Bandeau Longueur d'Ondes n° 101

Fandor & the Supernormals

Fandor - Photo : Max ArdilouzeA Bordeaux, la rencontre idéale a eu lieu : entre Fandor, artiste bricolo-pop qui a fait ses débuts dans le groupe Lemon Curd avant de s’élancer en solo, et le groupe power-pop Supernormal ; les meilleurs espoirs de la pop indé sont relancés.

Lemon Curd à Bordeaux, c’était dans les années 90. Depuis la fin du groupe, Laurent s’appelle Fandor, fait des chansons tout seul, et réalise ses disques en suivant ses propres envies. Comme celle d’un album consacré à l’enfance dans « L’enfance de l’art », sorti grâce au label Z & Zoé Records en 2008. Du côté de Supernormal, si Cecil, le guitariste, compose les chansons du groupe, les musiciens recherchent quelqu’un pour les chanter.

Quand les deux entités se rejoignent, la fusion paraît naturelle. « On a à peu près le même âge, on a écouté la même musique, on a un peu la même culture musicale et c’est vrai que ça colle tout de suite », explique Cecil. Fandor ajoute : « Je suis plus mélodiste que guitariste. Je joue de la guitare et de plein d’instruments, mais pas très bien… Je joue comme un autodidacte. Alors que Cecil et les trois autres musiciens ont beaucoup plus de technique. C’est donc la rencontre entre des musiciens peut-être plus aguerris et puis moi qui m’accroche plus aux mélodies, au côté lo-fi. »

Le mode de fonctionnement permet bien à chacun de s’exprimer: « On a pris le pari, pas encore sur disque, mais en tout cas en concert, de mélanger les deux répertoires ». Ainsi l’an dernier, Supernormal réalisait son premier disque autoproduit avec Fandor au chant, « Sternfest hit-parade », un CD-R disponible via la structure de distribution numérique Pop Only Knows.

SupernormalEn décembre, c’est au tour de Fandor de proposer « Mon corps est une machine » avec Supernormal en « backing-band de luxe ». « Il est différent de tous les autres albums que j’ai faits, parce que justement, il y a tout un groupe qui joue avec moi. Dans les autres enregistrements, soit je faisais tout moi-même, soit il y avait des musiciens qui intervenaient de façon sporadique : un bassiste par ci, un guitariste par là, etc. Alors que là, c’est un album beaucoup plus cohérent. C’est plus un album de groupe. Je suis content du résultat. Il y a aussi les gars du label qui ont eu leur mot à dire, Stéphane Teynié qui a fait le mastering a apporté sa pierre, et puis aussi la personne qui a fait la pochette… C’est aussi ça qui est sympa dans la musique, toutes ces rencontres : dans un album, il y a le groupe et puis il y a aussi d’autres intervenants qui font qu’au final, c’est un produit, c’est l’assemblage de plusieurs talents conjugués. Du coup, quand le disque sort, c’est une grosse satisfaction, parce que c’est un souffle de plusieurs personnes ; et celui-là particulièrement, pour moi, puisqu’il n’y a jamais eu autant de monde sur un disque à moi. »

Et pour le promouvoir, Laurent renouvelle sa confiance en la maison associative basée à Auch, Z & Zoé Records, « petit label courageux » selon ses propres mots.

 

FandorBricoler la pop

De ces collaborations, des expériences passées, de l’effervescence du moment, « Mon corps est une machine » a pris une forme pop et noisy bien marquée. Une nouvelle approche pour Fandor qui s’est toujours autoproclamé « bricolo-pop » : « Ca rejoint ce que je disais tout à l’heure à propos de mon côté autodidacte : je joue des accords, mais je ne sais pas les nommer. Contrairement à Cecil qui sait les nommer, même plus. J’aime bien bricoler, jouer avec des instruments qui ne sont pas forcément des instruments haut de gamme… J’ai souvent joué avec des petits synthés pouraves, à moitié cassés, avec des petits sons, avec des instruments que j’avais achetés qui avaient déjà appartenu à quelqu’un ou qui avaient déjà été bricolés. J’aime bien le côté parfois aléatoire de l’enregistrement, le côté accidentel ; ça m’intéresse pas mal. C’est à partir de ces choses-là que l’on crée. Aussi, mes premiers disques étaient vraiment bricolés parce que je les ai faits avec un 4 pistes, et après j’ai évolué avec un 8 pistes… Maintenant, il y a des ordinateurs. »

Si l’album se veut plus rock, « plus puissant, plus bruyant sur certains morceaux », des plages préservent sa touche de bricoleur, comme le morceau titre dans une ambiance plus intime avec des bidouillages électro. Tout en gardant son caractère, Fandor ouvre des perspectives avec ses nouveaux camarades de jeu. « Il y a des moments calmes, d’autres un peu moins, sur scène c’est quand même plus rentre-dedans », explique Laurent. « Mais je pense que c’est justement la nuance qui attire. Des moments très forts, ou bruyants, d’autres beaucoup plus calmes. Enfin moi, c’est ce qui m’excite beaucoup dans la musique : le calme, la tempête, et puis la tempête et le calme juste après… même dans la même chanson. Les Pixies par exemple, voilà pour moi une des références ultimes. C’est vraiment du quiet/loud. »

Laurent et Cecil

Deux passionnés de chansons-pop se rencontrent, et l’alchimie naît. Cecil : « Laurent est vachement plus intuitif, il n’est pas du tout dans une approche musicale, il est plus dans des ambiances… Et moi, je suis vachement cérébral. J’aime beaucoup la spontanéité qu’a Laurent, je pense que c’est un bon mélodiste. Et puis c’est bien aussi de se renvoyer la balle. On a commencé à composer ensemble, c’est intéressant. » Fandor : « Moi bien évidemment, j’ai beaucoup de choses à apprendre au niveau de la technique. Ce qui est intéressant, c’est que l’on a commencé à faire des choses vraiment ensemble, par exemple, Cecil a amené la musique et puis moi les paroles et les mélodies de voix… » Cecil : « Ce sont des super beaux moments : on est en répète, on part sur une idée, ça se met en place et puis hop, on un morceau ; c’est vachement bien ! »

Fandor - Photo : Max ArdilouzeUn truc à deux têtes

Cecil compose pour Supernormal et laisse Laurent interpréter ses chansons dans le micro : « C’est bien parce que ça apporte pas mal de relief, une perspective différente ». Laurent, lui, s’implique dans son nouveau rôle : « Ce qui a été nouveau pour moi, c’est chanter des chansons, et surtout les paroles d’une autre personne : ça c’est un boulot, parce qu’il faut déjà pouvoir mémoriser des textes qui ne sont pas les tiens. En même temps, c’est intéressant parce que c’est un peu schizophrénique… parce qu’il y a Fandor, il y a Supernormal, on mélange un peu les deux… mais on tient quand même aux deux identités, et donc, dans ce sens-là, c’est un peu un truc à deux têtes… »

Pour le répertoire Fandor, tout le groupe y met du sien et reprend aussi d’anciens morceaux de l’artiste : « Ce qui est intéressant c’est effectivement de les arranger différemment, notamment des chansons que j’avais enregistrées depuis pas mal de temps parce que j’ai fait beaucoup d’enregistrements. Par exemple la chanson, « Winchester », qui est partie d’un sample avec deux notes à la base… on l’a retravaillée un peu façon Velvet, elle est devenue plus lourde, donc ça a apporté vraiment autre chose… »

Une nouveauté aussi pour Fandor sur scène, lorsque les deux répertoires se mélangent : « Il y a des moments où je ne fais que chanter, alors qu’avant ce n’était pas le cas, même avec les groupes avec lesquels je jouais avant. Et ça, ça a été aussi une libération pour moi parce que ça m’a permis de m’exprimer physiquement ! Maintenant je suis un peu plus libre pour les roulades ! »

Pop-songs

Les chansons pop accrocheuses, mélodies efficaces et refrains entêtants sont au programme dans « Sternfest hit-parade » autant que dans « Mon corps est une machine ». Cecil : « Je suis un immense fan des Stone Roses, je suis traumatisé depuis 20 ans par ce disque… Il est absolument inépuisable, c’est incroyable. Je suis toujours dans cet esprit de pop-song absolu. Là, on a écrit des nouveaux morceaux toujours dans l’esprit très très pop mélodique… »

Fandor - Photo : Max ArdilouzeLes pop-songs, ça éveille quoi ? Cecil : « C’est un grand écran sur lequel on projette pas mal de fantasmes à l’adolescence. Des gens comme les Stone Roses, par exemple, incarnent ça à merveille. Ils véhiculent tellement de glamour et tellement de choses qui relèvent de l’adolescence, cette espèce d’indolence… »

Fandor : « La pop-song a été à un moment donné une obsession pour moi. Bien évidemment la mélodie mais aussi tout le visuel que ça propage, le côté cinématographique. Ce qui m’a vachement fasciné, c’est les pop-songs courtes. Les Beach Boys, mais aussi encore les Pixies : très peu de moreaux dans leur répertoire dépassent 3 ou 4 minutes. » Cecil : « Et puis les textes aussi, ceux des Smiths, par exemple, c’est insondable. Il a chanté des choses d’une audace inouïe, qu’on n’avait jamais entendues avant, et cette espèce de grandeur, d’envie, avec les guitares prononcées… Cette espèce de nostalgie 60’s, c’est très beau. Et les textes, quand tu superposes, donnent justement du sens à des mélodies… Pour moi, c’est vraiment imparable. »

Fandor : « Gamine, le groupe bordelais, alors ça c’est la référence de Cecil. Mais c’est vrai que moi aussi j’ai été touché par ce groupe qui est aussi complètement empreint de pop anglaise… Mais je n’ai pas du tout la nostalgie des vieux groupes. J’ai bien évidemment mes bases parce que j’avais 20 ans à cette époque-là, mais je suis toujours très attiré par ce qui se fait maintenant. Et ce qui se fait dans nos contrées aussi ; là, j’adore le dernier album de Frànçois & the Atlas Mountains, un groupe d’ici. Ce n’est pas pour être chauvin mais vraiment je trouve ça super. Je trouve qu’il y a une scène assez vivace à Bordeaux, parce que ça fait quand même pas mal de temps que je joue dans cette ville, en ayant joué au Jimmy pour commencer et puis dans plein d’autres endroits. J’ai toujours trouvé qu’il y avait une scène vivace. Je ne veux pas donner un côté un peu angélique, mais plus le temps passe, et je la trouve de moins en moins cloisonnée. »

Toutes ces années

Toutes ces années passées à jouer de la musique, à essayer de la diffuser, pourquoi on continue encore aujourd’hui ? Cecil : « En 94, j’ai entendu l’album de Palace Brothers, et là je me suis dit, à quoi ça sert que je fasse de la musique ? Je ne comprenais pas, j’étais tellement abasourdi par ce disque, « Days in the wake » où il est tout seul à la guitare : avec si peu d’effets, il arrive à avoir une telle puissance évocatrice, c’est tellement émouvant, ça touche vraiment la corde, le nerf. Et du coup, je suis parti à l’étranger, et j’ai arrêté la musique pendant 10 ans. J’ai repris quand je suis revenu ici à Bordeaux en 2005. Aujourd’hui pour moi, c’est plus une activité sociale : on est avec des copains, on passe une bonne soirée quand on fait un concert, c’est super excitant de faire des enregistrements, de faire des petites affiches, des visuels, de créer quelque chose. Mais c’est plus une activité sociale que culturelle. »

Fandor : « Je ne me pose pas beaucoup de questions. Je suis fan de disques depuis assez longtemps. Depuis que j’ai 12-13 ans, j’ai commencé à acheter des disques, à les collectionner, à les adorer. J’ai toujours eu un rapport vraiment très intime avec la musique, tout seul dans ma chambre, puis aussi à la partager : à commencer à aller aux concerts, à participer aux vies associatives, à monter moi-même une asso (Nemo Records), à sortir moi-même des disques (Kim, Stef et Arno…). A un moment donné, il y avait beaucoup de mon temps qui passait à ça. Enregistrer, jouer, mais aussi sortir des disques. Ca a été motivé par le plaisir, et ça le reste toujours. »

L’Amérique

La pop anglaise est une terre d’influence commune pour les deux compositeurs, mais la fascination pour l’Amérique, sa musique, ses mythes, s’impose aussi de belle manière dans les deux disques. « Sternfest Hit-parade » s’attache même à une scène bien particulière. Cecil : « Je vais faire mon intello, c’est une citation de Wim Wenders qui m’a traumatisé quand je l’ai entendue : « L’Amérique a colonisé notre inconscient ». Et c’est absolument ça. J’aime beaucoup la pop anglaise, mais je suis fasciné par la musique américaine, en particulier la scène qu’on appelle « sadcore » de San Francisco, des années 90 : Red House Painters, American Music Club, Idaho, Mazzy Star, tous ces gens-là. Ce sont des morceaux longs, tristes, contemplatifs, c’est une musique qui résonne beaucoup en fait, qui correspond aussi au moment où je suis entré dans l’âge adulte et je cherchais autre chose dans la musique que des pop-songs. Pas mal de morceaux sur le disque sont inspirés directement par cette scène-là, dont le morceau « Sadcore café »… qui est aussi en hommage aux Red House Painters. Voilà, au niveau de mon inspiration, j’ai un peu le cul entre deux chaises, britannique et américaine… » Fandor : « C’est son côté triste, bellâtre, romantique ! Non, mais ce qui est marrant c’est que ces influences-là, je les revendique aussi. Tous ces groupes-là, on les a vraiment en commun. »

Fandor - Photo : Max ArdilouzeLe rapport à l’image

Les affinités musicales sont évidentes entre les deux protagonistes même si leur mode d’écriture se distingue. Cecil : « Ca nous permet aussi d’avoir des mondes un peu différents. Je trouve que mes paroles sont un peu compliquées parce que je mets beaucoup de textes. J’aime bien les chansons avec beaucoup de syllabes, un chant haché, du coup j’ai tendance à écrire des paroles comme ça, et des fois, Laurent peine un peu avec les mélodies, mais il s’en sort… » Fandor : « Oui, alors que moi c’est souvent le contraire : ce sont des nappes de phrases. Il y a beaucoup plus d’espace entre les mots… Mais c’est un bon exercice. Ça me fait bouger un petit peu le cul. »

Le rapport à l’image est très présent dans les deux univers. Des références cinématographiques évidentes (« Winchester »), mais aussi tout un décor visuel créé par les mots. Par exemple, « Sadcore café » chez Supernormal, « En noir et blanc » chez Fandor.

Cecil : « « Sadcore café », je l’ai écrite avec 40 de fièvre : c’est pour ça que je suis enfin parvenu à faire des textes spontanés, sans réfléchir à donner du sens, ce qui alourdit toujours, ce qui rend les chansons parfois pesantes. Et j’avais vraiment ces images, en fait. Des amis étaient allés aux Etats-Unis et avaient ramené plein de photos, m’en avaient passées et j’avais trouvé ça super. Ils étaient allés dans le Montana, la broussaille des déserts, ce genre de choses… Ca me parlait beaucoup, et c’est effectivement cinématographique. Je ne pense pas que j’y serai arrivé si je n’avais pas eu 40 de fièvre. »

Fandor : « Dans la chanson « En noir et blanc », il y a même des extraits d’un film où il y a des enfants qui parlent. C’est un film que j’adore, et que beaucoup de monde adore d’ailleurs, parce que c’est un classique, c’est « La nuit du chasseur », de Charles Laughton. Quand j’ai fait cette chanson, j’ai énormément pensé à ce film, aux images, en noir et blanc, à cet univers enfantin…C’est carrément une chanson sur le cinéma, ça parle des films que j’ai vus. Cette chanson, c’est plutôt l’image d’un gosse qui regarde des vieux films et qui les comprend un peu à moitié. Quand j’étais petit, je regardais le ciné-club avec mes grandes sœurs, et souvent je comprenais la moitié. Quand je les ai revus plus tard, ça avait plus de sens. « La Nuit du chasseur » est un film incroyable parce qu’il y a des enfants qui jouent dedans et les images sont sublimes, l’histoire est une espèce de thriller, fantastique, avec un côté extrêmement gothique. C’est très moderne, pour un film de cette époque-là. C’est un film que j’avais un peu oublié et je l’ai revu parce que le groupe Shack, qui s’appelait avant Pale Fountains, un groupe anglais mythique, reprend carrément une chanson du film. Dans la fameuse scène où la petite fille essaie d’échapper au tueur sur un bateau, elle chante une espèce de petite berceuse ; c’est un moment incroyable de cinéma… Shack reprend cette chanson, j’ai fait la connexion, ce film est un chef d’œuvre, c’est clair… Voilà, cette chanson est directement liée à ce film-là… et à d’autres. »

Cecil : « Laurent a cette faculté en quelques mots de poser tout de suite un décor cinématographique ; sur « Fast cars » c’est un peu pareil, et sur des nouveaux morceaux que l’on a fait récemment… Encore une fois, c’est intéressant de voir dans les répétitions quand on commence à jouer, il a quelques idées, hop, il pose ça ; c’est vachement chouette. »

Fandor : « On écrit complètement différemment. C’est vrai que les textes de Cecil sont plus construits, et ce que j’aime, c’est que ce sont des thèmes précis. Ecrire des chansons pour moi, ce n’est pas écrire des poèmes ; ça reste un exercice où je me dis que c’est vraiment un tout, le texte sans la musique, ça ne veut rien dire… En fait, j’aime bien les images que véhiculent les textes, mais j’aime qu’il y ait toujours un décor, quelque chose de précis, que ça parle d’un truc, quelque chose qui ait du sens. Par exemple mon album précédent, « L’enfance de l’art », ce n’est pas un album-concept mais presque, pace que ça parle beaucoup de l’enfance, des enfants… Je ne pourrai pas faire de chansons où les textes ne seraient pas compréhensibles. »

 

Fandor & The Supernormals « Mon Corps est une machine » (Z & Zoé Records / Pop Only Knows)
Supernormal « Sternfest Hit-Parade » (Autoproduit / Pop Only Knows)

Texte : Béatrice Corceiro
Photos : Max Ardilouze

Fandor : www.myspace.com/fandormusic
Supernormal : www.myspace.com/supanormal
Z & Zoé records : www.myspace.com/zandzoe
Pop Only Knows : www.pop-only-knows.fr

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