonores aléatoires. Gérôme Guibert vient de co-écrire, avec l’économiste Dominique Sagot-Duvauroux, un ouvrage consacré à la musique live en France. Deux versants non antagonistes ni insolites pour ce dissecteur des structures afin d’en révéler les idées reçues. Sachez qu’au festival métal Hellfest pullulent les Bacs + x. Dépassant le cadre saisonnier des festivals, nous avons souhaité évoquer le cas des petits acteurs indés en manque de soutien logistique et financier, au rôle pourtant crucial pour les musiques actuelles.

LES FESTIVALS

Les festivals français sont-ils sains financièrement et pérennes ? Et ce pour la diversité des formules ; de la méga affiche au micro-festival associatif ?

Festivals et musique live, Entrevue, Magazine Longueur d'OndesGérôme Guibert : Tout dépend ce que l’on entend par « Situation saine et pérenne ». On peut dire qu’effectivement les festivals français sont nombreux. Ils sont porteurs d’une grande diversité culturelle et ils sont souvent indépendants (la France est une exception en termes de statut, puisque plus de 95% des festivals sont sous statut associatif). Il y a des très gros festivals et d’autres très petits, avec des budgets qui vont de quelques milliers à plusieurs millions d’euros. Si l’on regarde la structure des recettes, on peut dire qu’elle est en partie marchande (vente de billets) et en partie non marchande (aides, sponsors, subventions). Mais les collectivités locales (communes en premier lieu mais aussi régions) jouant un rôle majeur pour le soutien aux festivals petits et moyens, une baisse des aides publiques peut avoir un impact à la fois sur leur situation « saine » en terme de recettes et sur la « pérennité » des événements. L’État étant aussi présent sur les plus grands festivals, une baisse de son soutien pourrait également avoir des conséquences sur eux.

La répétition, le formatage des affiches des festivals (cf enquête sourdoreille) est-elle inévitable pour assurer de bonnes recettes ? Comment favoriser la pluralité ?

Le formatage des affiches de festival est d’abord lié à la disponibilité des artistes dans le temps, et au fait que, lorsqu’ils sont en tournée, on peut acheter leur spectacle pour moins cher et bénéficier de la promotion et de la communication faites autour de leur actualité (souvent un album). Pour autant, programmer des artistes en tournée peut avoir un effet contre-performant, puisque le public a une probabilité importante d’avoir déjà vu l’artiste récemment. Pour les programmateurs, Il faut donc chercher à maximiser une dialectique entre tendance du moment et singularité.

Le crowdfunding (l’élaboration par le public de la programmation, le financement d’un projet en fonction de son intérêt par des individus, par exemple internautes), peut-elle favoriser la pluralité ?

Tout dépend de quel acteur de la filière on parle. Il est certain que, dans un contexte où l’on recherche des sources de financement et également à mieux connaître qui sont les fans d’un artiste, le crowfunding a ses avantages. On a même rencontré des collectivités qui finançaient des animateurs missionnés pour aider les artistes à monter des projets de crowdfunding… Par ailleurs, conçu au départ comme un moyen de mettre en relation artiste et public, le crowfunding intéresse dorénavant des acteurs intermédiaires comme des salles de spectacles qui veulent bien accueillir des artistes débutants s’ils ont la garantie que le public viendra. Cela attire aussi des producteurs cherchant à monter une tournée. Les formules d’entreprises adossées sur Internet sont amenées à évoluer. Le crowdfunding va s’installer dans le paysage, même si les formes de modèles économiques stabilisés se révéleront peut être différentes.

Vous dites que la particularité saisonnière des festivals favorise leur concentration et accentue le risque pour les organisateurs. Est-ce nécessaire de se caler dans les beaux jours pour optimiser les chances de succès ou ne devraient-ils pas se distinguer en programmant différemment ?

Les statistiques montrent que la majorité des festivals ont lieu entre juin et septembre, mais cela n’est nullement une obligation. Les Transmusicales de Rennes par exemple se déroulent début décembre et attirent du monde. Simplement de nombreux artistes tournent durant « les beaux jours » et le « grand public » est davantage disponible. Il faut donc voir quel type de public on cible.

La collaboration entre acteurs privés et monde associatif est-elle gagnante pour ces derniers en leur permettant notamment de programmer certains artistes cotés ou bien cette collaboration ne risque-t-elle pas plutôt de participer au formatage des affiches et de priver des artistes moins « bankable » d’opportunités de jouer ?

La collaboration entre acteurs privés et monde associatif peut être gagnante dans les faits. Par exemple pour un artiste qui commence dans le milieu associatif avant d’être pris en main lorsque sa notoriété augmente par des entreprises privées qui peuvent investir davantage et de prendre des risques. Moi qui suis originaire de Nantes, j’ai constaté cela pour Hocus Pocus, Jeanne Cherhal ou Katerine. Par ailleurs, l’enquête montre que les associations et les sociétés à but lucratif ne sont pas réparties également dans la filière. Les acteurs privés sont plus nombreux du côté de la production, les associations sont plus présentes en aval, du côté de la diffusion. Une répartition des rôles qui favorise la collaboration. Cependant, la logique n’est, la plupart du temps pas la même entre les acteurs privés et les acteurs associatifs qui revendiquent parfois une utilité sociale et une démarche, l’économie comme moyen plutôt que l’économie comme fin. L’antagonisme entre visions du monde peut amener de ce fait à des déceptions. On le voit par exemple quand des associations accompagnent des artistes et les aident à se développer (production, résidences) et que ce sont des structures privées qui en tirent les bénéfices.

LES CACHETS

Les cachets des artistes ont augmenté, contraignant les organisateurs à inviter moins d’artistes. Est-ce seulement dû à la baisse des recettes de l’industrie phonographique ? Que faudrait-il faire pour ne pas risquer l’inflation ?

D’après les chiffres du Centre national de chanson, des variétés et du jazz (CNV / établissement public industriel et commercial soutien du spectacle vivant) et les entretiens que nous avons fait, on ne peut pas dire que « les cachets des artistes ont augmenté ». En fait les cachets de certains types d’artistes ont augmenté (lorsque les spectacles sont vendus à des salles ou à des festivals ou bien – ce qui n’est pas la même chose – en ce qui concerne l’argent ou autres avantages (avances, etc.) concédés aux artistes ou à leur(s) représentant(s) par les producteurs de spectacles). Évoquons d’abord le premier point, la hausse des prix de vente des spectacles. En fait, ce sont les cachets des gros artistes (appelés « confirmés » ou « arrivés » par le métier), ceux dont le succès fait que les risques sont faibles qui voient leurs prix augmenter. En ce qui concerne les artistes « moyens », un peu moins connus ou qui n’ont pas fait de tournée ou sorti de disque depuis quelques temps, on assiste plutôt à une stagnation ou à une baisse des prix. Avec la judiciarisation et la légalisation des transactions dans le spectacle, on assiste toutefois à un montant incompressible sous lequel les prix de vente des artistes ne descend pas, à moins d’être dans des lieux underground ou avec des artistes qui ne recherche pas l’intermittence.

On peut relier indirectement l’augmentation des cachets des artistes à la baisse des « tours supports » (sommes versées par l’industrie du disque aux producteurs de spectacles) à compter de 2004. Alors que l’on pouvait vendre des spectacles sous le prix de rentabilité grâce à eux, on doit maintenant chercher à équilibrer les comptes sans utiliser ces aides extérieures. Par ailleurs les artistes les plus connus cherchent à pallier leur baisse de recettes liée aux royalties des ventes de disques par une augmentation de celles liées aux concerts, comme aux Etats-Unis (Krueger, 2005). Mais cela peut amener des effets pervers, notamment parce qu’au bout d’un certain montant, la demande de billets de concerts devient élastique aux prix.

Le fait que toute chose égale par ailleurs, les gens préfèrent aller voir des artistes plus connus nécessiterait des études plus approfondies. On peut penser que la concurrence accrue entre artistes, et l’évolution des technologies de communication focalisent la demande sur un nombre restreint d’artistes au niveau global. On peut aussi penser qu’au niveau local, l’attachement à des artistes se fait sur des artistes émergents, parfois amateurs, liés à de fortes spécialisations esthétiques ou à une proximité territoriale.

On ne peut évincer l’idée que le montant des cachets d’un certain type de groupe (les groupes les plus connus parmi ceux qui jouent dans des « petites jauges » (moins de 1000 places) soit lié au montant des subventions publiques touchées par ces lieux. Cependant les rapports entre « booker » (du côté des producteurs) et « programmateur » (du côté des lieux) sont inégalitaires, mais parfois au détriment de l’un ou de l’autre, en fonction du niveau de notoriété d’un artiste, de sa vitesse de progression, et de nombreuses autres caractéristiques.

L’inflation a toujours sa contrepartie. Pour éviter la dépendance au cachet de certains artistes, il faut travailler la fidélité et l’attraction du public par rapport au lieu, c’est la « notion de cultural scene », développée par Terry Clark ou Will Straw. Cela peut rejoindre en partie la logique que nous avons développé sous la notion de « 360° usager » qui se distingue de la logique « 360° artiste » souvent évoquée dans la filière (NDLR : stratégie de contrôle de tous les pans de l’industrie musicale : production, spectacle, édition, droits dérivés, etc.)

LES PRODUCTEURS

Particularité des producteurs français, ils ont un rôle central car employeurs des plateaux artistiques. Vous dites qu’ils imposent aux programmateurs de passer par eux pour faire venir des artistes internationaux sous peine sinon de les priver des artistes français les plus « bankable » également à leur catalogue. Les organisateurs français doivent-ils craindre Live Nation ou d’autres grands groupes internationaux ?

On peut comprendre la question de plusieurs manières. D’abord si on se place du point de vue des producteurs français (locaux). Le danger pour eux serait théoriquement de se faire dépasser par les agents étrangers (principalement anglais ou américains si l’on remonte une éventuelle sous-traitance en cascade) qui vendraient directement les prestations des artistes aux diffuseurs ou salles de spectacles locales (festivals ou salles) sans passer par les producteurs français. Cela reste cantonné à des genres musicaux très spécialisés (par exemple métal ou jazz) car les différents acteurs de la filière, de l’amont vers l’aval (producteurs, diffuseurs, lieux) travaillent souvent ensemble (il en va de même dans la relation entre entreprises et techniciens). Donc si une entreprise d’un des maillons de la chaîne est concernée, elle préférera fonctionner avec ses collaborateurs habituels afin d’éviter d’éventuelles sanctions. Ce phénomène protège relativement la France qui reste une exception. Au départ pour des spécificités juridiques.

Un autre cas concernerait les éventuels producteurs étrangers qui viendraient produire directement des spectacles sur le sol français, puisque, dans le cadre européen, les étrangers sont dorénavant exemptés d’une licence d’entrepreneur de spectacle pour produire en France s’ils peuvent prouver qu’ils exercent ce métier dans leur pays d’origine. On se rend compte qu’ils ne le font pas, au moins pour le moment. D’abord parce qu’ils ont besoin de connaître l’environnement local et que pour cela ils doivent travailler avec des promoteurs locaux, ces derniers ayant l’habitude justement de travailler avec des Français. Le risque est donc très grand de produire « en milieu inconnu ». Ensuite parce qu’ils travaillent avec des producteurs français en sous-traitance et que cela peut leur poser problème à moyen ou à long terme de les contourner.

Un troisième élément à développer concerne les nouveaux acteurs du secteur à dimension internationale qui opèrent une concentration verticale (comme Live Nation où AEG). Aux États-Unis par exemple Live Nation va contrôler toutes les fonctions de la musique live : la salle, le promoteur, l’agent, le management, la billetterie, etc. Il y a des avantages à contrôler tout, mais cela ne marche pas vraiment en fait en France puisque les acteurs d’un niveau donné de la filière doivent toujours collaborer avec de potentiels concurrents selon les contextes. Il faut un effet de seuil pour que la logique d’intégration verticale fonctionne et il n’est pas atteint en France. Cela dit on assiste à la naissance d’acteurs fortement concentrés dans le secteur, alors que ce dernier était plutôt concurrentiel jusqu’à aujourd’hui. Ce qui est une situation relativement rare dans la culture.

LES PETITS

Les petites structures favorisent l’émergence ET les pratiques amateures, pas forcément en recherche de succès commercial. La pratique musicale favorisant bien-être et enrichissement spirituel entre autres. En outre nombre de ces contributions étant bénévoles ou désintéressées, elles ne sont pas recensées économiquement, mais participent pourtant indirectement au développement économique (ce que l’économiste Jean-Marie Harribey appelle les externalités positives) et plus philosophiquement à l’harmonie sociétale. Beaucoup d’aides financières ne sont pas accessibles aux micro-structures car les contraintes sont trop lourdes, notamment administratives (justificatifs, délais, etc.). Vous appelez à une meilleure répartition des aides financières, quelles seraient vos préconisations ?

Tout dépend des priorités que se donne un territoire et ses représentants politiques. Je donnerais deux exemples. Guy Saez de l’observatoire des politiques culturelles de Grenoble parle de « ville créative » vs « ville participative ». La ville créative, c’est un concept à la mode, issu notamment des travaux du géographe Richard Florida. Ce dernier estime que ce sont les activités culturelles, « créatives » qui tirent économiquement un territoire, notamment parce qu’elles lui donne une bonne image et attire alors des travailleurs qualifiés (« ville gagnante »). Mais la ville créative pose aussi des problèmes de solidarité en favorisant « les travailleurs créatifs » plutôt que l’aide sociale. Un autre exemple est celui de l’utilité sociale par rapport à l’intérêt général. L’économiste Jean Gadrey a travaillé sur la question de l’utilité sociale, il montre à quel point ce concept est protéiforme. L’utilité sociale qui cherche parfois à défendre un groupe ou une communauté minoritaire ou dominée, n’abonde pas toujours dans le sens de ce qu’on considère être l’intérêt général. Il faut donc faire des choix. L’autre élément qui est intégré dans votre question concerne l’amateurisme vs le professionnalisme, qui ne sont pas bien délimités pour les activités artistiques.

La tendance à vouloir auditer les politiques publiques, est-ce souhaitable en matière de musique amplifiée ?

Le problème lorsqu’on impose des contreparties à ceux qui bénéficient d’aides est que l’on peut retrouver une logique de service marchande. Par ailleurs, pourquoi est-ce que ce devrait être l’artiste qui devrait se soumettre à des critères d’évaluation, alors que ce sont des acteurs intermédiaires (ceux qui constituent la filière entre l’artiste et le public, objet de notre recherche) qui définissent bien souvent les dispositifs ?

Outre l’aspect financier quel soutien apporter aux petites structures, dont les prix bas favorisent l’émergence des artistes, la pluralité culturelle ainsi qu’un accès à la culture pour tous.

C’est peut être l’enseignement du livre. Il faut voir où se situe la structure dans la filière et aussi son statut. Le récent dispositif adopté à titre expérimental dans la région Pays de la Loire pour les cafés-cultures par exemple, qui permet une exonération des cotisations patronales lorsque les structures embauchent des intermittents du spectacle est par exemple une mesure originale qui peut favoriser la diversité culturelle. On y pense pourtant pas a priori en premier lieu car les cafés concerts sont des structures privées, bien souvent des TPE mais elles ont un rôle moteur au sein des scènes locales.

Quels conseils donneriez-vous à ces petites structures notamment associatives qui souhaitent créer un festival ou organiser des concerts ? Que faut-il privilégier ou au contraire éviter ?

La question est difficile car les configurations et les contextes sont très divers. Il faut définir son projet artistique et culturel ainsi que son modèle économique. Il faut commencer car s’inscrire au sein de la scène locale et nouer des partenariats avec les acteurs locaux et ceux qui partagent les mêmes gouts musicaux (y compris les médias).

LE LIVRE

« Musiques actuelles : ça part en live » (Irma / DEPS) Cet ouvrage co-écrit par le sociologue Gérôme Guibert et l’économiste Dominique Sagot-Duvauroux est à la fois un état des lieux et un guide du futur organisateur de concerts. Il analyse les mutations du spectacle vivant après la baisse des retombées financières de l’industrie phonographique. À lire aussi, les particularités anglo-saxonnes et françaises dans l’organisation de la filière. « Ça part » aussi sur les notions juridiques, pour tout savoir des différents contrats liant artistes et organisateurs. Montrant l’interaction entre les différents acteurs de la filière, petits et grands, les auteurs appellent à juste titre à une redistribution des cartes, à une meilleure répartition des aides. Après le diagnostic, place aux mesures et propositions de l’ensemble des acteurs concernés ?

Vincent Michaud
Photo d’ouverture Laurent Cousin

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