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Les Belles Noïseuses

Les Belle Noïseuses - Photo : Leo Stern« La création artistique est un acte de résistance. »
Une musique sombre qui séduit au-delà des clichés. Par la grâce de chansons divinement arrangées, Les Belles Noïseuses dissipent tous préjugés. Leur fibre mélodique, nourrie de contrebasse, drape les chansons d’intemporalité et assure la sortie des chapelles du genre. Cette patine soyeuse évoque par instants la tournure folk prise par And Also The Trees. Écartelé entre Nantes et Strasbourg, le trio ne travaille dans la continuité que depuis 2008. Leur pseudo découle évidemment du film de Jacques Rivette, “La belle noiseuse”. Leur noirceur s’avère une arme efficace contre le conformisme et séduit au-delà des clichés. Bela Goosy, chanteur à la voix ténébreuse mais de velours, se livre…

Vous êtes un groupe à cheval sur plusieurs territoires, quelles sont vos méthodes d’enregistrement et de composition ?
Chaque membre du trio propose ses amorces de compositions, que nous mettons en commun et retravaillons ensemble. Cet effort collectif, sans leader, est important pour notre équilibre. Nous avons mis en place une vraie démocratie ! Ensuite, nous nous réunissons minimum une fois par trimestre et passons une semaine à jouer, à réfléchir sur ce que l’on joue ou en session d’enregistrement. Nous utilisons beaucoup Internet pour échanger des idées, mais aussi, parfois, pour faire avancer nos enregistrements à distance. Nous vivions jadis dans la même ville, mais l’éloignement géographique nous apporte quelque chose sur le plan humain : nous sommes toujours ravis de nous retrouver !

Qu’est-ce que ce disque (“Whiter than white” – Rotorelief) représente pour vous ? La concrétisation logique de sessions et élans créatifs, la trace finale ou bien l’amont d’une nouvelle aventure ?
C’est notre premier album en bonne et due forme. Il revêt donc une importance capitale à nos yeux et concrétise deux années de travail. Bien entendu, nous n’avons pas l’intention de nous arrêter là. Nous continuons à composer de nouveaux morceaux et espérons que l’aventure sera longue et trépidante.

D’après votre bio, votre pseudo est un pied de nez au conformisme. La résistance par la création, le ressenti qui en découle, sont plus fortes qu’un long discours ?
J’ai toujours eu du mal avec les longs discours, j’ai peur de devenir dogmatique. J’ai été militant il y a fort longtemps et j’ai vite compris que la « ligne du parti », ce n’était pas pour moi. Même si je peux me retrouver globalement dans les discours politiques et sociaux de Crass, de Test Department ou, en France, des Béru. Et je me sens concerné par la politique, voire « engagé », tout en veillant à ne donner aucune leçon. Oui, la création artistique est intrinsèquement un acte de résistance. C’est ce que disaient les situationnistes de façon intellectuelle, les fondateurs du mouvement industriel de façon conceptuelle ou les punks de façon viscérale. J’ignore si le ressenti artistique, spontané, est supérieur à une rhétorique construite, élaborée ; il s’agit sans doute de facettes d’un même prisme.

L’humour, le second degré vous semblent tout autant efficaces et jouissifs ?
La dérision, l’auto-dérision, le décalage… Autant d’attitudes naturelles pour moi. Oui, c’est jouissif. A telle enseigne que je suis incapable de m’exprimer – artistiquement – au premier degré. Ce n’est pas une posture, c’est juste une manière d’être. Lorsque, par exemple, les Monty Pythons se foutent de la gueule des militaires ou de la religion, c’est efficace avec un petit bonus : on se marre ! Je ne jurerais pas cependant que cela soit plus efficace qu’un discours sérieux. D’ailleurs, je ne cherche pas à convaincre qui que ce soit. Chacun doit penser par lui-même.

Les Belles Noïseuses - CDPourquoi autant de temps avant votre premier disque ?
La longue carrière des Belles Noïseuses a été intermittente. Nous avons mené en parallèle un tas d’autres projets, formé plein de groupes de tout style, ou presque. Ce n’est que depuis 2008 que nous avons décidé de travailler dans la continuité. Nous avons cependant produit pas mal de démos depuis 1992. Nos débuts, c’était de la noisy sauvage avec boîte à rythme. Nous nous sommes dirigés vers une formule acoustique, puis avons refait du bruit. Bref, on a quand même un peu de kilométrage…

And Also the Trees me semble être proche de votre univers. Que représente ce groupe pour vous ? Quels autres artistes ont compté pour vous ?
And Also the Trees est un très chouette groupe. « So this is silence » a été l’une des chansons que j’écoutais en boucle lorsque j’étais ado. Paradoxalement, je connais mieux leurs débuts cold que leur récente évolution vers la folk, pourtant excellente. Mais je me reconnais dans l’infinie mélancolie qu’ils dégagent. Je vous fais grâce de la longue liste des artistes que j’aime. Mais il y a effectivement des artistes qui bouleversent la vie, rien n’est plus pareil ensuite. Je n’oublierai jamais le choc de la découverte de « A new form of beauty » des Virgin Prunes, l’épais et désespérant linceul dans lequel m’enveloppait « Closer » de Joy Division. Un état de choc maintenu rapidement par la musique indus et post-indus, dont mes favoris sont, encore aujourd’hui, Current 93 et Coil, de pures magiciens dont l’œuvre ne compte aucun déchets. Je tiens aussi à ne pas rester cantonné dans le « dark » et m’intéresse notamment à ces génies psychédéliques qu’étaient Comus, Pearl Before Swine ou Sand, un combo berlinois à découvrir absolument, et dont nous avons repris « Burning house » sur notre album, avec un gentil retour de leur part. Je citerais encore la folk barrée de The Incredible String Band ou le célèbre et néanmoins monumental album de Robert Wyatt « Rock Bottom ». Et puis, j’aime aussi le punk, le reggae, le dub, le rap (si, si !), le blues, le jazz ou la musique classique moderne et contemporaine.

La pratique des cordes classiques découle-t-elle d’un apprentissage savant ou plus « rock’n’roll » ?
Personnellement, rock’n’roll ! Je ne connais même pas le solfège ! Il n’en va pas de même pour mes acolytes. Notre guitariste Bill Ottomo ne sort pas du conservatoire, mais c’est un formidable technicien, un musicien très raffiné. C’est un perfectionniste et cela s’entend. Idem pour notre contrebassiste Spotzy Blackcycle. Lui donne des cours de musique et n’a aucun problème pour lire une partition. Bien que venant du rock, il possède un background classique, jazz, contemporain. En définitive, chaque membre du groupe s’exprime avec son bagage, ce qui nous permet une très grande liberté d’exécution des parties musicales.

Les Belles NoïseusesLes musiques dark ou gothiques peinent à dépasser le cap des aficionado. Est-ce une injustice criarde ou plutôt la rançon d’une attitude trop « catégorielle » ?
L’attitude trop « catégorielle », elle est à chercher du côté des major compagnies, des programmateurs des radios commerciales et des chaînes de télé qui imaginent comprendre ce que désire le public à la place des gens. Et tout ça dans une optique libérale : une logique immédiate d’audience, de chiffres et de profits. A mon sens, c’est en arrêtant de prendre des risques et d’investir sur des artistes pas forcément consensuels que les majors se sont coulées. Je ne vais pas les pleurer. Ensuite, vous avez raison de parler DES musiques dark tant elles sont hétéroclites. Entre la cold-wave, le goth post-punk, le batcave, le rock gothique à la Sisters of Mercy, le minimal-synth, le dark-electro, l’ebm, et j’en passe, le lien est plus qu’infime. On compare souvent le gothique à du Grand-Guignol, une macabre tragi-comédie. Mais les vampires pour midinettes type Twilight n’ont rien de gothiques ! Le gothique, ce n’est pas un décorum, c’est au contraire une volonté d’aller au-delà de la surface des choses. C’est également l’amour de la culture, de la littérature, c’est un genre référentiel. En témoignent les textes formidables et éminemment littéraires de Ian Curtis. Enfin, qui dit références culturelles ne dit pas forcément élitisme. Celui qui se permet une attitude condescendante parce qu’il écoute des disques qui ne sont pas populaires ne fait que se draper de ridicule. Je pense d’ailleurs que cette image d’élitisme et de manque d’ouverture provient plutôt de ceux qui considèrent qu’un produit culturel se vend comme un pot de yaourt : major, radios à la con…

Comment évitez-vous les clichés ? Par ouverture musicale ?
J’adore les clichés ! Ce sont des jouets, des colifichets avec lesquels on fabrique des parures baroques, des osselets avec lesquels on peut jongler. Le tout est d’avoir du recul, de ne pas s’enfermer dans une ornière. Quant à l’ouverture musicale, nous la prônons et la vivons au quotidien.

L’intemporalité habite vos morceaux, un caractère que vous recherchez ?
Honnêtement, oui. Comment pourrait-on sortir aujourd’hui un disque avec par exemple un son estampillé années 80, avec de la réverb qui dégueule de partout ? Ce ne serait que de la nostalgie, un sentiment qui n’est guère intéressant. Nous avons donc choisi une production « propre », retenue, avec un son que l’on ne puisse pas dater.

L’introspection transparaît tout comme une certaine jouissance « sereine ». Les deux versants de la personnalité du groupe, en parfaite osmose ?
Merci pour ce constat. Introspectifs, jouisseurs « sereins », oui, c’est exactement comme cela que nous nous sentons… J’espère qu’il y a, si ce n’est osmose, du moins cohérence entre notre hédonisme revendiqué et ma volonté de plonger dans les abysses de l’âme humaine. Je n’aimerais pas sombrer dans schizophrénie !

Comment avez-vous choisi votre pseudo ?
La référence au film de Jacques Rivette « La belle noiseuse » n’est pas fortuite. C’est un film magnifique, parfois strident, sur les affres de la création artistique, sur la souffrance nécessaire engendrée par cet acte. Je me suis contenté d’y rajouter ce cri générationnel : Oï ! Et, par la sonorité de noise, de rendre hommage au bruit en tant que démarche artistique, une démarche adoptée au moins depuis Luigi Russolo, longtemps avant le rock’n’roll. Ce nom m’est venu comme un flash, d’un seul coup.

Comment avez-vous signé pour ce disque chez Rotorelief ?
En 2007, j’ai eu la chance de pouvoir participer en solo à la première production de Rotorelief, intitulée « Coilectif, in memory ov John Balance and homage to Coil ». Cette excellente compilation témoigne de l’amour que nous portons tous à Coil et son chanteur et rassemble nombre de pionniers de la scène industrielle française (Vivenza, Pacific 231 et tant dautres). C’est un infime honneur que de se retrouver au milieu de ces pointures. Lorsque nous avons fini la maquette de « Whiter than white », je l’ai transmise à Christophe Louis de Rotorelief pour lui demander son avis, que je sais particulièrement fiable. Je n’attendais pas grand-chose, d’autant que le label s’orientait vers des musiques industrielles et expérimentales. Et finalement, Christophe nous a dit : « Banco ! Votre démo me plaît, on fait un disque. » Étrange, le destin, parfois…

Site du groupe

Vincent Michaud

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