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MOODOÏD

LES NÉO-SURRÉALISTES
Jacco Gardner. 7 février 2014. La Maroquinerie. Paris. Photo : Michela Cuccagna

Vient tout juste de sortir « Le Monde Möö », premier album de Moodoïd, voyage initiatique entre épices d’enfance, désirs charnels et tensions amoureuses. Un bizarre archipel sensuel où cabotent et croisent la chanteuse Riff Cohen, le violoncelliste Vincent Segal ou Didier Malherbe, multi-instrumentiste de Gong et du Hadouk Trio. Rencontre avec Pablo Padovani, troublant leader de Moodoïd. 

 

Votre dernier concert de la saison s’est déroulé fin juillet lors du festival FNAC Live, à Paris. Soit trois semaines avant la sortie du « Monde Möö ». J’imagine que vos vacances ont été plutôt courtes et chargées…

Le mois d’août a été finalement assez studieux. En plus des répétions, il a fallu trouver comment traduire « Le Monde Möö » sur scène, ce qui ne sera pas une mince affaire. Je suis d’ailleurs parti m’isoler dans le Sud-Ouest pour y travailler. Ça ne pourra être que très visuel, mais il faudra aussi tester la longueur des chansons, où on veut les emmener, et le son que l’on veut produire sur scène, quelle patine ou quelle envergure on veut leur donner en concert.

Talk-over, échos, réverbes, murmures, chœurs, questions-réponses… La voix n’est pas simplement posée dans les chansons du « Monde Möö ».

La voix, le chant, ça n’est pas une question secondaire. Pas plus que la langue ; ça me tenait d’ailleurs à cœur de réussir à écrire un album tout en français. Souvent, en France, on privilégie les mélodies ou le sens du texte, et on oublie le travail de la voix, des chœurs, des sonorités. A mes yeux, la voix doit être travaillée comme n’importe quel instrument. Il faut en explorer les possibles. J’aime être à la recherche des sonorités de ma voix, de la variété de ses possibles car je me lasse assez vite, que ce soit comme auditeur ou comme chanteur, du traitement habituel de la voix. J’aime jouer, y compris avec ma voix. C’est pour ça qu’avec Nicolas (Verhnes, le réalisateur de l’album, NDLR), nous ne nous sommes mis aucune barrière : distorsions, phaser, electro-harmonizer… nous avons travaillé comme peuvent le faire MGMT ou Time Impela.

Jacco Gardner. 7 février 2014. La Maroquinerie. Paris - Photo : Michela CuccagnaMoodoïd, c’est en fait un laboratoire plus qu’un groupe ? 

Moodoïd, c’est, à mes yeux, à mi-chemin entre un vaste terrain de jeu et un grand potager dans lequel on cueille ce dont on a envie, dans lequel on invente même les fruits et les légumes que l’on désire. Toujours en mouvement, on se demande quelle forme, quel goût, quel parfum, ils pourraient prendre ou avoir. Tout est toujours très ouvert ; l’important, c’est l’exploration ! Aucune barrière, aucune contrainte. On est là pour s’amuser. C’est ce qui m’a guidé quand j’ai écrit cet album, pendant une semaine, seul, dans le Sud-Ouest. Loin de toute distraction, de toute sollicitation, ça a été un peu comme une longue nuit de rêves. Je suis entré dans un espace d’intimité, finalement assez rare et précieux. Le rapport à la nature en était modifié ; les sens, eux, étaient exacerbés, comme en éveil à tout moment.

Vous affichez, si ce n’est revendiquez, l’importance du jeu dans le processus de création. Ce qui vous rapproche des dadaïstes…

…et des surréalistes ! Certaines chansons du « Monde Möö » ont été écrites effectivement à partir de cadavres exquis, de bribes d’écriture automatique… Le surréalisme, c’est, au départ, une ode à la liberté, au dérèglement des sens. Et c’est dans cet esprit que Moodoïd a été fondé.

Et dans quel esprit a été conçu « Le Monde Möö » ?

« Le Monde Möö » est un conte pour enfants et pour adultes, un conte pour obsédés sexuels, en fait, avec plusieurs niveaux de lecture. Les textes sont parfois naïfs et enfantins – ou peut-être le sont-ils faussement ? Il y est question d’amour et de sexe. Je me suis rendu compte que l’amour, l’érotisme et la sensualité étaient les thèmes récurrents de tout ce que j’ai pu faire. Ce sont des émotions dans lesquelles j’aime plonger, un point de départ qui me permet de migrer vers d’autres sentiments plus sombres : la tristesse, la folie, l’hystérie. Ces sensations fortes, ces sentiments extrêmes nous poussent à être à leur hauteur, à faire preuve d’imagination, de créativité et d’astuce. Par exemple, le clip de « Je suis la montagne », réalisé par Jérôme Walter Gueguen, marche aussi bien auprès des enfants (pour son univers coloré et fantastique) que des adultes (pour son humour et ses allusions sexuelles).

C’est aussi tout le paradoxe de cet album : sous des abords fluides, immédiats, d’une simplicité presque évangélique, il multiplie les niveaux de lecture.

Oui. Au-delà des différents niveaux ou degrés de lecture, qui me permettent d’exprimer aussi, de manière assez simple, la complexité ou les contradictions des sentiments ou des situations, j’ai essayé de réinjecter du rock progressif, des mesures asymétriques dans mes morceaux, que je conçois à la croisée de la chanson française et de la pop…

Quitte à constamment nous surprendre et nous dérouter…

Il faut des surprises, des ouvertures, des brèches ! Moi, le premier, je dois me surprendre – je ne peux pas m’ennuyer avec des morceaux que je vais jouer des centaines de fois. C’est le côté néo-psyché de Moodoïd. Même si les étiquettes et les catégories, ça ne veut plus rien dire vraiment. Moodoïd, c’est plutôt l’expression de tout ce qui me constitue, des styles musicaux qui m’ont construit et dans lesquels je plonge, à bon escient, un peu comme j’utiliserais des épices en cuisine.

A propos d’épices, l’une des singularités du « Monde Möö », c’est son orientalisme. On y entend du saz (le luth ottoman), du duduk (le hautbois arménien)… Il y aussi cette langueur poudrée que l’on associe volontiers aux « Mille et une nuits ». D’où vient ce goût particulier ? 

En fait, j’y suis plongé depuis ma plus tendre enfance. J’adore les musiques traditionnelles, les musiques du monde, notamment à Selda Bagcan, Erkin Koray… Ce sont des musiques de la rencontre, de la différence. Elles utilisent des gammes qui n’existent pas ici, des sonorités que nous pensons inaudibles ou dissonantes, conçoivent autrement la construction des chansons : elles vous permettent de penser autrement la musique que vous faites. Elles sont aussi très élégantes et sensuelles. Et puis, ces chansons piquent votre imaginaire. Bien souvent, je n’en comprends pas la langue, je suis obligé d’imaginer et de sentir ce qu’elles disent. J’aimerais que l’on se plonge dans la musique de Moodoïd comme on se plongerait dans une langue étrangère, sans rien comprendre, juste ressentir.

Ce qui ne signifie pas que vos chansons n’aient aucun sens, aucun propos…

Bien au contraire. Je crois que le sens et la sonorité ne doivent pas s’exclure. Ce qui me plait vraiment, c’est la coïncidence de l’un et de l’autre. Bien souvent, on écrit les mélodies avant les textes, au détriment du sens. Or, la langue, le propos, ce n’est pas accessoire. J’essaie ainsi, autant que faire se peut, de mouler les mélodies sur les mots, et inversement. Les contraintes de ce genre, ces contraintes consenties nous libèrent au final puisqu’elles nous obligent à inventer, à créer de nouveaux possibles.

Enfin, sur « Le Monde Möö », il y a « Bongo Bongo Club », qui pourrait évoquer un « Afterlife », plus rock’n’roll et débridé. Vous sentez-vous une proximité avec le groupe montréalais Arcade Fire ? 

J’avoue que je ne les ai jamais vus sur scène. En revanche, j’ai vu sur Internet leur récent show au Coachella Festival et j’ai trouvé ce qu’ils proposaient, éminemment généreux et festif. C’est ce que l’on a peut-être en commun. Leur prestation est très sincère, musicalement immédiate et ils n’ont pas peur de la démesure, de voir en grand. Et j’avoue qu’en 2014, ne pas verser dans la musique triste et pesante, ça fait vraiment du bien.

Texte : Sylvain Dépée
Photos : Michela Cuccagna

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moodoid.bandcamp.com

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