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Rock sans Papiers


POPB (Paris), le samedi 18 septembre 2010

Réunir plus de 40 artistes sur scène pour soutenir le combat pour les sans papiers, qui en ces moments graves de dérives xénophobes résonnent tristement. Mais aussi faire lafête, se réunir et se sentir nombreux à réaffirmer ses valeurs, est l’exercice difficile par essence ; techniquement, artistiquement, humainement. Rencontre avec Mike de Sinsemilia et avec Agnès Bihl, en marge de leurs prestations à la soirée Rock sans Papiers au palais omnisport de Paris Bercy, festival citoyen et soirée réussie, si tant est que l’on puisse parler de réussite en la matière.

Rencontre avec Mike, chanteur de Sinsemilia.
Ce soir c’est vous qui avez ouvert le bal avec cette reprise de Georges Brassens : « La mauvaise réputation », il y chante : « je ne fais pourtant de tort à personne », on aimerait que cette soirée fasse beaucoup de tort à certains non ?!

Mike : Bon, on va rester peace ! On ne fait de tort à personne en étant là au contraire, on essaye de faire du bien, à notre petit niveau.

C’est en quelque sorte une manière de recréer de l’espoir que de faire la fête contre les dérives xénophobes du gouvernement ?

Mike : Oui, recréer de l’espoir, voir que l’on arrive quand même à être aussi nombreux à partager d’autres valeurs que celles mises en lumière par notre gouvernement. Pour autant, c’est une fête malgré les accents graves dans les discours et les postures, parce que la situation veut que cela soit grave, après je préfère voir des sourires que des pleurs. On essaye de mixer les deux, c’est quelque chose que l’on a toujours fait avec Sinse, cette tendance à parler de choses graves et faire que les gens passent un bon moment. On a tous besoin de bons moments, de sourire, d’évacuer. C’est un peu le défi de ce genre de soirées : mixer un discours intelligent avec un échange festif et généreux.

L’humour comme politesse du désespoir ?

Mike : Il y a de ça ! Remplaçons l’humour par le son, la chaleur, la musique, mieux vaut en rire, le chanter qu’en pleurer, clairement !

Viviane Reding a-t-elle été trop loin dans ses critiques à l’égard de la politique actuelle ?

Mike : Désolé, je n’ai pas remis les pieds chez moi depuis dix jours, alors, l’actualité, je suis largué ! J’essaye de choper les infos, mais je ne suis pas du tout dans les bons horaires ! Je vois de quoi tu parles cependant, bon : le parallèle peut blesser, choquer, sembler exagéré probablement et il faut toujours se méfier des parallèles. Le symbole historique est un symbole fort, il n’a pas besoin de la comparaison. Il est dommage qu’elle s’excuse, moi je ne lui demande pas du tout de s’excuser mais qu’elle continue à condamner mais sans comparaison. Condamner tout simplement sans prendre le risque de comparer avec des pages fortes de l’histoire.

Rencontre avec Agnès Bihl


Qu’est ce que cela signifie pour toi d’être là et de chanter ce soir à Rock sans Papiers ?

Agnès Bihl : Ca signifie, pour une fois que je suis véritablement dans mon élément, puisque sur mon précédent album « Demandez le programme », j’avais fait une chanson qui s’intitule : « Mais où est donc Ornicar ? », qui est une chanson sur les sans papiers justement. Plus précisément sur les enfants qui se font « chartériser », les enfants sans papiers, et là on est en plein dans l’action de RESF, comme ce soir est une soirée de soutien pour eux, cela me paraît l’évidence même.

Aujourd’hui, je ne peux pas m’en faire de ce qui se passe, déjà en tant que personne, il se trouve que j’écris des chansons, et, quand je lis le journal, quand j’entends ce qui se passe – là il se trouve que j’ai une copine qui s’est fait virer de France cette année, alors que cela faisait 29 ans qu’elle vivait là – je ne peux pas ne pas m’indigner et avoir de la colère, en tant que chanteuse non plus, j’ai déjà écrit des chansons qui parle précisément de ça et en tant que jeune maman aussi, je n’ai pas envie qu’un soir, ma gamine en rentrant de l’école me dise qu’il lui manque un de ses petits copains.

Des parents se sont retrouvés un jour dans la situation que tu évoques. Est-ce que toi, tu serais prête à recueillir et à cacher un enfant ou un parent sans papiers de manière à ce qu’ils ne soient pas expulsés ? À prôner cette désobéissance ?

Agnès Bihl : Je suis tout à fait pour une certaine désobéissance civile, quand les ordres gouvernementaux vont à l’encontre des principes humanistes de base, qu’ils sont honteux et indignes, il devient évident qu’obéir – on a vu par le passé ce que cela provoquait – n’est pas une obligation.


Viviane Reding a-t-elle été trop loin dans ses critiques à l’égard de la politique actuelle ?

Agnès Bihl : Je ne pense pas. Evidemment, il ne faut pas faire d’amalgame entre les époques, n’oublions pas cependant qu’avant les déportations, il y a eu des lois xénophobes, antisémites dans l’histoire. On a d’abord commencé à parler d’une population, à la stigmatiser, à lui interdire des choses et cela a pris des années avant que l’on en arrive à l’extrême et à l’horreur. Cela a commencé petit, ça n’est pas du jour au lendemain que les allemands sont devenus fou et ont déportés tout les juifs, mais des années ! De lois discriminatoires en loi discriminatoires, avec la population qui apprenait à accepter l’inacceptable, à fermer les yeux et on peut faire un parallèle en se souvenant de l’histoire, pourquoi notre président s’indigne-t-il de ça ?

« Quand ils ont arrêté les juifs, je n’ai rien dit parce que je n’étais pas juif ; quand ils ont arrêté les homosexuels, je n’ai rien dit parce que je n’étais pas homosexuel ; quand ils ont arrêté les communistes, je n’ai rien dit parce que je n’étais pas communiste et quand ils sont venus m’arrêter il n’y avait plus personne pour les en empêcher ! »

Te considères-tu comme une chanteuse engagée ?

Agnès Bihl : Tout le monde n’est pas engagé, il y a des gens qui s’en fichent royalement, d’autres qui sont tout à fait d’accord avec ce qui se passe ; alors oui je me considère comme une chanteuse engagée. Ce soir je vais faire deux chansons qui sont politisées. Dans mon répertoire, j’ai des chansons qui vont avec la situation de ce soir et je vais par là même souligner la mobilisation politique et civique d’une soirée comme Rock sans Papiers, non pas juste prêter mon nom et ma présence à une action quelconque. Même si je me méfie toujours de ça, j’ai pas envie d’être « code-barisée », les étiquettes sont super dangereuses, après quoi c’est un créneau. Mais dans un contexte où je viens chanter bénévolement et par conviction, je suis fière d’avoir des chansons engagées.

On ne peut pas tout laisser faire, on n’est pas dans Walt Disney : le prince et la princesse s’aiment et les sujets sont contents ! Non, ça ne peut pas se passer comme ça ! Ce gouvernement utilise mes impôts et donc j’ai mon mot à dire et ce mot-là, c’est : non !

Le rock n’est-il pas une musique sans papiers, dans son essence ?

Agnès Bihl : Toute les musiques sont sans papier ! Le world, le jazz, le slam, le rap, la chanson qui est historiquement parlant le genre libertaire, ça n’est pas un hasard si l’on a fait fermer les débits de boissons et les goguettes après la commune. À chaque fois on a la trouille quand les gens se réunissent autour d’un verre – autour d’un vers ! – Évidemment que le rock s’inscrit là dedans et ce soir il n’y a qu’une musique, aucune frontière, si on l’ouvre c’est pour arrêter de fermer les yeux !

Propos recueillis par Yan Pradeau.

Photos : Marylène Eytier

Galerie photos : Rock sans papiers

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