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Dead Obies

Dead Obies

Le chemin de croiX

Ils sont six et viennent du Sud Sale, comprenez la banlieue sud de Montréal. Les MCs Snail Kid, 20Some, Yes Mccan, O.G. BEAR, RCA, et le fabriquant de beats VNCE ont un créneau bien particulier : le post-rap. Ils sortent leur premier album « Montréal $ud », triptyque (ou trip-tic) épique de leur chemin de croix pour arriver à sortir de leur condition, tout brûler puis renaitre de leurs cendres. Un parcours en 17 chansons et 80 minutes qui défilent comme un western moderne. Rencontre avec des Jésus pas comme les autres.

« On vient tous de la banlieue sud de Montréal. On s’est rencontré par le théâtre d’improvisation. Ce qui au départ était plutôt un amusement est finalement devenu quelque chose de plus concret » explique Snail Kid. Rien de révolutionnaire dans la rencontre de la fine équipe : c’est au détour de l’impro, mais aussi des fameuses Word Up battles ou encore d’un camp de vacances qu’ils se croisent et décident de créer les Dead Obies. « Il fallait absolument que l’on fasse quelque chose tous les six. En fait, il suffisait juste de savoir si on allait s’entendre humainement car musicalement, cela collait entre nous et ce qui s’en dégageait était différent de ce qui était déjà établi sur la scène rap. La première véritable concrétisation de cela a été « Collation vol.1 », qui est le résultat d’une année à enregistrer des paroles dans une garde-robe avec une carte de son à 200 dollars ! » raconte Yes Mccan.

Dead Obies: Montréal $ud from Bonsound on Vimeo.

La suite on la connait, après avoir mis leur musique sur Internet, ils se font vite repérer par la critique, Radio-Canada allant même jusqu’à écrire qu’il s’agit d’un des meilleurs produits underground de l’année. « Là on s’est dit que l’on devait s’organiser pour sortir un vrai album ! Dans les faits, il reste que « Montréal $ud » a été réalisé dans les mêmes conditions que « Collation Vol.1 » : il n’y a pas d’ingénieur du son, on a tout fait nous-mêmes, on l’a produit de A à Z, cela reste un travail très personnel. Et puis on avait une mini-expérience, donc on se sentait capable de porter tout cela.» De fait, on peut vraiment dire que les Dead Obies sont les produits de leur époque : « Peut-être qu’en 1991, il aurait fallu que l’on enregistre deux démos sur casette, que l’on aille cogner à la porte des labels pour leur dire : donnez-nous de l’argent, on a plein d’idées pour réaliser un album. Aujourd’hui, on n’a pas plus d’argent, mais on a pu diffuser notre musique sur Internet et tout contrôler, même la mise en marché. »

Dead Obies

Cela donne donc un album 100% Dead Obies avec une vision non édulcorée, une sorte de substance condensée et incisive que l’on sent tout au long de l’album. « On voulait faire un album où on soit tous les six sur chacun des morceaux, ce qui au final est quasiment le cas. C’est ce que l’on a réussi à faire, en jouant avec la structure d’une chanson pop (refrain, couplet, refrain), en essayant d’insérer cinq couplets à chaque fois, ou du moins que chacun puisse s’exprimer. L’album a vraiment été crée dans un esprit d’ensemble, comme un tableau ou un film : tu ne peux pas juste regarder le coin gauche de l’œuvre, ou juste un chapitre du DVD. La motivation n’était pas de faire deux singles très forts et de remplir l’album autour de cela. C’était plutôt de faire en sorte d’amener une chanson à une autre, d’avoir un fil narratif et psychologique. »

Côté paroles, on ne reviendra pas sur la polémique qui entoure le fameux « franglais » présent dans les textes des Mcs, mais on retiendra plutôt le processus créatif : « C’est hautement textuel comme genre de musique, tu lis le livret de paroles, c’est très long ! Mais c’est motivé par la musique à la base. VNCE va composer quelque chose, on écoute la musique ensemble et on se demande quelle émotion cela suscite en nous : est-ce de l’angoisse, de la conquête, de tristesse et là on part avec un état psychologique, une émotion, puis on la scénarise, on lui donne une histoire. Cela fait longtemps que l’on se connait et longtemps que l’on travaille ensemble aussi. Une chanson comme « Runnin’» on l’a fait avec un rythme qui évolue au fil du temps. La première fois que j’ai entendu le rythme, j’avais le refrain de The Clash « Running Monday, Tuesday… » je me suis dit que l’on pourrait introduire cela dans la chanson. Puis finalement le concept de la chanson, c’est qu’il faut que tu uses tes souliers pour t’en racheter des neufs. C’est issu de toute la sneaker culture. Au final la chanson est arrivée toute seule en essayant de se syntoniser une émotion tous ensemble. J’avais l’idée générale, mais je n’aurais jamais pu écrire tout cela tout seul. » explique Yes Mccan.

« C’est un genre qui est très égotique ! Le rappeur, c’est comme un solo de trompette, tu veux qu’il soit éblouissant et meilleur que tout le monde puis parfois, tu fais une petite croix sur cela pour juste venir faire quatre mesures de texte qui vont venir servir la chanson même si cela ne sera pas le plus impressionnant au niveau technique. » Cela donne une certaine cohésion et fluidité aux textes, qui ne semblent pas émaner de cinq personnes différentes bien que chacun ait sa personnalité et son flow. Le processus est en fait très démocratique et complémentaire : « Il y a des chefs silencieux, dont l’opinion va vraiment compter, mais c’est vraiment un travail collectif. »

L’album représente une année de travail, durant laquelle il a fallu penser à tout : « C’est un an de maturation et un mois et trois semaines de pures tortures de travail ! Finalement, le concept des six Jésus présent dans l’album, c’est un peu parce que l’on était des martyres ! L’album est divisé en trois tableaux qui peuvent fonctionner en trois niveaux : la première partie qui est l’oppression, la banlieue. Puis ensuite il y a la fuite, le jeune qui quitte sa banlieue pour les grandes aspirations de la ville mais qui finit dans le nightlife, l’alcool, la fête et l’ignorance. Finalement, on passe à la chanson « Do or Die », où tu dois détruire ce que tu connais autour de toi pour renaitre. Après cela, tu ressuscites, avec un sentiment de liberté et de rébellion, de rock’n’roll avec des chansons comme « Tony Hawk ».

Un album en forme de chemin de croix en quelque sorte : « On a tous un certain parcours dont on traite dans l’album, on est tous parti à la découverte de la grande ville. Un monde où on n’aspire pas à plus, où rien n’est fait pour t’encourager à t’en sortir non plus ; on a tous eu ce sentiment de se sentir tout seul dans notre bande d’amis banlieusards, à vouloir vivre autre chose, aller plus loin et de sortir de notre petit confort. Puis on l’a tous fait en bout de ligne grâce à la musique. »

Yolaine Maudet
Photos : Toma Iczkovits

Montréal $ud, chez Bonsound
Site internet

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