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Jullian Angel

Jullian Angel - Photo : Max ArdilouzeLes jours après la nuit. Soit le retour à la vie et en chansons d’un talent ignoré du songwriting. Sombre et lumineux, la beauté parée de noirceur.

L’un des talents les plus singuliers injustement ignoré de la scène folk indie dissipe le cliché de l’artiste maudit. Après avoir endossé diverses peaux de personnages sur les précédents albums, il a su se mettre à nu sans sombrer dans la sensiblerie. Ainsi sa musique charrie la noirceur intimiste à la Nick Drake, mais sait aussi se faire violence avec une guitare exutoire. La mélodie est l’âme sœur des chansons. Elle les guide dans des tunnels alambiquées, mais avec de la lumière au fond. “Kamikaze planning hollydays”, le titre de l’album tombe à pic, Jullian a fini par retomber sur ses pattes.

Chanteur ET indie

En France, le terme chanteur est péjoratif, surtout dans le milieu indé-pop-folk. Personne ne dit « Je suis chanteur », on n’a pas le droit. Ceux qui assument ça sont rares, comme Dominique A et Miossec. À Bruxelles capitale polyglotte, il n’existe pas cette barrière. Ce que je faisais était considéré comme de la chanson, car la voix et la mélodie sont en avant. En France, il subsiste dans le milieu indé ce côté méprisant, « la chanson de mes parents ». Une de mes peurs serait de composer pour moi-même, de créer une « marque » de style vocal. Ça m’empêche de dormir la nuit ! J’aime bien incarner un personnage différent dans chaque chanson.

Nom et prénom

« Je n’ai pas collé le prénom au début. Je cherchais un terme pas très répandu. On peut prononcer à la façon sud-américaine. J’ai l’impression que sur scène j’ai toujours besoin de ce pseudo, un peu à poil, pour réussir à retrouver pourquoi je vais chanter cette chanson-là, pourquoi cette voix-là. Je ne veux pas entrer dans la routine, même si j’admets le mot « métier », je ne voudrais pas que ça devienne quelque chose de préfabriqué. J’ai besoin d’être utile. ll faut trouver un public, j’ai passé le stade d’être utile à moi-même, déserté l’univers autiste. »

Un nouvel album accouché dans la douleur

« Les évolutions de mon nouveau disque découlent de mon vécu, de certains événements troubles de ces deux / trois dernières années. Une rupture sentimentale, une descente aux enfers qui finit bien ! 
Avant même de commencer à enregistrer, j’avais la tracklist de l’album, comme celle que l’on rédige avant un concert. C’est assez rare et cela permet de se reposer en se disant : j’ai mon histoire et ma trame. Même si cela peut bouger car ce n’est pas un film, c’est plus la chronologie d’émotions. Ainsi c’est important de finir sur un morceau d’apaisement. Le disque a été écrit en trois mois pour rester dans une certaine cohérence, avec un parti pris brut, car je sentais qu’il fallait rester sur une impression d’urgence, sans l’envie de mettre des cordes. Mais l’enregistrement s’est prolongé sur un an et demi et ce n’était pas facile de garder le cap fixé au départ. Au départ on croit toujours que l’on va pouvoir finaliser rapidement. Mais même en home studio, il faut le faire à son rythme. Les couleurs des arrangements se sont posées très naturellement.  Je me suis tenu à ce schéma. »

Pas le couplet de l’artiste maudit !

« Cela n’aurait pu être que ça : un album de rupture sentimentale. Mais je ne crois pas qu’il faille absolument que je me fasse briser le cœur pour composer. Des exemples me sidèrent, les détenus de Folsom devaient être persuadés que Johnny Cash avait fait de la taule longtemps (NDLR : il y a enregistré un album live : « At Folsom Prison »). En fait il n’y était resté qu’un jour ou deux pour un petit larcin, mais il avait établi la connexion avec les détenus pour créer l’élément cathartique. Il n’avait pas besoin d’y avoir séjourné un an ! Au départ j’utilisais plus des personnages. Notamment sur le précédent où j’imaginais un GI qui au soir de sa vie la racontait à sa petite-fille. Je me suis rendu compte que je parlais aussi de moi, mais de façon détournée. En même temps transcrire des choses très réaliste, ça peut être casse-gueule. Heureusement j’étais dans le bon élan pour « Kamikaze planning hollydays ». J’ai pris conscience de l’étendu de mes problèmes qui dépassaient le cadre de la rupture sentimentale. Je me suis retrouvé dans le cas inverse de Johnny Cash, avec tellement de choses à raconter que finalement faire une simple transcription de mon carnet intime serait vite devenu autistique. Interpréter une chanson à des gens qui ne te connaissent pas, nécessite de prendre des parallèles pour qu’ils puissent s’identifier tout en gardant leur libre arbitre. Dans le cadre strict du carnet intime, on a l’impression d’être spectateur de sa propre souffrance comme chez le psy. Je ne souhaitais pas faire un truc larmoyant. »

« Les disques Normal », nouveau label

« J’avais besoin de sentir du désir, que le label adhère à mon projet. Le courant est bien passé. Je ne pensais pas trouver un label en France dans cet esprit-là. J’avais envoyé une dizaine de courriers avec les morceaux. J’ai enregistré un disque entre temps pour ne pas vivre le côté déprimant de l’attente de la concrétisation. Je me suis posé un challenge : enregistrer un album guitare / voix brut avec des nouvelles chansons et des reprises d’anciens morceaux. L’idée était que l’on perçoive que je chantais dans une chambre face à une seule personne et arriver à retranscrire ce qu’elle entendait. « For a ghost (in a room session) » bénéficie donc très peu de retouches, ça sonne très brut. J’ai proposé au label de le sortir pour promouvoir l’album à venir. Un disque acoustique en guise de carte de visite !»

« Kamikaze planning hollydays »,  un titre qui tombe à pic

« J’avais prévu de finir la première session d’enregistrement, poser les voix sur les accords de guitare, avant de partir en vacances. J’avais réservé les billets de train, et plus la date approchait, plus je me rendais compte que c’était vraiment kamikaze ! J’ai répété 12 heures par jour en plein été, il faisait chaud. Je chantais 5 ou 6 heures par jour, le timbre de voix s’en ressent : il est éraillé. J’avais mon sac bouclé, l’heure de départ approchait et je me répétais sans cesse « J’ai encore le temps pour une prise ». Je me suis dit que j’étais vraiment un kamikaze qui planifie ses vacances. On peut interpréter ce titre positivement, vivre ses vacances à l’arrache, mais aussi dans le sens du kamikaze fatigué qui planifie son au-delà. Je n’aurais pas pu trouver un titre plus adapté car il recoupe toute l’ambivalence de certains textes, tantôt sombres, mais avec toujours de nouvelles perspectives à l’horizon.

La chanson dandy « Modern tragedy (taste for)» évoque les tragédies à l’ancienne, reprises par Shakespeare, colportant le thème de la trahison, mais conservant le sens de la dignité, du flegme : le fait de ne pas crier sur la terre entière, de garder un sens créatif et finir par faire un album. Pour la pose sur la pochette, je pensais simplement à la pancarte comme une mise en scène surréaliste, entre l’écriteau du mendiant et celui d’un auto-stoppeur, ou d’un manifestant. Ça a été photographié dans une véritable “pissotière” parisienne, chargée de vécu, d’inscriptions assez étonnantes, souvent poétiques. Je voulais un endroit sale, urbain, pour lui opposer l’image un brin flamboyante,du chanteur flegmatique au milieu de la tourmente. Le délabrement du mur correspondait bien à celui de ma propre vie alors, mais également à cette précarité sentimentale, relationnelle, ou simplement sociale, de l’époque en cours… C’était l’endroit parfait ; simplement, si j’y avais posé en guenilles de SDF, l’image aurait été en contresens total par rapport à la finalité de l’album, qui est tout sauf misérabiliste. Mais pas l’ombre d’un clin d’œil à Dylan non, la référence m’embarrasse plutôt honnêtement. Je ne suis pas encore très dylanophile en fait, ça viendra peut-être plus tard… »

Seul sur scène

« Quelle que soit la ville, le lieu, mon rôle en tant que “performer” est de trouver la clef pour atteindre un public qui ne me connaît pas forcément, et ne sait pas à quoi à s’attendre. Comme j’aime entrer dans le vif du sujet et assumer une tonalité assez sombre, ça crée parfois une certaine distance au départ. Le tout est de briser la glace ensuite sans se travestir pour autant. A vrai dire, j’ai plus l’habitude des cafés-concerts bruyants, où se mêlent souvent indifférence et irrespect et où je peux m’appuyer sur cette forme d’adversité, ça fait même partie du challenge. Le plus dur est quand on ne peut ni se jauger face à un public dissipé ni visiblement conquis ; quand les gens restent interloqués, impassibles. Là, c’est comme jouer au funambule par avis de tempête, dans le noir complet… avec l’impression de passer un examen de conscience public, uniquement vêtu de mes chansons en guise de cache-sexe ! Les concerts les plus gratifiants sont ceux où les gens s’installent peu à peu au bord de la scène, prêt pour le voyage ; où quand par exemple, je vois des couples se lover paisiblement en écoutant mes histoires d’amours brisés, impossibles… Ce qui reste à la fois un mystère et une vraie récompense pour moi…

« Kamikaze planning Holidays »
(Escape Fantasy / Les Disques Normal / Believe)

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Vincent Michaud

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