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Programme

« Quelqu’un qui crierait le vide, sur des marches obsédantes, qui cognent, en prenant toujours plus de vitesse », voici le nouveau Programme selon ses créateurs, avec « Agent réel », héros malgré lui sur flow et tempo musical post un peu tout.


Quel programme a motivé l’Agent réel, le « héros » de votre nouvel album ?

Arnaud Michniak : Le programme du jugement, de l’autosatisfaction, de la désignation pour cacher ses propres failles, pour éviter de se voir. Et comment cela tourne en eau de boudin et jeux de pouvoir. Tous ces gens qui désignent et font passer le besoin d’autre chose pour une maladie pathologique et congénitale, avec une petite tape dans le dos, l’œil rivé sur leurs propres intérêts et la mauvaise foi qui va avec. Et qui demain vont pleurer parce que ça commence à les toucher. Des échanges, des moments, avec la génération de nos grands-parents dans la vie rurale, dans le cœur des villes avec ceux qui les traversent sans savoir où s’arrêter et aussi avec ceux qui ne peuvent plus bouger empêtrés dans leurs crédits. Ceux qui luttent ou deviennent tarés. Des écrits de penseurs actuels. Des écrits sur la physique quantique. Entre les lignes du Journal Officiel. Dans le programme de la bonne conscience satisfaite. Dans le vide entre les mots. Dans l’aspiration entre le Boum et le Tchak.

Comment se passe la vie de l’« Agent réel » ?

A.M. : Beaucoup de transports communs.

J’essaye d’interpréter votre «concept» : le réel présupposé étant fortement subjectif, n’est-ce pas la tentative désespérée de construire une réalité qui en fait construit toute une vie ? (Ouf fallait la placer…)

Damien Bétous : Ce n’est pas un concept et ce n’est pas désespéré. Ce n’est pas une tentative. C’est ça le réel. C’est toi qui te compliques.

A.M. : On essaie d’avancer dans notre taf en fait. La forme du disque comme un tout, comme un livre ou un film, nous a toujours attirés, « Bogue » était déjà à cet endroit.

Depuis les débuts du groupe et particulièrement sur cet album, qu’est-ce qui a évolué ?

D.B. : Pas grand chose. La maturation n’est pas un objectif pour nous. L’approche est toujours la même.

A.M. : J’ai l’impression que nous employons de moins en moins d’artifices, même s’il n’y en avait déjà pas beaucoup. Comme si nous cherchions une force nue, plus vraie, dans le sens « à notre échelle ». Nous n’employons plus de samples par exemple, nous faisons tous les sons nous-mêmes, enfin surtout Damien. Sur le nouvel album, j’ai recherché une nouvelle source entre la voix, la présence et les mots. J’ai arrêté d’écrire à partir de formules. J’ai procédé comme si je parlais à quelqu’un ou à ma conscience. Comme si je vivais un truc, d’un jet. J’ai fait beaucoup d’aller-retour sur le net pour monter tout ça. Je ne pouvais plus faire marche arrière après les premiers titres et revenir sur du texte « normal ». Ainsi j’ai dû chercher ailleurs d’autres pistes, auxquelles je n’aurais pas pensé sans ça. Je devais tenir, comme si chaque nouveau morceau était un nouvel angle de vue sur la même tension. Je ne pouvais pas tourner la tête pour changer de regard.

D.B. : Ce sont des moments différents suivant la progression de l’album. Pour « Agent Réel » il y a eu moins de “mise à la corbeille” que pour les autres albums. Il fallait impérativement taper juste assez vite.
Tu dis avoir travaillé “comme si tu parlais à quelqu’un et non par des formules”. Qui serait ce quelqu’un ? Est-ce que l’improvisation a été plus importante de par ce procédé d’écriture automatique via le langage, du Burroughs (écrivain Américain inventeur du cut-up, découpe hallucinée de bouts de textes pour en produire un nouveau) dans le flow ?

A.M. : Il y a de ça, un truc de mutant, comme si je parlais à une psyché globale. Chaque phrase est un point de départ et annule la précédente ou la précipite. Cela s’apparente à “un déséquilibre qui dure”, comme vivre en courant. Je crois que cela vient du constat général et l’envie de le dépasser, par le langage. Plutôt qu’exprimer des tensions, des définitions qui se combattent, j’évoque seulement « l’envie de », puis au bout d’un moment, je pose la question “qui parle ?”. « Agent réel » devient « Chapitre 2 » puis « Ce n’est pas ça qui se passe », puis « Mutant innommable », puis « Nous ». On pourrait définir cela comme un polar politique sur l’identité qui se reconnaît en se redéfinissant. Cela comporte aussi quelque chose de physique aussi, car c’est le beat qui explique, à travers la voix. Le « quelqu’un » sur le titre « Y-a quelqu’un », c’est l’auditeur, mais aussi moi-même, une oreille qui parle. Sans dire vraiment, puisqu’en disant on désamorce, on comprend. Là quelqu’un ou quelque chose s’auto-affirme, c’est une épreuve de force, une poésie abstraite qui agit comme un miroir, sur le langage lui même. Un album essai ? L’idée est née sur le sens et la boucle de bavardage qui n’arrive plus à en créer, quelque chose d’actuel. Il s’agit de digressions sur le vide, quelqu’un qui crierait le vide, sur des marches obsédantes, qui cognent, en prenant toujours plus de vitesse, c’est son ombre qui nous le dit, peut-être ça.

D’une manière générale ou singulière, qu’est-ce qui déclenche chez vous le processus de conception d’un album ?

D.B. : Dès que nous avons la moitié de quelque chose, le processus se déclenche tout seul. Après, il faut finir.

A.M. : Un rire qui devient un cri.

Avec le morceau «Y-a quelqu’un ? », vous passez plus que jamais à la phase active, au réveil de la conscience collective ?

D.B. : C’est ça « Agent Réel ».

A.M. : Nous ne faisons pas de calcul, c’est des périodes longues. Cet album recoupe trois ans de nos vies. Nous ne sommes pas là pour faire passer le temps, c’est clair ; nous faisons des disques pour parler à des gens et sortir des sentiers battus. L’esprit critique est tellement en bon état…

Plus loin « Nous » morceau fleuve de 29 minutes rapporte : « Nous ne produisons pas du contenu, nous sommes le contenu. (…/…) « Nous ne pensons pas en termes de résultat ». Ces paroles manifestent votre refus de remplir du vide, de participer à la grand-messe de la musique de masse ?

A.M. : Ce n’est pas un refus, nous n’en sommes pas capables de toute façon, faut pas se leurrer. Nous n’aimons pas ce spectacle, cette publicité, cette personnification, elle nous paraît d’un autre âge et maintenue en vie sous perfusion. Parce que c’est en place, qu’il ne faut pas bouger, qu’il y a des intérêts. Elle est anachronique à l’époque dans laquelle nous entrons, où les défis sont tout autres que de faire le show de l’année. Je ne sais pas, ça paraît évident non ? En tout cas c’est pas ce que l’on ressent, ni ce que l’on attend. Et puis c’est un peu la mascarade. Ceci dit, c’est pas parce que tu la traverses, que tu as un nez rouge…

D.B. : Tu vois bien que si l’on pensait en termes de résultat, nous foncerions légèrement moins vite dans le mur ! Pour “Nous”, il fallait absolument que l’A.M.biance globale force l’écoute au sens plutôt qu’à la forme “extérieure” du morceau. D’ailleurs, la forme courte n’était pas aussi intéressante. En forçant certains traits, l’écoute fini par les oublier et on rentre forcement quelque part, chez nous, chez Programme, dans notre contenu.
La part musicale semble avoir plus été choyée que par le passé, on ne peut pas parler de mélodies pop certes, mais le rythme des mots, du flow est très musical…

A.M. : J’ai commencé par des improvisations pour ce disque, j’avais un micro cravate cloué sur le torse et je faisais les cent pas en essayant de faire sortir des choses autour de ces deux mots : « Agent réel ». Certains titres, comme « Y-a quelqu’un ? », cherchent une nouvelle voie avec les influences rap, rock, punk, spé, mais sans que ça devienne du hip hop de bobos second degré ou de la foire d’empoigne en fusion, le flow part ailleurs aussi.

Entre hip hop syncopé, abstraction électronique, musiques improvisées, rock, no wave, vous ne tranchez pas. Pas envie de se coller dans un style ?

D.B. : Non, non… Nous ne cherchons pas quelque chose. Pour nous, c’est précieux, c’est ce qui nous reste de liberté.

A.M. : Comment on pourrait appeler le bordel que l’on fait ? Nous cherchons plutôt une synthèse personnelle.

Programme est-il votre « bogue »… programmé dans la douce mélodie du bonheur consumériste ?

D.B. : “Bonheur consumériste” est un mensonge. Tant que l’on ne sait pas, on a tendance à contester, parce qu’il nous manque fatalement une composante dans notre vie. Mais dès que l’on s’en aperçoit, on n’a plus besoin de quoi que se soit comme support pour ouvrir sa gueule : on a les boules tout simplement. Programme n’a pas spécialement de vocation dans ce sens-là, mais nous aimons bien s’en imprégner pour teinter nos titres.

A.M. : Un peu oui. Mais, aussi un moyen de rester debout, ou de relever la tête. Même si c’est décidément très suspect. Je ne trouve pas que la mélodie du bonheur consumériste soit douce, psychologiquement elle est malsaine, insidieuse.

La page d’attente du nouveau site montrait une caméra surveillance (la séquence apparaît désormais dans le site), cela participe de quelle envie ?

A.M. : C’est un extrait du clip fait par Florent Tarrieux. Les caméras de surveillance, j’ai pas l’impression qu’elles montrent grand chose en fait, elles cherchent un coupable c’est tout, on voit rien de ce qu’il y a autour.

La crainte de l’ennui, de la répétition , « la douce mélodie du bonheur démocratique dans la consommation » seraient votre moteur ?

A.M. : Décidément tu la trouves douce notre démocratie… Pourvu que ça dure ! C’est pas la crainte qui nous pousse, sinon nous ne ferions pas ça, c’est l’envie. Ce que nous entendons autour de nous c’est pas : tout va bien. Du tout.

D.B. : La parole, tout le monde l’a, mais personne ne s’écoute. C’est pour cela que chacun braille des conneries à longueur de journée : journaux, blogs, télé câblée, radio, magazines spécialisés, chats, le tout inclus dans la téléphonie portable. Pour moi il ne s’agit pas d’un problème de prise de parole. C’est une cacophonie à la foire d’empoigne que l’on ose appeler “liberté de parole démocratique” dans laquelle je ne vois aucune “douce mélodie”. Cela, c’est un de mes moteurs.

Essuies-tu des commentaires ou questions sur votre paranoïa présupposée, sur un pessimisme latent ? D’ailleurs, ne défiez-vous pas d’une certaine jubilation ces arguments tout trouvés ?

A.M. : La paranoïa c’est marrant si on peut dire, parce que cela dépend de ce qui est en face, alors je ne sais pas si c’est très net comme concept… Histoire de l’être carrément ! Pour les arguments tout trouvés, il me suffit de regarder ce que font ceux qui les énoncent.

Cependant impossible de faire abstraction de vos mots tant ils portent et font corps avec votre univers… concevez-vous cela comme une matrice ?

A.M. : Merci. Pour la matrice je ne sais pas.

D.B. : Oui, c’est bien vu. On peut parler de matrice et d’univers, en tout cas musicalement j’aime bien penser en ces termes.

Pensez-vous que votre forme d’humour soit suffisamment comprise, toute modestie assumée ?

D.B. : Je ne pense pas, non.

A.M. : Elle l’est peut-être par l’inventivité ou le culot de certains partis pris. Ou parce qu’il faut être un peu fou pour faire ça.

Programme n’envisage-t-il pas de rejoindre les lieux de l’art contemporain, même pour un épisode ?

A.M. : Ça dépendra des propositions, de notre liberté.

Vincent Michaud
Photo : Denis Degioanni

« Agent réel » (Ici d’Ailleurs)
www.prgrmm.com

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