Bandeau Longueur d'Ondes n° 101

MSL Jax

MSL Jax - Photo : Philippe LafayeJérôme Bossuyt tient entre ses mains une histoire du rock et ne compte pas la lâcher. Il a grandit dans les années 90 et il continue à le faire savoir dans tout ses projets.

Musicien exemplaire et personnalité attachante à l’enthousiasme contagieux, ce passionné vit avec ses chansons rock qui se bousculent dans sa tête. Il officie avec son projet solo acoustique, Miss Shapenfingers, ou sa déclinaison rock électrique en trio avec MSL Jax ; il est aussi l’un des musiciens du groupe noise Café Flesh, et a retroussé les manches pour d’autres formations charentaises (Glasnost, Billy Gaz Station) par le passé. Pour les malheureux qui n’ont encore jamais entendu parler du « Jarnac Sound » pourtant bien bruyant, il sera facile de retracer l’histoire de cette scène toujours vivante grâce à Furne Records, un label fondé avec ses potes de Café Flesh. Pour Jérôme sonne l’heure de défendre son deuxième album sous le nom MSL Jax, « Let’s get lost ». Avec des chansons rock accrocheuses, où les mélodies et l’énergie respirent l’authenticité.

Tu es un compositeur prolifique : quelle est ta méthode de travail ? Comment fais-tu le tri dans toutes tes pistes ?

Sans parler de méthode, il y a effectivement certains schémas qui se répètent : je trouve une intro, ou un couplet ou un refrain ou plusieurs parties liées entre elles, soit à la guitare, soit au piano, soit en fredonnant un air. J’enregistre tout sur un magnétophone en improvisant pendant que ça tourne. Cette prise me sert de support de travail pour le reste du processus, des fois même quelques années plus tard, en fonction du projet sur lequel je travaille. Je trouve que c’est un bon compromis entre inspiration et raison, parce que je suis du genre à vouloir tout faire en même temps. Et aussi parce que parfois je me sens en phase de création alors qu’un nouvel album est en pleine sortie. A ce moment-là il est plus judicieux de passer du temps et de l’énergie à trouver un label, créer une pochette, passer des coups de fils relatifs à la promotion, trouver des dates… Rien de bien musical mais des étapes à ne pas louper si on veut faire les choses correctement. Alors je crée quand même et je le mets dans un coin. Je ne sais pas si je suis si prolifique ; c’est juste que j’enregistre TOUT ce qui sort de ma tête. J’en ai besoin pour me sentir bien et que ça ne soit pas trop le bordel à l’intérieur. Après, je range tout dans des cases : le hard-rock c’est pour Café Flesh, la pop c’est pour MSL Jax, la folk c’est pour Miss Shapenfingers ; et puis des fois je bouleverse mes propres règles et mélange les genres à travers mes différents groupes. Ça reste du Jérôme Bossuyt.

Tu parles « d’idées sorties de nulle part » et qui changent les morceaux radicalement… Comment expliques-tu cela ?

La magie de la création. Je ne l’explique pas, du moins pas entièrement, et personne ne se risque à le faire, sinon ça enrayerait la machine. Quand j’ai une guitare entre mes mains, une voix en état de marche et que j’arrive à lâcher prise, m’oublier, quelque chose de l’ordre du subconscient – j’imagine – se déclenche. J’aime ce moment où tu te surprends toi-même. Et j’ai remarqué, que dans mon cas, il y avait toujours un moment comme celui-là pendant les sessions d’enregistrement. C’est encore plus flagrant pour « Let’s Get Lost » où tout s’est fait tellement vite que je n’ai pas eu le temps de réfléchir ; les premières prises se devaient d’être les bonnes, pas le temps de revenir en arrière.

A tes yeux, quels sont les éléments moteurs d’une bonne chanson ?

Tout dépend du style mais, selon moi, une chanson rock ou folk est bonne à partir du moment où elle sonne déjà sans aucun arrangement, avec juste une guitare et une voix. Je suis assez vieux-jeu : je suis très attaché à la mélodie, les rimes, l’intention portée autant qu’à la qualité technique. Pas que j’aime la musique très compliquée (c’est le cas aussi) mais si on joue trois accords, j’aime qu’ils soient joués correctement et avec une certaine envie de susciter une réaction. En plus pour le rock, la section rythmique (la basse et la batterie) se doit d’être efficace, ce sont les fondations ; si ce n’est pas assez solide, la chanson s’écroule. Un dernier élément essentiel, que j’ai découvert tard, c’est que chaque morceau a besoin d’une « coquetterie » : un solo, un gimmick, un arrangement spécial, un effet sur la voix, un truc qui fait qu’il ne peut être confondu avec un autre et qu’on s’y attache. Ce sont mes propres critères bien sûr.

Pourquoi as-tu ressenti le besoin de raconter la genèse de ce nouveau disque dans le livret qui accompagne le CD ?

J’adore lire, j’adore écrire. Je n’écris de paroles qu’en anglais – la langue officielle du rock’n’roll – mais j’aime raconter dans ma langue maternelle. Je l’avais fait pour le premier disque, je le ferai pour les prochains. C’est une façon de partager avec l’auditeur courageux l’objet disque et pas seulement des mp3 sur un ordinateur. Chaque album mis bout à bout racontera l’histoire du groupe ; l’idée me plaisait et me plaît toujours. Et puis pour ce disque particulièrement, c’est une façon de frimer et de dire : « Voilà ce qu’on sait faire en un mois et demi de temps ! ».

Les textes sont assez longs dans tes chansons. Comment procèdes-tu pour écrire les paroles ? Qu’aimes-tu raconter ?

En toute honnêteté, je ne pense pas aux paroles au moment d’écrire le morceau. Mis à part un bout de refrain ou de couplet, je fais ça au dernier moment – la veille d’entrer en studio – quand la structure est déjà établie, immuable et avec une idée assez précise des endroits où le chant doit être placé. J’ai donc un espace relativement grand et précis à remplir. Il y a plusieurs raisons qui font que je n’arrive pas à faire court : je déteste me répéter, j’ai un bon débit (j’en dis beaucoup en très peu de temps), je veux être précis et, quel que soit le délai, je suis perfectionniste. Donc j’écris, réécris, pour finalement me retrouver avec deux refrains différents et qui me plaisent tout autant. Bien sûr je les garde et, effectivement, à la fin, je me retrouve avec des textes très longs. Mais je ne regrette aucune phrase et chaque vers que j’écris a énormément de sens pour moi. Les thèmes : le voyage, l’amour, l’introspection, la mort… Bref, la vie. J’utilise beaucoup la première personne mais ça ne parle pas toujours de moi ; je me mets en scène. « I Am A Tightrope Walker » parle du doute qui peut traverser le funambule en pleine action, « Law’s Into My Hands » de la mise à sac d’un village façon par des pillards du Moyen-Age, etc. Et puis des fois c’est juste un enchaînement de phrases que je trouvais cool et qui sonnent bien ensemble.

Les titres des chansons de l’album mis bout à bout semblent former une continuité : que recherchais-tu ?

C’est vrai que j’attache beaucoup d’importance à la cohérence d’un album. J’aime la continuité d’un « Hide The Kitchen Knives » de The Paper Chase, d’un « Sgt Pepper » des Beatles ou d’un « Dead Air Sound System » de Mousetrap ; chaque chanson possède son identité mais reste étroitement liée avec les autres et ceci même si le disque ne raconte pas toujours une histoire. Il se trouve que le miens en raconte une et c’est vrai que j’aimerai avoir atteint cet équilibre entre ces différents « chapitres ». Quand je prépare un album ou un EP, je décide de l’ordre des morceaux très tôt dans le processus de création, quand ils sont encore à l’état de démo. Pour « Let’s Get Lost » ça m’a beaucoup aidé pour les enchaînements et la cohérence des paroles. Mais je n’ai, pour l’instant, pas encore le recul nécessaire pour savoir si mon histoire est compréhensible ou non pour un tiers auditeur.

La pochette de « Convicts » de You am I a fortement influencé celle de ce nouveau disque. Pourquoi la pochette de You am I te plaisait autant ?

Parce que ce disque est parfait : le groupe est irréprochable, il est australien de surcroît, c’est leur meilleur album, il y a cette fameuse cohérence dont on parlait et puis, cerise sur le gâteau, la pochette est classe. Je ne l’ai, au départ, pas fait exprès ; je n’avais pas l’idée de copier « Convicts ». Ce n’est qu’après avoir fait le montage photos que j’ai remarqué la ressemblance, c’était inconscient. Je n’ai ensuite fait qu’accentuer les traits communs. Et puis j’avais déjà plagié « More Boy, Less Friend » de Sprinkler pour le premier LP ; ça ne fait qu’une référence 90’s de plus !

Le « Jarnac sound » est né il y a quelques années et tu en es l’un de ses membres actifs : que représente cette scène aujourd’hui ?

Elle représente certains des meilleurs groupes de la scène indie-rock française, rien que ça ! Nous avons tous bien évolué dans nos domaines ces dernières années, chaque groupe a pris un peu plus d’ampleur dans le réseau qu’il a établi. Il y a Headcases qui s’est reformé pour jouer Nirvana, Café Flesh qui sort son 3ème album, Mr Protector qui enregistre le second, Billy Gaz Station, Pegazio, The Milons qui enregistre son premier album et qui s’annonce énorme… Il y a toujours les projets solos de tout le monde : Luis Francesco Arena, Laurent Paradot, Miss Shapenfingers… Autant de groupes et d’artistes que tu retrouves sur les routes de France, d’Europe, voire même outre Atlantique et Pacifique. Nous sommes toujours là, les 20 mêmes ados, avec nos différents projets, mais avec plus d’expérience et une bien meilleure connaissance du terrain. Le monde sera bientôt obligé de reconnaître que Jarnac est le Seattle des années 2010 !

« Let’s get lost »
(Furne Records / Kicking Records / Smalltones Records)
http://www.myspace.com/msljax

Texte : Béatrice Corceiro
Photos : Philippe Lafaye, Chris Duchesnay & Tiffany Arnould

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