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CHINESE MAN RECORDS

10 years10 ans de résistance, c’est à surligner à une époque où l’industrie musicale est malmenée. Nous avons rencontré les faiseurs de son du label (le manager et les artistes) afin de décortiquer leur réussite… Le « Do it yourself » serait-il la clef de l’économie fragile qui agite le milieu depuis quelques années ? La célébration de cet anniversaire aura lieu du 25 avril au 24 mai avec 14 dates explosives sur les routes françaises ainsi que la sortie d’un album « The Groove Sessions Vol.3 ».

L’histoire du label ?

C’est une histoire de potes, d’ailleurs le label s’est créé avant le groupe, pour développer des projets divers tels que musicaux, vidéos, web design, c’était assez ouvert. Au bout de 10 ans, on commence à émerger en tant que label, car nous avons signé de nouveaux groupes. Au début, on faisait des vinyles à 500 exemplaires, car c’était notre objectif n°1. Et en 2007, avec le succès de la pub pour Mercedes, les gens ont cherché à trouver notre son. A ce moment-là, nous avons sorti une compilation en CD, le « Groove Sessions Volume 1 ». Il réunissait les trois maxis que nous avions sortis en galettes.

LE GROOVE SESSIONS ET LE LIVE DES 10 ANS

Comment va être construit le live que vous préparez pour les 10 ans ?

Le principe du concert des 10 ans, c’est le live d’une heure des Chinese Man, une heure des Deluxe et une demi-heure qui a été créée en commun avec les deux groupes sur un même plateau, avec bien sûr les MC pour célébrer l’anniversaire ! L’idée est de faire un mois de tournée où on met en évidence la complémentarité entre Deluxe et nous, mais aussi Taïwan MC et Youthstar. Attention, la demi-heure commune ne sera visible que pendant le mois anniversaire !

Les morceaux joués sur la tournée seront-ils ceux de l’album ?

Y’a plein de nouveaux morceaux… Il y a toujours quelques titres que l’on compose en album et que l’on décide de ne pas jouer car ils n’ont pas forcément de résonance en live ! Et puis, il y a cette création avec Deluxe… Dans cette partie commune, on a choisi de privilégier les morceaux emblématiques de Chinese Man Records, mais totalement réorchestrés avec la vision des deux groupes qui se rencontrent. Le fait d’avoir des musiciens permet vraiment de travailler en profondeur. Je dois avouer que l’on s’est un peu gardé les nouveaux morceaux pour notre partie live. Mais, il y aura quand même des petits clins d’œil dans le set avec Deluxe. Cela va permettre de mettre en perspective les 10 ans du label, d’offrir un truc très festif et de se faire plaisir ensemble à rejouer tout ça pour le public.

Avez-vous travaillé de la même manière sur le “Groove Sessions Volume 3” que sur les deux premiers, c’est-à-dire, pas d’unité et de concept, ainsi qu’une participation de tous les membres du label ?

C’est sensiblement le même processus que sur les deux premiers, ce sont des compilations sur lesquelles, nous, en tant que groupe, on fournit la majorité des morceaux. Sur le Volume 3, nous avons huit titres, ensuite, il y a deux titres de Deluxe, deux de Leyan et Tomapam, un de S.O.A.P et Taïwan, donc c’est un projet collectif. Nous voulions des morceaux assez festifs, et des morceaux plus « dark ». Il y a cette notion de groove, que ce soit dans des trucs indiens, ou reggae, ou hip-hop. La seule contrainte a été : « Faites-vous plaisir et faites-nous des titres qui vont faire plaisir aux gens. » Dans « Racing with the sun »  y’avait vraiment l’idée d’une histoire, d’un concept. On aime  alterner les projets lourds et légers, le format des Groove Sessions nous donne une liberté énorme, même si au final, on se rend compte que, le fait que tout le monde soit dans notre label, y’a une patte commune, une sorte d’unité qui se dégage malgré la diversité des sons et des artistes. Je pense que derrière, on fera un album qui sera plus conceptuel, plus Chinese Man.

« Independent Music » : Quelles sont les valeurs que vous y défendez ?

La construction de ce morceau est un peu folle ! On a travaillé sur un remix de Johnny Osbourne, un live en Sound System, pour une date au Garance Reggae Festival, il y a un an. On a commencé à bosser cette version et finalement, on est complètement sorti de l’idée de remix, on a refait un Riddim… Il s’est avéré qu’un mois après, on nous disait que Johnny Osbourne était en France et que l’on avait la possibilité de faire un morceau avec lui… Le titre est parti un peu comme ça ! On a demandé à YT, un MC anglais de faire un couplet. On lui a expliqué les 10 ans d’indépendance du label. On ne voulait pas faire une dénonciation des majors car nous ne sommes pas foncièrement contre ; on voulait simplement faire une éloge de l’indépendance et du « Do it Yourself ». YT a interprété notre discours et voilà ce qu’il raconte : « Y’a que toi qui peut le faire. N’attends pas qu’on vienne t’aider. Il faut que tu te bouges ! ». D’ailleurs, c’est aussi un peu ce que dit Johnny Osbourne. Taïwan MC, l’autre auteur, lui, a eu une vision encore plus liée au label. Il revendique l’indépendance, mais il précise qu’il faut rester humble, et fournir beaucoup de boulot. L’éthique du travail permet de rester droit dans ses bottes et d’être bien dans ses baskets. Tout ça, en n’oubliant pas de se faire plaisir. Bref, ce sont exactement les valeurs de notre label !
Celui-ci emploie entre 20 et 30 personnes, il a une fonction sociale importante. Nous sommes un collectif et nous prenons les décisions en sachant que beaucoup de gens vivent avec lui… Nous avons envie que Chinese Man fonctionne, mais le plus important pour nous est que la structure marche et que ’on arrive à garder cette entreprise, en y faisant quelque chose de beau au quotidien !

« Once upon a time » : on est séduit par les sonorités à la Cypress Hill, est-ce une volonté de retour aux sources 90’s ?

On travaille toujours à partir de samples, ce sont eux qui définissent notre base. C’est vrai que l’on est assez branché hip hop. Quand on a commencé à chercher, on est beaucoup tombé sur des choses dans ces tonalités-là, ces couleurs-là, ces tempos-là… Pourtant, bizarrement, c’est un sample africain, mais qui a ce côté très Cypress. On avait vraiment envie de simplicité, on voulait revenir au groove un peu primaire, c’est d’ailleurs la couleur de l’album. « Once upon a time » est composé à partir d’une boucle de quatre mesures, et après c’est tout un travail de réorchestration afin de fournir aux MC une base ouverte, sur laquelle, ils ont la liberté de poser. Quand tu bosses avec Tumi, y’a forcement l’aspect textuel qui arrive sur le tapis. C’est un texte super profond, un regard sur ce qu’il s’est passé en Afrique du Sud, l’apartheid, et plus généralement sur l’Afrique, la colonisation… « Oui, on a vécu des choses, mais il faut qu’on avance, sans s’en servir comme d’une excuse, il faut exister par nous-mêmes ». En plus de Tumi, y’a Zubz, ce sont les deux plus grands MC sud-africains. De plus, on ne s’y attendait pas, mais ce morceau est en train d’avoir une vraie résonance là-bas, il est beaucoup repris par des blogs, surtout depuis la mort de Mandela.

ARTISTIQUEMENT, RETOUR SUR 10 ANS DE TRAVAIL

Comment décidez-vous de collaborer avec les uns et les autres (featuring, sampling) ?

Au tout début de l’histoire du label, on a rencontré un DJ Producteur à San Francisco, qui nous a présenté des artistes. Il peut nous arriver de solliciter un mec plus connu et de voir avec lui comment on peut s’arranger financièrement, mais la base du truc, c’est toujours d’avoir des relations. Comme Tumi, que l’on a rencontré aux Solidays. Petit à petit, on s’est construit un réseau… Mais surtout, on n’a pas envie que ça le collaborateur fasse ça juste pour de l’argent ou un quelconque intérêt… pour nous l’important, c’est que le morceau lui plaise !

Comment choisissez-vous les groupes que vous signez ? Il y en a très peu…

On est une petite structure indépendante, donc ça passe forcément par les relations humaines beaucoup plus que dans une major ou un gros label. On pense qu’il faut qu’il y ait une vraie complicité, sans forcément être les meilleurs amis du monde, mais de vraies références musicales communes pour pouvoir commencer à discuter. Une notion très importante pour signer un groupe, c’est qu’il soit capable de proposer quelque chose en disque, mais aussi sur scène, parce qu’aujourd’hui, l’économie est faite autour du live. C’est tout un état d’esprit, il faut que les gens soient ok pour partir, dans les débuts, dans des conditions pas toujours terribles… On ne signerait jamais un groupe, qui attendrait de nous, qu’au bout d’un mois, il passe à l’Olympia. Car, même si on a du réseau, on ne veut pas brûler les étapes, on n’a pas pour ambition de projeter les groupes trop vite ! Après, toutes les opportunités, on les saisit… En résumé, le label peut t’amener des opportunités, te faire bénéficier d’un réseau, mais nous gravitons dans un univers alternatif et il faut en avoir conscience !

C’est compliqué d’allier amitié et business ?

On est une structure extrêmement saine dans ses rapports avec les gens. Nous avons une entente et une manière de fonctionner qui permet de ne pas tomber dans des problèmes d’égo ou des engueulades au quotidien… Ce n’est pas un travail facile tous les jours !

Travaillez-vous toujours de la même manière, à savoir, faîtes-vous toujours une chasse aux trésors sur les vinyles de votre entourage et samplez-vous les artistes que vous rencontrez ?

On n’a pas changé notre manière de faire, on part toujours d’un sample qu l’on prend quasi exclusivement sur du vinyle ! Le son est beaucoup moins compressé, et moins sur-mixé que ce qu’ils font maintenant (CD ou MP3). Les sources sont hyper diverses, y’a des vinyles que l’on nous a donné, des disques récupérés chez mes grands-parents. On fonctionne aussi beaucoup avec un disquaire de Marseille, on a sympathisé avec lui et il nous met régulièrement des titres de côté !
Toutes les inspirations de base : le hip hop, la soul, la funk, ont été déjà beaucoup samplé. Quand on a commencé, on s’est dirigé vers d’autres sonorités, du côté de l’Amérique du sud, l’Afrique, l’Asie. On créé donc une base avec un sample (beaucoup retravaillé, découpé), et ensuite comme c’est du hip hop, les premiers ajouts sont la batterie et la basse. Après, bien sûr, y’a tout un travail d’arrangement, soit avec des claviers, soit avec les musiciens avec qui on travaille au quotidien, que ce soit des cuivres, des percussions… C’est le symbole de notre évolution, on ne fonctionne plus exclusivement avec des samples !
Quand on bosse avec des musiciens, ce n’est jamais des sessions classique. Les musiciens enregistrent en studio et nous, on retravaille les sons exactement comme les samples ! Donc c’est vraiment artisanal, c’est une manière de faire qui évolue au quotidien, mais on a sensiblement gardé la même démarche qu’au début !

Cherchez-vous à avoir les droits de vos samples ?

Le fait d’être monté en label nous facilite la tâche… Et surtout, on ne sample jamais des gros artistes, mais on met un point d’honneur a toujours aller chercher les ayant droits. Parfois, c’est très compliqué, ça peut prendre des années… Par exemple, dans « Racing with the sun », la chanteuse a vraiment aimé le morceau et elle a complètement accepté qu’on le reprenne, mais elle a eu un droit de regard. C’est vrai que l’on essaie toujours d’être clean là-dedans !

Le son « Chinese Man » n’existe pas sans les images…

La vidéo a fait partie intégrante du projet depuis le début avec Fred et Annabelle (vidéo / animation). Dès que l’on est monté sur scène, c’était naturel de mettre en avant ce côté-là ! Pour le nouveau live des Chinese Man, on a un nouveau dispositif vidéo qui va être impressionnant avec des nouveaux médias. Mais il y a aussi le désir en parallèle de continuer à aller vers le live en gardant nos bases de musiques électroniques. Le fait d’intégrer une section cuivre, un percussionniste, 2 MC, qui sont avec nous sur quasiment tous les morceaux, ça nous permet de faire un espèce d’hybride entre musique électro et concert. On n’avait pas non plus envie d’aller dans un concours de technologie…

Est-ce que la scénographie est la marque de fabrique du label ?

Chacun est totalement libre, même si, c’est aussi une question de moyen. Par exemple, pour Deluxe, avoir de la vidéo sur scène, ce serait compliqué. Nous, tout ce que l’on impose, c’est que les groupes travaillent et fassent du mieux qu’ils peuvent en proposant un live et des disques sérieux. Par exemple, à la fin de leur album, les Deluxe ont eu des doutes et nous ont demandé des retours. L’idée, pour nous, c’est de réussir à se détacher le plus possible de nos jugements subjectifs, essayer de comprendre ce qu’ils veulent faire, et de leur donner des conseils pour mettre le mieux en valeur leur volonté créative ! Quand on prend un projet, on le prend dans son ensemble, c’est comme quand on bosse avec des vidéastes ou des graphistes, on leur donne des consignes, on peut leur demander des retouches, mais on est suffisamment « fan » de leur travail pour savoir qu’on n’est jamais dans un esprit de commande ! Le principe de notre label, c’est que le groupe reste le dernier décisionnaire !

http://www.deezer.com/artist/3295

ECONOMIQUEMENT, CHOIX ET VIABILITÉ

Est-ce plus dur qu’avant ?

Non, le modèle économique du label est né dans cet univers où tu sais que tu ne vas pas vendre 100 000 albums. Pour nous, la dématérialisation et le téléchargement illégal ne sont pas un problème, c’est même un vecteur de communication !
Le but, à la base, n’était pas de vendre du son, mais de le diffuser. C’est pourquoi nous pressions des vinyles en petits nombres. Et puis, ça a plu et ça a été diffusé autrement. On vit dans une époque où nous avons découvert la musique par Internet aussi…

Pensez-vous que les lois répressives sont la condition de la survie des labels et des artistes ?

La musique a un coût, et quand tu ne vends pas énormément d’albums, il faut faire une tournée qui marche bien. Y’a des gens qui téléchargent, mais y’a aussi des gens qui achètent. Nous avons une base de fans qui nous suivent depuis le début, et qui viennent acheter au merch même si ils ont déjà le CD. Ils le font avec l’idée de participation au projet, parce qu’il y a la notion d’indépendance qui transparaît.
Je milite pour dire que la musique a un coût et qu’il ne faut pas que ce soit complètement gratuit, mais ce n’est pas en téléchargeant sur I-Tunes que la musique va grandir. Moi, par exemple, si je peux acheter le vinyle sur le label en direct, j’ai l’impression d’avoir plus d’impact que si je passe par une grosse plateforme qui se sucre au passage et qui ne contribue pas à la création artistique, alors qu’au final, c’est la même musique. Internet permet ça aussi !

Il y a t-il de grandes différences avec une major ?

On est une association, en loi 1901, ça ne peut pas être le modèle économique d’une major. On paie les gens à la hauteur de leur travail, mais ça reste une asso et la totalité des bénéfices sont réinvestis dans les projets. Il n’y a pas d’actionnaires donc cela change énormément de choses. Notre liberté financière, et donc créative, est totale, mais ça ne veut pas dire que l’on est complètement déconnecté du modèle économique. Il faut bien vivre… Les projets sont faits pour générer de l’argent qui va permettre de générer de nouveaux projets ! Le succès de Chinese Man, il y a deux ans, a permi le développement de Deluxe et inversement, le succès, toute échelle gardée, de Deluxe, a permi le Groove Sessions et ainsi de suite.
La logique du 360°, d’intégrer le maximum d’activités, le booking, l’édition etc., vient aussi de cette partie financière où, nous décidons de faire nous-mêmes plutôt que de donner une partie du gâteau.

Comment voyez-vous l’avenir ? Si vous deviez devenir plus gros, accepteriez-vous de signer chez une major ?

Je n’ai pas la réponse. Notre structure aujourd’hui, permet de vivre avec le nombre d’artistes que l’on a. On ne peut pas cumuler un nombre de projets monumental, on met toutes nos équipes sur un projet, on essaie de le mener à bout et ce n’est pas parce que ça ne marche pas le premier mois qu’on s’arrête ! C’est un développement sur plusieurs années, et même si on ne vend pas 50 000 disques du premier album, on en fera quand même un second, si on y croit ! Y’a une logique à plus long terme. Par exemple, Deluxe, quand on les a rencontré, ils n’étaient pas intermittents et aujourd’hui, ils vivent de leur musique. On essaie de passer de l’amateurisme eu professionnalisme ! On grandit doucement et on se questionne sur le futur…

Est-ce une volonté du label de se développer à l’étranger ?

On essaie d’étendre le rayonnement des artistes. En 2011 et 2012, avec Chinese Man, on a fait 150 dates en France, dont des très grosses et on avait envie de développer cela dans d’autres pays, comme l’Allemagne, l’Angleterre et l’Italie. On a fait trois tournées en Allemagne, on a d’ailleurs un distributeur là-bas, et une date cet été, au Summer Jam. On aimerait faire cela aussi avec Deluxe dans des territoires ciblés. On y va doucement. Ça fait vraiment partie des axes de travail du label.

Pouvez-vous nous parler du personnage Chinese Man qui identifie le label ?

Ça vient du début, où plutôt que de parler d’eux-mêmes, ils parlaient d’un univers et d’un projet. Les Chinese Man n’ont pas vocation à se mettre en avant. En créant cette entité supérieure, les membres du groupe se placent comme disciples de celui-ci, dont le seul but, est de répandre l’esprit zen sur toute la planète.

CONCLUSION…

Quand on revient sur les 10 ans passés, on arrive à ne pas avoir de regrets, c’est peut être ce qui fait aujourd’hui cette cohésion dans l’équipe ! Tous les choix que l’on a faits, on les assume. Aucun d’entre nous n’est riche, mais tout le monde vit de la musique, et nous n’oublions pas qu’à l’époque, nous avons pu monter notre label grâce à la pub pour Mercedes !

Site : www.chinesemanrecords.com

Johanna Turpeau

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