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MATT ELLIOTT

Le calme après la tempête

S’il n’est pas né de ce côté-ci de la Manche, ni encore tout à fait francophone, le musicien a été pendant des années l’artisan de The Third Eye Foundation, avant d’œuvrer sous son propre nom. Installé à Nancy depuis une dizaine d’années, Matt Elliott est produit par le label français Ici d’ailleurs… et s’est entouré, album après album, de musiciens du cru qui forment aujourd’hui une équipe solide au service de la mise en musique de ses sombres états d’âme.

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Depuis vingt ans, le plus français des musiciens anglais est suivi fidèlement par les amateurs de son art très personnel, décliné en expériences électroniques bruitistes sur son versant The Third Eye Foundation et en folk ténébreux sur Matt Elliott. Inspirations d’Europe de l’Est et méditerranéenne, résurgences bruitistes et jeu de guitare unique sont les ingrédients de ce dernier, et ceci jusqu’à The Calm Before, un nouvel album sur lequel les tempêtes passées semblent bien s’être un peu apaisées…

  • The Broken Man marquait une rupture avec ton habitude d’utiliser des passages très noisy et était plus minimaliste et peut-être plus simple. Cette approche se poursuit avec ce nouveau disque. Comment décrirais-tu ta progression d’album en album ?

The Calm Before contient quand même des moments noisy mais oui, il est peut-être moins rude. Je me considère toujours comme un étudiant ou un explorateur de la musique et chaque album est presque une façon de rendre compte du niveau où je suis parvenu. C’est vrai que je m’adoucis peut-être en vieillissant…

  • Ce processus n’était donc pas vraiment conscient ni volontaire ?

Pas vraiment non, je n’ai généralement pas de plan d’ensemble quand j’enregistre, seulement quelques ébauches d’idées, que ce soit la guitare principale dans une partie ou quelques points de départ d’improvisation. Et puis j’ai un coproducteur étonnant qui donne du sens à tout cela et tout semble se mettre en place presque par lui-même. C’est vraiment plus facile de travailler avec quelqu’un en qui tu as confiance et avec qui tu peux échanger des idées.

  • Avec ton précédent album est venu un certain apaisement, une humeur plus positive, ce qui est encore plus évident avec celui-ci qui est relativement optimiste dans le son, par rapport à tes œuvres précédentes…

Only Myocardial Infarction Can Break Your Heart sonnait de façon plus positive mais les paroles étaient très amères et même méchantes alors que The Calm Before est plus résigné, comme l’était The Broken Man, au moins sur le plan des textes. Musicalement, je ne pense pas que je pourrais faire un album plus sombre que The Broken Man tout en parvenant encore à produire quelque chose que quelqu’un voudrait écouter.

  • Même si tu traites toujours de thèmes difficiles et douloureux, dirais-tu que de plus en plus de lumière perce dans ton inspiration ? Ton travail a souvent été décrit comme triste et pessimiste, il l’est encore, mais il révèle aussi plus d’acceptation…

Oui peut-être, à mesure que l’on progresse dans la vie, on doit apprendre… sinon accepter. Au moins apprendre à savoir quand il est inutile de continuer à se battre. Si vous passez votre vie à être en colère contre ce qui vous déçoit en vous-même, votre vie, les autres personnes et la société dans son ensemble, alors vous finirez comme une épave aigrie, ce que, bien sûr, beaucoup de gens deviennent effectivement mais ce que je voudrais éviter, si possible.

  • Cette évolution se fait particulièrement sentir dans le son : il y a plus d’élégance dans la production et dans les arrangements, moins d’aspérités. As-tu précisément recherché cette élégance générale ?

Une grande partie de cela vient de mon coproducteur David Chalmin, il est un grand génie musical et ingénieur du son. Nous formons une belle équipe et il sait comment faire ressortir le meilleur de moi. En fait, il rend les choses presque trop faciles parce que j’aime me sentir brisé et vide après avoir fini un album…

  • Tu n’as commencé à travailler avec un producteur externe que depuis ton précédent album. Est-ce précisément parce que cet aspect, la production, est devenu plus important pour toi ?

J’avais l’habitude d’être complètement maniaque du contrôle mais je me suis rendu compte il y a quelques années (pas nécessaire) qu’il y a des domaines dans lesquels je ne suis pas particulièrement bon, comme le mixage et l’égalisation. Au fil des années, j’implique de plus en plus de gens dans chaque album.The Calm Before comporte le plus de collaborations, avec David s’occupant des parties de piano et de claviers et d’autres éléments (contrebasse, percussions, clarinette basse et alto). J’aime vraiment entendre la contribution des autres musiciens. J’ai développé une manière de procéder qui est bonne pour la créativité et vraiment agréable pour les musiciens.

 

 

  • Parlons des sujets abordés dans cet album : le titre « The Feast of St Stephen » est particulièrement fort : qu’est-ce qui t’a conduit à écrire une chanson sur l’éducation et le sectarisme religieux ?

D’avoir grandi dans un foyer religieux. La religion n’est pas quelque chose qui devrait être imposé à un enfant. L’idée qu’un enfant subisse des pressions pour confesser ses péchés est un terrible abus et je crois sincèrement qu’il n’y a pas de place pour la religion institutionnalisée sur cette terre. Ce que les gens pratiquent dans leur propre esprit, leur maison et leurs lieux de rassemblement ne me dérange pas, mais gardez cela en dehors des écoles et ne refilez pas vos idées tordues de culpabilité et de honte aux enfants.

  • Quelle idée avais-tu en tête en choisissant le titre The Calm Before : est-ce une façon de laisser l’auditeur compléter l’expression avec le mot qu’il veut ?

En fait, le titre n’a pas toujours été celui-ci, c’était Coping Strategies pendant un certain temps, mais j’ai juste aimé The Calm Before. Je pense que pour des raisons esthétiques, si vous faites référence à une expression, vous n’avez pas besoin de la formuler en entier. J’avais fait la même chose avec un morceau que j’avais créé avec Chapelier Fou : « Moth, Flame ».

  • En tant que musicien britannique qui vit depuis quelques années en France, t’intéresses-tu à la scène musicale française ? Quels sont les artistes que tu trouves les plus intéressants en ce moment ?

J’ai toujours adoré Mansfield TYA et bien sûr, je connais très bien Yann Tambour (The Stranded Horse), j’ai joué quelques fois avec Michel Cloup et j’ai adoré Mendelson en concert, c’est très sombre. J’ai tendance à davantage apprécier la musique en live, donc je suis toujours heureux de jouer avec des groupes français et de faire des découvertes. En vieillissant, j’écoute principalement du classique mais j’aime aussi la musique électronique moderne. Mon dieu, on dirait un vieux con !

  • Ici d’ailleurs… vient de rééditer ton premier album sous le nom de scène The Third Eye Foundation, Semtex. Vingt ans après sa sortie, quel regard portes-tu sur ton évolution ?

Eh bien, si quelqu’un m’avait dit il y a vingt ans que je ferais ce que je fais aujourd’hui, j’aurais été très heureux. Je continue à m’accrocher même s’il devient de plus en plus difficile chaque jour de survivre.

  • En 2010, tu avais sorti un nouvel album de The Third Eye Foundation après dix ans de pause. Peut-on en espérer un nouveau en moins de dix ans ?

Oui, j’ai commencé à travailler dessus… avec David Chalmin !

 

The Calm Before / Ici d’ailleurs…

Site : www.thirdeyefoundation.com

JESSICA BOUCHER-RETIF

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