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Kent


L’homme qui venait

d’ailleurs

Et si c’était tout simplement la pièce maîtresse de sa carrière ? “L’homme de Mars” est une bande dessinée, un album conceptuel, un opéra rock, terriblement bien écrit, illustré, composé, mis en scène (et arrangé par Fred Pallem). Un projet original où nombre des talents de Kent s’expriment et s’épanouissent. Car depuis ses débuts, les différents domaines artistiques qu’il aborde sont toujours étroitement liés.

75 / 76 est une année charnière pour le jeune Kent : la fin du lycée, les débuts du groupe Starshooter et des nuits passées à dessiner. En faisant la tournée des éditeurs parisiens, il placera quelques planches dans son journal de référence : Métal Hurlant. “Un jour, je me retrouve dans leur nouveau local, et qui je vois au bureau de rédacteur en chef ? Philippe Manœuvre que je reconnais parce que mon autre Bible était Rock & Folk, où je l’avais vu en photo. Je lui dis : “J’ai un groupe de rock aussi, on est les meilleurs et on déteste les Rolling Stones“. Il était justement en train de préparer un papier sur le punk. Quand le canard est paru, on était les rois du monde ! Le soir même, le téléphone sonne, c’était l’organisateur d’un concert à Grenoble pour faire la première partie d’Higelin !” Fameuse soirée où Starshooter sera repéré par Philippe Constantin qui les signera chez Pathé Marconi.

Musique et dessin en parallèle durant quelques années, un diptyque au début de sa carrière solo en 1982, un 33 tours (eh oui ! ) “Amours propres” et une bande dessinée “Sales amours”. A la suite, il publiera six BD en quatre ans : “J’ai arrêté la BD en 86 pour deux raisons majeures : Métal Hurlant mettait la clé sous la porte, Futuropolis était racheté et je n’avais pas envie d’aller voir ailleurs parce que mon ami et scénariste Philippe Bernalin venait de mourir. J’ai seulement commencé à vouloir redessiner quand j’ai écrit des livres pour enfants, illustrés par Stéphane Girel. En 2005, Gillian Legallic est venue me voir et m’a dit : “J’ai monté l’association Alofa Tuvalu, il s’agit d’îles qui sont en train de disparaître dans le Pacifique à cause du réchauffement climatique, je voudrais que tu fasses une BD pédagogique autour de ça.” Alors je m’y suis remis, tout simplement… Puis est venu le projet de “L’homme de Mars” : j’ai d’abord eu envie d’illustrer les chansons à la peinture et ça a fini en bande dessinée… Des planches en noir et blanc parce que je voulais faire dans l’expressionnisme et éviter de refaire ce que j’avais déjà fait. J’aime bien avoir une contrainte de départ, c’est un peu comme en musique, jouer en acoustique ou avec un orchestre…”

Entre temps, Kent est davantage devenu romancier. En 82, sous l’impulsion d’un jeune éditeur de polars (qui coulera avant publication), il écrit “Les nouilles froides” qui sortira finalement en 86 avec une couverture illustrée par Enki Bilal. Kent continue à cumuler les modes d’expressions : “Mon troisième roman, “Des gens imparfaits” a été écrit à une période où la musique me prenait beaucoup de temps. Je m’étais dit que j’allais l’écrire en tournée, mais dans la piaule d’hôtel le soir, t’as pas trop le courage d’écrire. Donc j’avançais en pointillé. Des fois, j’oubliais la trame exacte et je remettais tout en cause ! Les idées de roman, je les tourne en tête très longtemps. Si au bout de plusieurs mois, l’idée est toujours là et qu’elle s’est enrichie, c’est que c’était une bonne idée. La fin change souvent en cours de route parce que les personnages finissent par avoir un vrai caractère psychologique. C’est assez drôle, y a un vrai dialogue. En fait, je suis tout seul dans mon bureau et c’est comme si j’étais dans un théâtre vide avec des comédiens sur scène en train de répéter…C’est proche de la folie… douce. On arrive à s’émouvoir tout seul, à se mettre en colère, à prendre les mimiques du personnage pendant que l’on écrit. Quand je dessine, c’est pareil !” Peut-être bien que Kent est un acteur avant tout. D’ailleurs, un agent l’a vu sur scène et c’est comme ça qu’il s’est retrouvé dans “Un samedi sur la terre” avec Elsa Zylberstein, Eric Caravaca, Dominique Pinon, réalisé par Diane Bertrand. Il ratera d’autres tournages par honnêteté pour ses engagements musicaux. Mais il continue à jouer la comédie sur scène : “Il y a des périodes où ça m’amuse, d’autres moins. A partir du moment où j’étais dans une tradition très chanson, ça coulait de source de faire le comédien parce que je m’inspirais de Montand et Brel. Longtemps je faisais des sketchs aussi, mais c’était tellement millimétré (particulièrement avec Enzo Enzo dans “Enfin seuls !”), que j’ai eu envie de plus de liberté, d’improvisation…”

Aujourd’hui, Kent sort un livre-disque conceptuel, une sorte d’opéra rock racontant la vision d’un martien en visite sur Terre. Et ce pari est plutôt risqué : “C’est un peu mon problème et là, je vais manquer de modestie : que ce soit avec Starshooter et le rock français ou dans la chanson, le music-hall, j’ai toujours essayé des trucs nouveaux ou qui ne se faisaient plus… Et puis les années passent et je vois des gars qui s’en inspirent. Alors quand on me dit : “J’aime bien ce que tu fais, ça me fait penser à Bénabar, c’est super”, honnêtement, ça me fait chier ! Je n’ai rien contre lui, il est arrivé au bon moment, tant mieux pour lui. Je suis souvent arrivé trop tôt, c’est comme ça.” Comme il n’arrête jamais, lorsqu’il se fait discret, c’est qu’il est sur d’autres projets plus solitaires : “J’ai peur du vide, de ne plus avoir d’idées, donc je suis tout le temps en train d’en chercher. Je me refuse de glander. La folie artistique que j’ai en moi préfèrerait que je me coupe de tout, mais je refuse d’imposer ma vie d’artiste à mes proches. C’est pour ça que parfois, ma carrière est un peu chaotique. Ne pas savoir tirer la couverture à soi, ne pas être assez égocentrique, mettre d’autres personnes en avant, bizarrement ça ne paie pas dans ce milieu !”

Comment Kent est-il perçu aujourd’hui ? Comme l’ex-punk de Starshooter ? Comme l’auteur de “Juste quelqu’un de bien” ? Comme un dessinateur, un acteur, un romancier ? “J’ai souvent l’impression d’être le douanier Rousseau, ce que je fais plaît à des gens, mais pas forcément à ceux auxquels ça s’adresse. Avec “Vibrato” (son cinquième roman, paru en 2007 chez JC Lattès), j’étais enfin considéré comme un romancier et non comme un chanteur qui écrit. Les critiques disaient : “Ca parle de musique, mais en plus c’est bien écrit”. Pareil du côté lecteur… C’est pour ça qu’il faudrait que je bosse, que j’écrive un nouveau roman cette année parce que le clou est là et ne demande qu’à être enfoncé.” Quel que soit le genre et la discipline qu’il aborde, Kent imposa son style et ne cessera de nous surprendre.

Valérie Bour

“L’homme de Mars” – Actes Sud BD / AZ

kent.artistes.universalmusic.fr

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