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Birds are alive

Birds are Alive - Photo : Yannick RibeautL’exercice blues antique est-il soluble dans la cuisine sonore française ? Réponse oui, car tout de même cette musique appartient depuis belle lurette au commun des mortels, surtout à ceux qui ont vendu leur âme au diable. Alors quand en plus s’ajoute une interprétation fine d’un one man band sachant se faire entendre, déguster. Cette mixture entre Robert Johnson et le Jon Spencer solo ravit bien des conduits auditifs.

Ta musique baigne dans un univers très singulier. Quelles images ou histoires y projettes-tu ?

L’image de la mort, de la solitude, de la peur de voir se terminer nos petites vies absurdes et pathétiques, incompris de tous ; mais également de la force que peut représenter le fait d’être vivant ou de se maintenir en vie, d’être une machine sensible, de résister, de comprendre, de s’adapter, de s’entourer; en fait je n’y projette rien de très original, c’est plutôt dans la façon de faire.

Qu’est-ce qui a le plus construit cette identité : le fait d’œuvrer en solo et donc de pouvoir s’y consacrer en permanence sans contradicteurs peut-être ET / OU des années d’ingestion de disque blues ou rock ?

C’est vrai que je fais ça tout seul dans mon coin et que j’aime ce rapport-là, après je ne suis pas un geek non plus, je ne suis pas du genre à passer mon temps à écouter des disques et des disques en essayant de percer les mystères de tout ce que j’entends. Mais l’identité musicale dont tu parles se développe aussi beaucoup en dehors de la musique, c’est ce pouvoir qui est intéressant, la manière dont la musique peut porter la personnalité de celui qui la crée, qui la joue, la manière dont la musique que l’on joue témoigne de la vie que l’on mène, des gens que l’on rencontre, des sons que l’on a déjà entendu et auxquels on est sensible.

Comment évites-tu le cliché, la redite malgré tes emprunts au blues et autres musiques du siècle dernier ?

Je ne pense pas que c’est en empruntant à un genre qu’on évite des clichés, mais plutôt en essayant de baigner dans ce genre, de le comprendre, de le vivre à sa manière. Le blues du delta est à l’origine une réponse à l’oppression, à la pauvreté, à l’exclusion, et ça commence il y a près d’un siècle comme tu le soulignes ; le cliché je l’évite en partie parce que je suis né en 1984, blanc, dans une famille de classe moyenne en France et que j’ai l’impression d’avoir été protégé, j’ai à priori rien à voir avec le blues, cependant j’ai toujours ce sentiment très clair de vivre dans un environnement d’oppression, d’exclusion et de pauvreté, même si c’est à une échelle différente. Ce qui me parle, et ce avec quoi je fais ma tambouille, hormis les caractéristiques techniques et musicales du genre, c’est la sagesse et la classe avec lesquelles le blues peut témoigner de la souffrance des hommes, ce besoin précieux et inaltérable de transformer sa peine en éternelle lumière, ce qui fait de la souffrance quelque chose de constitutif à notre espèce, un rythme incessant qui nous porte et nous emporte, mais en parler plus finirait par relever de la théologie, de la philosophie et moi je suis musicien.

N’est-il pas injuste de cataloguer le blues comme une musique ancestrale, qui ne pourrait se renouveler ? (Ta musique comme d’autres prouve le contraire)

Le blues n’est pas ancestral, mais c’est plus tout jeune, inutile de le nier. C’est un truc de vieux, ça fait déjà 60 ans qu’il a subi sa mutation diabolique en rock’n roll et que depuis, sur cette base, les renouvellements ont été nombreux, donc c’est pas une injustice de dire qu’il ne peut pas se renouveler c’est juste une connerie, mais en même temps c’est toujours la même histoire, une histoire de guitare.

Tes gourous : John Spencer, Hasil hadkins, Doo Rag, Robert Johnson ? Évidement je te demanderai de causer de chacun de ceux qui t’ont le plus marqué ?

Sans parler de gourou, j’aime beaucoup la musique des gens que tu viens de citer, les albums de RL Burnside également, la musique de Fred Mc Dowell, Son House, plus récemment des labels comme Alive Naturalsound et Fat Possum qui ont sorti les premiers albums des Black Keys entre autre mais tout ça est loin de me combler, j’écoute plein d’autres artistes relatifs à d’autres scènes et pas nécessairement américains. Faire la musique que je fais en ce moment n’est pas pour moi une histoire de tradition comme elle peut l’être, j’imagine, aux Etats-Unis, c’est une approche que j’ai depuis 3, 4 ans mais tout ça évolue heureusement. Ce qui est traditionnel chez moi, c’est de jouer de la guitare, d’écrire et de chanter, ça laisse pas mal de libertés à pas mal de niveaux.

Le one man band semble être une tradition française, pas que made in USA, eux commençons par… Remi Bricka, Petit Vodo, Decheman, toi… Bosses-tu entièrement tout seul ou fais-tu des set… en groupe ?

Ce projet est celui d’un homme-orchestre donc forcément je suis seul à la base, je fais ça dans mon coin comme je te disais, j’ai toujours fait de la musique dans mon coin, et je suis seul sur scène, mais sur le nouveau disque j’ai invité des potes à faire des saxophones par exemple et j’espère jouer avec d’autres musiciens par la suite, faire des choses en groupe ; j’ai déjà joué avec decheman d’ailleurs, un après-midi, on a enregistré à l’arrache un instrumental pour une compilation. Je ne suis pas dans la négation du groupe, mais pas non plus du genre à passer une annonce “Cherche batteur dans style bidule pour occuper mes samedis après-midi”, il faut trouver les bonnes personnes, faire les bonnes rencontres, et puis je ne vais pas t’apprendre qu’on peut prendre du plaisir tout seul.

Enregistres-tu dans des conditions live, cumulant les prises pour cueillir la sève du morceau ?

Globalement c’est enregistré en live, ça n’aurait aucun sens de faire la grosse caisse et le tambourin séparément, ni même de rajouter la guitare ensuite, c’est pas du tout le propos, c’est un tout qui fait boom, tchick, kling klang et lalala. Le rapport physique avec les instruments joués tous en même temps fait partie de cette musique, le tempo parfois irrégulier et imparfait n’est pas un problème, au contraire, je trouve ça plus vivant qu’une boucle qui se répète pendant 5 minutes par exemple. Après pour des questions de son, il m’arrive de refaire les prises de voix séparément, j’ai rajouté quelques harmonica pour habiller certains morceaux, c’est quand même assez simple et direct, l’intérêt est de saisir quelque chose de brut.

Ton pseudo se réfère au Bird / Charlie Parker ?

Absolument pas, à vrai dire je n’ai pas d’explication concrète et acceptable à ce sujet.

Quels labels as-tu démarchés et vois-tu une vie pour ton disque à l’étranger ? (Un envoi à Jon Spencer prévu ?)

Je n’ai jamais vraiment démarché de label, j’ai sorti le premier album avec Kizmiaz Records car c’était des amis rencontrés à Nantes qui avaient créé ce label, ils aimaient bien ce que je faisais et ont fini par le presser en vinyle également, voyant que j’avais quelques concerts à droite à gauche. C’est un label tout jeune, qui est né il y a trois ans, un label associatif, ils ont sorti des 45 tours de King Automatic, Movie star junkies, un 33T de Decheman & the gardener, entre autres, de très bonnes choses, et ça a toujours été une motivation de savoir que des gars du coin qui faisaient ça voulaient bien m’aider, ça m’a donné envie de continuer et de faire des concerts. Avant je sortais des CDR de reprises farfelues et de compos mal finies que j’enregistrais tout seul, un peu n’importe comment et pour Birds are Alive, j’ai tout enregistré avec des amis également, c’est toujours une histoire de copains, de copains du coin ; jusque là  ça n’a pas vraiment de rapport avec l’étranger et Jon Spencer.

As-tu programmé une tournée avec une visite chez le voisin bordelais pour un derby de l’Atlantique réussi ?

C’est pas vraiment prévu pour l’instant, j’ai joué un peu dans le nord du pays puis en Belgique début décembre, quitte à passer l’hiver en zone froide et humide ; pour le sud je vais attendre le printemps.

« Blues cooked for cannibals » (Kizmiaz Records)

Texte : Vincent Michaud
Photo : Yannick Ribeaut

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