Bandeau Longueur d'Ondes n° 101

MAÏA VIDAL

Vague d’amour

Maia Vidal - Photos : Scott Chasserot

Afin d’expliquer les origines de son troisième album You’re the waves, la Franco-Américaine Maïa Vidal possède une définition formidable : le culte de l’accidentel. « Je voulais créer différemment de mes habitudes. C’est-à-dire, pour ce disque, ne penser à rien, enlever le cerveau de l’opération. Car au moment de créer, j’avais la sensation que je commençais à trop réfléchir, alors que parmi mes propres chansons, celles que j’aime le plus sont venues toutes seules. Les titres avec mille changements (au niveau des arrangements, des paroles, etc.), j’y vois aujourd’hui le mouvement, un trop gros effort. » Ouverte à l’imprévu, instinctive et spontanée, la compositrice s’est donc laissée guider par le hasard : « Par exemple, j’avais des petites cloches dans ma maison et un jour, j’entends une mélodie qui en sort (NDLA : Maïa Vidal chantonne un air). Je l’ai trouvée super intéressante et l’ai enregistrée telle quelle. Cette mélodie est apparue dans toutes les chansons ! J’avais comme un mysticisme : s’il s’agissait d’un accident, je lui accordais une importance spéciale. Cette idée s’est ensuite transformée en fétiche. Le résultat fut des chansons pop, d’amour, des arrangements avec des beats… »

Loin du folk et du punk de ses premiers ouvrages, You’re the waves dévoile une extatique Maïa Vidal en plein territoire pop. Ce virage était-il prémédité ? « C’est totalement involontaire ! À la question “Pourrais-tu faire un truc plus pop ?”, j’aurais hier répondu “Jamais !”. Et pourtant, j’ai l’impression qu’un album pop sommeillait en moi, qu’il voulait sortir. Cette sensibilité-là restait cachée. Et puis, ma partie punk me disait “Pop ? Non, ce n’est pas bien ! (rire)”. »

Clip de « Islands of you & me »

Pour autant, la pop selon Maïa Vidal dévoile un magnifique travail d’épure : un complexe assemblage de strates atmosphériques qui, à force d’écoutes, révèlent des mélodies en satin. « Pour You’re the waves, ma tâche consistait à ne pas écrire une chanson avec cent pistes, car je sentais qu’auparavant, j’avais trop tendance à surproduire les choses, à mettre dix violons, cinq trompettes et quatre guitares. J’étais un peu baroque dans mes compositions. Je voulais donc simplifier mon écriture… Par exemple, je me suis mise à composer avec ce qui me tombait sous la main : en avion, je n’avais que mon iPhone avec l’application GarageBand et c’est comme cela que j’ai commencé à faire des beats. » Et l’utilisation de l’électronique ? « L’électronique implique un grand changement par rapport à ce que je faisais auparavant. Ma mentalité était toute acoustique, travail fait à la main. Mais c’est normal car à chaque album, je suis quelqu’un d’un peu différent qui s’exprime d’une autre façon. Au final, il y a quelque chose d’immédiat avec les touches électroniques, elles engagent le corps d’une toute autre manière. »

Maia-Vidal-portraitCe fameux culte de l’accidentel a également permis à Maïa de s’ouvrir aux jugements ainsi qu’à l’apport d’autrui, principalement durant l’étape du mixage. Nous imaginions la compositrice tel un petit soldat doté d’une pointilleuse vision. Ce n’était ni vrai ni faux : « Pour le premier album, j’assimilais le mixage à une horreur. Certains artistes adorent enregistrer et mixer, mais moi, j’étais toujours stressée, paniquée quand ça n’allait pas. Du coup, pour You’re the waves, je voulais que la musique appartienne à tout le monde, et non plus simplement à moi ; je voulais partager les compositions. J’ai beaucoup plus collaboré avec mon coproducteur Giuliano Cobelli (qui a travaillé sur mes précédents albums), alors qu’auparavant j’étais toujours jalouse, je ne voulais pas qu’il touche à mon travail… Avoir peur, constamment se questionner, chercher du sens : cette fois-ci, je m’en foutais ! L’essentiel était de s’amuser. » Une libération qui s’exprime dorénavant sur scène : « En concert, je voulais toujours prouver que j’étais musicienne et non pas chanteuse, et tout devait être exactement comme ceci ou comme cela. J’étais très concentrée sur mon truc, alors qu’aujourd’hui je m’éclate ! Et je transpire ! »

Il faut souligner l’étrange beauté nocturne des textes confectionnés par Maïa. Intimes bien que sans le moindre épanchement ; mélancoliques et ensoleillés à la fois. Justement, a-t-elle appliqué ce principe instinctif à l’écriture des mots ? « Oui, les textes ont également été écrits de façon instinctive. Par exemple, les premières lignes de la chanson « The Tide » me sont venues spontanément alors que je marchais dans la rue pour rejoindre ma voiture. Une fois dedans, j’ai commencé à chanter tout en tapant sur le volant… et j’ai failli avoir un accident tellement j’étais enthousiaste ! »

Libre et curieuse, Maïa Vidal trace son chemin à l’instar d’un caméléon. On lui doit des reprises de Rancid à l’accordéon et au xylophone, un disque très orchestré, des chansons folk, une incursion dans la pop électronique… « C’est peut-être mon avantage en tant que femme artiste. Prenez Björk, par exemple : on sent qu’elle ne fera jamais le même album, elle aura toujours un processus ainsi qu’un concept différents, mais elle conservera cette idée de voyage. À l’inverse, un nouveau disque des Rolling Stones ressemblera à du Rolling Stones… Oui, j’ai toujours été accro au changement. C’est peut-être l’anxiété du surplace, et puis cela oblige à chercher. » Hypnotique et fascinante. Comme sa musique.

Jean Thooris
Photos : Scott Chasserot

You’re the waves – Crammed Discs
www.maiavidal.com

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