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SHEELOVES

Une formidable histoire discrète

SHEELOVES ©Le bonheur n’existe pas, la mièvrerie n’a pas sa place dans le grand cirque du rock’n’roll. On s’y délecte même parfois de coups tordus et de destins brisés sur la voie du succès… Pourtant, hors la piste aux étoiles, il est possible de prendre son pied en découvrant des pépites lo-fi inédites enregistrées voici plus de dix ans et enfin à la fête. Entretien fouillé et sincère avec leur géniteur allergique aux paillettes, un “homme studio” méticuleux.

Pourquoi ces morceaux étaient-ils restés dans l’ombre ? Ces vielles bandes étaient-elles fidèles à ton souvenir ? 

Philippe Laude / Sheeloves : À la suite de désaccords avec le label de l’époque, j’ai décidé de quitter les sessions d’enregistrements déjà entamées, puis de passer à de nouvelles chansons et à un nouvel album enregistrés au studio Amanita à Anglet. Les paroles, les mélodies et les accords ont été écrits entre 1998 et 1999. Elles sont restées dans un coin de ma tête pendant des années sans que j’y retouche vraiment.

Comment prend-t-on la décision de les retravailler et pourquoi ? As-tu changé beaucoup d’éléments ? As-tu viré des morceaux ?

Juste l’envie de donner une chance à ces morceaux de voir le jour. Et le plaisir d’enfin pouvoir bosser dessus. Ces chansons étaient terminées, il ne restait plus qu’à les arranger. Seuls les arrangements et les diverses guitares ont un peu évolué avec le temps, mais peu de changements significatifs. Il y avait à l’époque seize morceaux et je n’en ai gardé que douze. Tous sauf un sont assez courts, car je voulais des morceaux directs, allant vite au cœur de la mélodie et des voix.

Comment as-tu procédé ?

À partir des batteries de Bud et de la plupart des basses de Pascal enregistrées à l’époque au studio et label Elp!, j’ai eu toute latitude dans mon home studio, le Black Libertarian Studio, afin de donner libre court à mes idées de sons de guitares, piano, orgue et voix, ainsi que la “couleur”. Tout cela avec plus de temps et moins de stress que dans un studio dit professionnel.

Le genre lo-fi fait de bricolage, est ici poussé à l’extrême…

C’est voulu. J’ai toujours aimé, depuis la fin des années 80 / début 90, le style direct, frais et sans fard ni artifice, amené sur le devant de la scène par Daniel Johnston, Guided by Voices, Calvin Johnson, Lou Barlow ou encore Beck.

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“Le fruit de ces attentes et frustrations accumulées depuis tant d’années.”

Tous les morceaux fourmillent de trouvailles peut-être pas poussées jusqu’à leur potentiel maximum. C’était une période foisonnante pour toi ? Cela expliquerait aussi que tu aies voulu leur donner leur chance (et non pas une “nouvelle” puisqu’ils étaient restés inédits…) ?

C’est absolument ça… Cet album représente beaucoup pour moi, car il signe une nouvelle ère de création et d’enregistrements, dans mon studio ou ailleurs… Depuis quelques mois, j’ai eu plus le loisir de revenir à cette passion de la musique que j’avais un peu délaissée pour diverses raisons. Toutes ces idées qui fourmillent sont le fruit de ces attentes et frustrations accumulées depuis tant d’années. Le premier morceau de l’album “Made of frustration” fait référence à cela.

Combien de temps avait pris leur composition ?

Très variable… Il n’y a aucune loi, aucun modèle défini dans la création d’une chanson. Cela peut commencer par un texte ou une mélodie ou trois notes de guitares et cela peut prendre dix minutes comme un an. Certaines chansons apparaissent comme évidentes et terminées dès que tu as fini de les jouer.

Qu’est-ce qui a changé dans ton abord de la musique par rapport à cette époque ?

Pas grand chose, je crois que je fais de la musique pour les mêmes raisons que lorsque j’avais 20 ou 30 ans, l’envie et la passion.

Quels sont tes projets, notamment pour Sheeloves ?

Pouvoir sortir un maximum de choses à mon humble niveau chaque année et surtout pouvoir le faire en collaboration avec des mecs qui sentent et partagent les choses comme moi, ce qui n’est pas forcément évident ni facile. Je prévois d’enregistrer l’été prochain de nouveaux morceaux avec un batteur et un bassiste, moi à la guitare. La formule trio est intéressante, car elle évite par exemple d’avoir deux guitaristes qui se marchent sur les pieds. Ça donne surtout un résultat plus direct, plus live. Je n’ai pas envie d’arrangements complexes où s’empilent les pistes.

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“iTunes se remplit les poches et, au passage, celles de U2 ou d’autres dinosaures croulants.”

Internet, Bandcamp et autres, permettent la re-découverte d’œuvres connues ou inédites. Apprécies-tu que la musique écrive son histoire, indépendante, en fonction des goûts des internautes, des hasards du surf sur Internet aussi ?

Internet est un merveilleux outil pour moi, peut-être moins pour les boss de maisons de disques. Cela me paraît en tout cas plus sain et juste que le partage existe entre les internautes et tous ceux qui écoutent avec intérêt et passion la musique quel que soit le style. Pour ma part, je laisse les albums gratuitement sur Bandcamp. Je fais de la musique pour moi et ensuite, si ça plaît, c’est cool, mais je ne vois pas le côté business dedans. D’ailleurs, si c’était le cas je serais vite déçu !

La constitution d’une mémoire collective de la musique qui contrebalance la construction de l’empire iTunes, c’est appréciable ?

Bien sûr, iTunes se remplit les poches et au passage celles de U2 ou d’autres dinosaures croulants. Mais ils ne sont finalement plus des groupes. Juste des produits marketés. Ils n’offrent plus rien d’intéressant depuis longtemps. Bandcamp est, parmi d’autres d’ailleurs, une bonne alternative à cette industrie. Cela permet de donner de la place à des groupes du monde entier qui n’auront pas l’opportunité d’être sur un gros label.

Quels sont tes projets, notamment pour Sheeloves ?
Pouvoir sortir un maximum de choses à mon humble niveau chaque année et surtout pouvoir le faire en collaboration avec des mecs qui sentent et partagent les choses comme moi, ce qui n’est pas forcément évident ni facile. À l’instar de David Gedge des Wedding Present voici vingt ans, je me prépare à générer une année de singles. Cela commence donc par celui de janvier. J’y ai pensé à la suite de la réécoute des trois “Hit parade” des Wedding Present. Je trouve ce concept excitant bien que casse-gueule, car il faut tenir la route (même si j’apprécie les chemins de traverse) pendant un an. En même temps, c’est un moyen de taper dans différents styles et formats. Par contre, je n’inclurai pas de reprises comme eux le faisaient. Les Smiths marchaient aussi beaucoup au single et l’album “The world won’t listen” est une excellente compilation de ces faces A. Je prévois aussi d’enregistrer l’été prochain avec un batteur et un bassiste, moi à la guitare. La formule trio est intéressante, car elle évite par exemple d’avoir deux guitaristes qui se marchent sur les pieds. Ça donne surtout un résultat plus direct, plus live. Je n’ai pas envie d’arrangements complexes où s’empilent les pistes.

Site : sheeloves.bandcamp.com

Texte : Vincent Michaud

SHEELOVES ©SHEELOVES
“Based on the true story of…”
(Autoproduit)
C’est une histoire comme on en connaît tous : un album excellent, mais jamais sorti en raison d’obscures raisons de cuisine en studio. Philippe, le géniteur de Sheeloves, les déterre dix ans plus tard, retravaillées dans le home studio… au sous-sol de son domicile : underground, quand tu nous tiens ! Le genre lo-fi, son maison et l’esprit do it yourself, s’avère donc ici poussé à l’extrême. “Based on the true story of…” reste néanmoins cohérent et en tire même force et majesté. “Made of frustration” le bien nommé entame avec une densité rare. On pense à un Velvet joliment fauché, des Jesus and Mary Chain sans fièvre égotique, ou encore aux premiers Pavement, sans que les influences soient trop prégnantes. Pas de folie, mais pourtant un cœur bien rock’n’roll bat tout au long de cet album mort-né, aujourd’hui ressuscité. Les miraculées se nourrissent d’effets de guitares et d’une voix aux multiples échos. Le travail et le talent compensent la modestie des moyens techniques, comme sur le morceau éponyme à l’album, grosse tambouille psychédélique, s’achevant pas très loin des Beach Boys les plus torturés. Sur “Suss you out” la guitare se plaint, agonise, dans de multiples ramifications. Ne jamais s’éteindre, c’est d’ailleurs le sentiment général insufflé par ces douze pistes révélant à chaque écoute de nouvelles facettes. Surtout que tous les albums de Sheeloves sont en écoute sur Internet… sheeloves.bandcamp.com/album/based-on-the-true-story-of

VM

 

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