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DIABOLOGUM

La passe (d’armes) de #3

Diabologum © Eric MuletUn ciel gris, un parlé-chanté reconnaissable entre dix mille et une hargne de tous les diables. #3 de Diabologum est enfin réédité en version augmentée. Longueur d’Ondes revient, avec Michel Cloup, le leader du groupe toulousain sur l’un des albums les plus importants du rock indé français… Et n’allez pas dire le mot “culte” ! Désormais, cet album a une vie.

Il y a cette vidéo dans laquelle un groupe de rock aux T-shirts trop longs et pantalons trop larges s’empare d’une émission de télé grand public, ce disque introuvable rangé dans le rayon d’une médiathèque, et puis une époque si proche – vingt ans à peine… – qui semble déjà si lointaine… Il faut se remettre dans le contexte musical de 1996, quand paraît #3, le bien-nommé troisième album de Diabologum. “Il y avait quelques groupes underground dans le registre noise, mais Noir Désir était la figure du proue du rock français”, se souvient Michel Cloup, le chanteur de Diabologum. Avec eux, il y avait cette idée de chant mélodique en français sur une musique rock et cela ne nous plaisait pas, ce n’était pas la direction dans laquelle on voulait aller. C’est un moment où on écoutait beaucoup de hip-hop, le premier album Wu-Tang Clan (36 chambers, ndlr) et puis les albums solos des mecs du Wu-Tang, les Beastie Boys… Les premiers NTM, Assassin, nous ont aussi influencés.” Alors signé sur Lithium, “le” label indépendant du moment, au côté de Dominique A et Mendelson, Diabologum a fait paraître, sans tout à fait convaincre, deux premiers disques “plus pop-rock” : C’était un lundi après-midi semblable aux autres (1993) et Le goût du jour (1994). Le groupe, apparenté à la scène pop, porte une étiquette qui ne cadre ni avec la volonté de ses membres, ni avec celle de Vincent Chauvier, le patron de Lithium et cinquième membre du groupe. “Les deux premiers albums sont des bouillons de ce que ça allait devenir après. Pour nous, #3 a été le début de plein de choses, celui où l’on trouve notre voie, V-O-I-E-, et notre voix, V-O-I-X-“, dit Michel Cloup, aujourd’hui.

La révolution “parlée-chantée”

Avant d’enregistrer son chant du cygne, le groupe doit faire face à “une grosse remise en question” liée au départ de deux de ses membres vers l’enseignement. Arrivé en dilettante sur la tournée précédente, le batteur Denis Degioanni (Den’s) intègre Diabologum, bientôt rejoint par le bassiste Richard Roman. Ce qui mettra le feu aux poudres, c’est l’introduction d’un parlé-chanté qui influencera par la suite tout un pan du rock français. “On avait déjà quelques titres où l’on disait des textes, mais on n’avait jamais vraiment osé aller dans cette direction”, raconte Michel Cloup. “Le déclic est venu la chanson Il faut qu’Arnaud a amenée. C’est à partir de là que les autres morceaux se sont mis en place : De la neige en été, À découvrir absolument, 365 jours ouvrables… Cela nous permettait de dire des choses plus dures, sans passer par la mélodie.”

Diabologum3La mise en place de ce spoken word à la française repose sur l’addition des contraires : Michel Cloup d’un côté, Arnaud Michniak de l’autre. Si en vingt ans de carrière avec Expérience et en duo, on ne peut pas reprocher à Michel Cloup d’avoir fait beaucoup de compromis, Arnaud Michniak c’est bien pire ! Refusant d’évoquer la réédition de #3, ne parlant jamais dans les médias, il est l’âme damnée du groupe toulousain, son pan le plus radical.

Le disque et la maman

Le ciel gris de #3 apparaît rétrospectivement comme un pendant sombre au ciel bleu et nuageux du 666.667 Club de Noir Désir, qui sortira quelques mois plus tard. Diabologum, ne se reconnaissant définitivement pas dans le rock engagé et ses sous-chapelles des années 90, dessine plus une évocation poétique radicale qu’une chronique sociale stricto sensu. “Il n’y a rien à gagner ici / À part tourner en rond dans l’atmosphère”, lâche Arnaud Michniak sur 365 jours ouvrables.

Sans jamais convoquer une poésie rock perdue dans les volutes de fumée, Diabologum est considéré comme un groupe intello. Ses membres se nourrissent des livres du philosophe Guy Debord, s’échangent des cassettes de reggae comme des films d’auteur. L’adaptation du monologue de Françoise Lebrun dans le film La maman et la putain de Jean Eustache, est l’un des moments de bravoure de #3.

Michel Cloup : “La maman et la putain, c’est tout con… C’est un copain qui m’a amené le voir à la cinémathèque de Toulouse, j’ai pris une claque phénoménale. J’ai réussi à récupérer une cassette VHS dont j’ai copié le son et on a commencé à improviser là-dessus en tournée. C’est l’un des éléments qui nous a fait glisser vers #3. Lorsque Diabologum s’est reformé en 2011, à l’occasion du festival Rockomotives, Françoise Lebrun est venue lire son texte. On a fait des performances avec elle, mais si je l’avais rencontrée à l’époque, je me serais évanoui !”

Tandis que la noirceur de ce disque s’incarne dans la phrase ambivalente “Ce n’est pas perdu pour tout le monde”, Diabologum estime au contraire avoir choisi une voie du milieu, “honnête”. Ni noire, ni blanche, mais bien dans les nuances de gris.

Pas un larsen de travers

Les deux décennies qui viennent de s’écouler semblent, au fond, avoir gommé les divergences de l’époque ; porté aux nues par Les Inrockuptibles, Diabologum se faisait tailler les croupières par Rock’n’Folk#3 est de ces albums auquel le temps donne raison. Qu’on le découvre ou qu’on le redécouvre, c’est une sacré trempe, à la hauteur du Fantaisie militaire de Bashung, du Tostaky de Noir Désir ou de L’école du micro d’argent d’IAM. À la lueur de cette réédition, on comprend mieux l’étiquette “culte” qui a été apposé sur une galette atteignant ces derniers temps des prix prohibitifs sur Internet (80 €, voire plus, pour un CD !). Outre de permettre à #3 d’exister à nouveau, le mérite de cette réédition est aussi de donner à entendre les chansons que Diabologum a enregistrées de la sortie de ce disque jusqu’à son split, en 1998. À de rares exceptions près (Autre chose, Tous les mots disent la même chose), cette collection de titres hétéroclites sont les faces B d’une œuvre où quatre musiciens se jouent de leurs limites au point de les transcender.

Et s’il ne devait rester qu’une trace de la carrière de Diabologum ? Ce serait assurément #3. Et s’il devait y avoir une suite ? Fauve ≠ a repris sans le savoir la tradition des chanteurs qui ne chantent pas (voir Longueur d’Ondes n°68). Et si Diabologum n’avait pas été là ? “L’histoire aurait été la même, mais racontée par d’autres”, comme le dit une chanson enregistrée avec Daniel Darc, l’un des trésors de cette réédition plus que bienvenue.

Texte : Bastien Brun

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