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LES CULTURES AUTOCHTONES

Les cultures autochtones © DR

Résister pour exister

S’il est une culture tapie dans l’ombre, souvent aux confins des limites territoriales québécoises, c’est bien celle qui répond à la dénomination d’Autochtone. Dossier complexe et sensible, entre histoire ancestrale aux déroutes colonisatrices, affirmation de rites animistes et chants originels hors de toute civilisation autre que celle de la Nature de l’Être. Tableau d’une culture en plein renouveau où s’invitent tous les courants musicaux contemporains. Du cri des Premières Nations aux néo-Autochtones, voyage…

La résurgence des cultures autochtones

CHARLES AMMOUN HÉLÈNE BOUCHER

 

© Musée McCord

 

Ils sont les premiers habitants connus du continent américain. Pendant près de 30 000 ans, ces peuples libres – tout comme leurs frères lointains Incas de la Cordillère des Andes – vivaient en maîtres, cultivant la terre, chassant gibier et poisson sur leur majestueux royaume. Ils aménageaient le territoire de manière à répondre à leurs besoins, l’exploitant de façon responsable et harmonieuse avec la Nature. Puis survint au 17e siècle, l’arrivée des Européens. Premier épisode d’une série de déstabilisations constantes, jusqu’à nos jours. Où en est l’état de survie de cette culture au Québec ? Diagnostic historico-social-artistique on ne peut plus d’actualité.

En Amérique du Nord, jusqu’à l’arrivée de “l’homme blanc”, la plupart de ces peuples était nomades. Pendant longtemps et de façon impropre, on les a désignés tour à tour Indiens, Peaux Rouges ou Amérindiens. Le terme “politiquement correct” d’Autochtones les détermine collectivement, sans distinction ethnique. Au Canada, leur groupe se compose des Premières nations, Métis, Inuits ou Innus. En 2016, Statistique Canada recensait 182 890 Autochtones au Québec, soit 2,3% de la population québécoise. Il y a deux ans, ils étaient 1 673 785 à travers le Canada, soit 4,9% de la population canadienne.

Alors qu’il y a 400 ans, ils étaient seuls maîtres sur la terre de leurs ancêtres, ils ne sont plus aujourd’hui qu’une minorité quasi invisible. Dépouillés, parqués dans des réserves, longtemps massacrés, considérés encore aujourd’hui citoyens de seconde zone, les peuples autochtones du Canada reprennent les rênes de leur destin en main. Ces vingt dernières années ont permis d’observer un changement de paradigmes dans leur lutte pour la survie, la préservation de leurs cultures et la défense de leurs droits. C’est ainsi que l’on parle, de plus en plus, de résurgence des cultures autochtones. C’est en elles et par elles que se trouvent les clés du renouveau.

Après d’âpres luttes sociales menées avec panache, les peuples autochtones sont en passe d’écrire une nouvelle page de leur Histoire. De fiers artistes se lèvent, se relèvent peu à peu afin de reconstruire une identité culturelle par la musique, idéal véhicule d’expression identitaire.

 

© Musée McCord

 

Une lutte de longue haleine

La Déclaration des Nations-Unies sur les droits des peuples autochtones adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU le 13 septembre 2007 reconnaît leur droit à l’autodétermination.. Ils ne peuvent être expulsés de leurs terres et ont le droit exclusif d’en exploiter les ressources naturelles. C’est ainsi qu’ils disposeraient de la liberté d’auto-déterminer leur propre mode de gouvernement, leurs modèles économique, social et culturel. Ce n’est que depuis mai 2016 que le Canada appuie cette déclaration.
Malgré toute la bonne volonté affichée, une certaine inertie persiste de la part des gouvernements canadiens. Ces dernières années se résument en une suite de déclarations de principes qui, pour le moment, font l’effet d’un placebo. Depuis le rapatriement de la Constitution canadienne en 1982, les avancées dans le domaine ont été très lentes à se mettre en place. La question autochtone dérange. Dans les traités, il s’agit, la plupart du temps, de résoudre des questions liées aux terres, à l’accès et à l’exploitation des ressources naturelles, et surtout, à l’autonomie gouvernementale. En un mot, la problématique et ses enjeux se cantonnent à la sphère financière.

 

© Musée McCord

 

Mise en péril du genre féminin

Phénomène préoccupant, des disparitions inexpliquées et assassinats de femmes et des filles autochtones se produisent depuis des décennies, sans intervention des autorités canadiennes. Ce n’est qu’en septembre 2016 qu’une enquête nationale a été ouverte pour identifier les causes de la violence envers les femmes autochtones. Parmi celles-ci, il est d’ores et déjà avéré que le racisme systémique et les conséquences de la colonisation jouent un rôle important. Les auteurs de ces actes ont l’air de croire que « l’indifférence de la société à l’égard du bien-être et de la sécurité des femmes autochtones leur permettra d’échapper à la justice. » (Amnesty International, rapport 2004, p.5) Encore actuellement, les personnes LGBT autochtones encourent de graves dangers et doivent être urgemment traitées. Les débats peuvent être suivis et l’enquête consultée sur la page Internet qui leur est dédiée.

 

Une ambassade culturelle qui peine à voir le jour

Le 21 juin 2018, à l’occasion de la Journée nationale des peuples autochtones, la Ville de Montréal s’est engagée à participer au projet d’une Maison de la Culture des premiers peuples. La métropole défraiera 10% du coût total des travaux qui s’élève à 6,2 millions de dollars. Il est prévu que le bâtiment soit construit sur l’un des terrains de la Société immobilière du Canada, dans le Vieux-Port de Montréal. Bien que cette promesse ait été faite en présence de Ghislain Picard — Chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador depuis 1992 — et de celui qui fut pendant plus de quatre ans le Ministre des affaires autochtones sous le gouvernement Couillard, Geoffrey Kelley, le projet n’a, pour le moment, toujours pas avancé. Et pourtant, André Dudemaine, directeur artistique de Terres en vues — un organisme à but non lucratif qui s’est donné pour mission de diffuser les cultures autochtones — nous confirme qu’il existe déjà des études de faisabilité ainsi qu’un plan fonctionnel et technique. Le projet est donc prêt à être mis en œuvre; il n’attend plus que l’aval du Gouvernement fédéral…

Un manifeste pour l’autodétermination

Dans la lignée du renouvellement de la politique culturelle du Québec, en février 2018, soixante-quatorze artistes et organisations québécoises ont signé le Manifeste pour l’avancement des arts, des artistes et des organisations artistiques autochtones au Québec. Il s’agit d’un document dans lequel les artistes et leurs organisations artistiques affirment leur volonté de se réapproprier leurs traditions, leurs coutumes, leurs arts, en un mot leur culture. Ils demandent, « avec respect », aux « experts non autochtones » de bien vouloir « laisser la place » afin de leur permettre d’exprimer « leurs propres identités et cultures contemporaines. » (Collectif des commissaires autochtones [CCA/ACC], Mémoire déposé dans le cadre du processus de consultation publique pour le renouvellement de la politique culturelle du Québec. 24 août 2016, p. 4 du Manifeste.)

Un paragraphe du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada résume explicitement et clairement la demande : « À travers leurs œuvres, les artistes autochtones cherchent à résister à l’interprétation culturelle qui offre une version du passé et de la réalité actuelle du Canada teintée par la vision des colonisateurs : ils contestent cette interprétation. Un dialogue interculturel sur l’histoire, la responsabilisation et les arts offre un potentiel de guérison et de transformation tant pour les Autochtones que pour les non-Autochtones. » (2015 : Ottawa, p. 304 ) C’est ainsi que le texte nous rappelle simplement que ces citoyens du Québec, et plus largement du Canada, sont les premiers experts, les plus légitimes, auxquels on doit s’adresser pour parler de leurs propres cultures.

Il ne viendrait à l’idée de personne de parler du génocide arménien ou de la Shoah sans avoir rencontré et recueilli les témoignages des intéressés; espérons que dans l’avenir, il ne viendra à l’idée de personne de définir à la place des peuples autochtones de la planète ce que leurs cultures doivent être, ce que sont leurs arts ou leur raison d’ être.

 

Krieghoff-Femmes indiennes avec mocassins

 

Les arts comme vecteur de reconstruction identitaire

Tous ces contretemps n’empêchent pas les peuples autochtones de faire avancer leur cause. Comme dans bien des cas, c’est par les arts et les artistes que la reconstruction identitaire et la défense des droits pourront se réaliser. Depuis 1990, Présence autochtone, un festival organisé par Terres en vues, s’est donné pour mission de célébrer les cultures des peuples autochtones des trois Amériques. Il se tient annuellement au mois d’août depuis 28 ans. Des artistes de la relève musicale autochtone s’y produisent. L’édition 2018 a réuni Jerry Cans, Béatrice Deer ou encore Don Amero et Northern Voice Singers, pour ne citer que ceux-là.
Plusieurs organismes partagent la mission de faire découvrir la relève autochtone. Le Wapikoni Mobile en est un exemple. Fondé en 2004 par Manon Barbeau, cinéaste canadienne de renom, avec l’appui du Conseil de la nation Atikamekw et du Conseil des jeunes des Premières Nations, l’organisme de médiation et de formation audiovisuelle intervient auprès des jeunes autochtones afin de lutter contre le taux élevé de suicide, les décrochages scolaires et la toxicomanie qui gangrènent ces communautés. Leur site Internet comporte plusieurs courts métrages de fiction et des documentaires porteurs d’un message qui dénonce et défend la place qu’occupent les peuples autochtones. Tous sont réalisés par de jeunes cinéastes de talent. Le site permet de mesurer la qualité et la créativité de cette jeunesse qui défend son identité et ses droits.

Musique Nomade est, en quelque sorte, le petit frère de Wapikoni Mobile. Cet autre organisme à but non lucratif promeut et soutient la production musicale autochtone traditionnelle et surtout contemporaine au Canada comme au Québec. Il occupe une place majeure dans la reconstruction identitaire de ces populations et agit comme un moteur social.

Plusieurs autres organismes font la promotion et soutiennent la relève artistique autochtone ; par exemple Productions Onishka, une organisation artistique interdisciplinaire qui échange et partage avec les peuples premiers du monde entier. Les Productions théâtrales Menuentakuan, quant à elles, créent, produisent et diffusent des spectacles à la jonction des arts de la scène autochtone québécoise et des cultures d’ailleurs. Depuis août 2018, un nouveau programme de soutien aux arts autochtones a été annoncé par le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ). Re-connaître a été créé afin de soutenir et promouvoir la création des arts autochtones.

Mémoires de territoires perdus…

HÉLÈNE BOUCHER

 

Campement algonquin - Gravure © DR

 

Depuis le 15ème siècle, au nord-est du continent américain, deux fratries répondant aux noms d’Algonquiennes et Iroquoiennes se partageaient ce vaste territoire correspondant au Québec actuel. L’historien Alain Beaulieu, sommité, auteur de maints ouvrages dont Les Autochtones du Québec et Histoire des revendications territoriales amérindiennes (XVIIIe-XIXe siècles), partage son dense savoir…

Sève de vie culturelle

Au départ était l’homme, dans son Éden. Puis survint un envahisseur sournois, qui asséna un coup fatal dans le libre arbitre des Amérindiens du Québec. Bien que l’on parle peu ou prou du passé des 11 nations autochtones ‒ Abénaquis, Algonquins, Attikameks, Cris, Malécites, Micmacs, Innus, Naskapis, Hurons-Wendats, Mohawks, Inuits ‒, leur réalité contemporaine découle des pages de leur histoire collective, ponctuée de codes culturels spécifiques. Malgré le peu de traces existantes de vestiges, Alain Beaulieu évoque une forte tradition artisanale des femmes iroquoiennes : « Elles avaient l’habitude de dessiner des motifs sur les sculptures, les poteries et les pipes. On a retrouvé des colliers et ceintures de wampa serties de perles et coquillages percés d’usage en diplomatie. Un élément central que les Européens adopteront par après. »

Jadis, leur code langagier n’avait rien à voir avec celui des ‟vieux pays”. Pour véhiculer l’annonce d’une guerre, le retour de la paix, un décès ou une naissance, des couleurs spécifiques étaient d’usage et la tradition orale de mise : « Il existe chez ces peuples une manière de transmettre et construire la mémoire pour y donner un sens, comme une Bible de la création, dans laquelle s’inscrivent les événements marquants », précise l’historien sur ce véhicule essentiel à la base d’un savoir aujourd’hui oublié.

Des armoiries symboliques sont placées devant les vastes maisons longues où résident certains clans nomades en guise d’identification. Quant aux objets usuels du quotidien, ils sont fabriqués à base d’écorce de bouleau, un matériau recouvrant également les habitations de type tentes tipi. Chez les Algonquiens, on conçoit des tenues chaudes avec les poils de porc-épic. Tout le sens du mot écologie dans l’exercice de telles pratiques ancestrales.

 

Akwesasne ©DR

 

La bascule des repères

La venue des Européens colons en sol nord-américain verra une suite progressive de transformations des mœurs chez les nations premières. D’abord par un nouveau mode alimentaire s’accompagnant de ses propres ustensiles. Une nouvelle adoption de coutumes dont l’usage se métamorphosera avec l’utilisation de haches et couteaux et la disparition des contenants d’écorces d’antan. Des éléments a priori triviaux mais annonciateurs du chambardement qui aura cours de la fin du 16e siècle jusqu’au 19e siècle. Plus tragique encore, une série d’épidémies transmises par les envahisseurs colons décimera la plupart des nations autochtones dans cet intervalle. Démunis par leur système immunitaire incompatible avec les moindres virus et maux d’ailleurs, un simple rhume peut leur être fatal. Ces femmes et hommes périront peu à peu au contact de porteurs de syphilis, variole, coqueluche, scarlatine, diphtérie et autres. Quant au culte, la christianisation se propagera parmi les esprits, déconstruisant mœurs et croyances.

Historiquement, comment et à quel point la colonisation et la dépossession territoriale brimeront-elles l’émancipation artistique et culturelle des Premières Nations ? Pour Alain Beaulieu, la période charnière de ce marasme s’amorce significativement au 19e siècle, alors que la main du colonisateur s’étend radicalement. D’une part, la mise en place de pensionnats sous l’égide des forces gouvernementales deviendra un lieu obligé pour tout enfant autochtone à qui l’on enseignera les préceptes de la culture occidentale. Une association des forces religieuses et politiques qui assoira définitivement leur sédentarisation. Parallèlement, l’industrie forestière est à plein régime, avec une exploitation de la richesse des majestueux arbres jadis protégés, dorénavant condamnés au commerce.

 

© Mario Faubert

 

shutterstock ©Mario Faubert

 

Vivre sous bulle

Depuis 1876, année d’adoption de la Loi sur les Indiens, les nations premières vivent sous le régime territorial des réserves. Pour ces communautés réparties à la grandeur du Québec, ce mode de vie s’avère bien peu en équation avec celui de leurs origines, comme le soutient l’historien : « Ces populations nomades vivaient selon un cycle de chasse et de cueillette, se déplaçant fréquemment l’été aux abords des cours d’eau, et l’hiver, s’adonnant à la pratique de la chasse. » Lorsque les premiers colons surviennent sur ce territoire vierge, une première phase de dépossession territoriale est menée. Les Jésuites emboîtent le pas à ce cycle d’isolement qui s’étendra sur 300 ans, du 17e au 20e siècle, dans un élan d’inconscience aux yeux de l’historien : « Initialement, les religieux souhaitaient protéger les populations autochtones par la promotion de cette transformation du mode de vie. En les coupant du monde blanc, ils aspiraient à les voir intégrer un mode de vie occidental. » L’instinct de résistance mènera bien sûr à des affrontements entre colons et autochtones, se concluant par l’extermination de villages et l’abolition des structures politiques. En acquérant peu à peu ces parcelles de terrain, les colons parviendront à cultiver ces terres fertiles pour leur propre bien. La sédentarisation forcée donnera lieu à de maigres privilèges dont l’absence de taxes instaurée par le Gouvernement du Canada.

Pour Alain Beaulieu, l’un des clichés historiques les plus malsains sur l’image des Premières Nations au Québec demeure celui de l’« Indien paresseux ». Dès le 17e siècle, nomade ou sédentaire, il doit trimer dur pour survivre. L’habitude d’accumulation à l’européenne lui est totalement étrangère et l’agriculture constante constitue sa source de renouveau. Il y a aussi cette idée de sauvagerie, d’êtres primitifs anarchiques dépourvus de balises politiques pour déterminer leur hiérarchie. « Il est totalement erroné d’affirmer que les Autochtones se laissent conduire uniquement par leurs sens, ils ont toujours eu des formes de condamnation du crime, quel qu’il soit… »

 

© Mario Faubert

 

Chanter pour ne pas disparaître

HÉLÈNE BOUCHER

D’est en ouest du territoire canadien, 5% de la population se revendique d’ascendance autochtone. Dans ce minime cumul, des artistes n’ont de cesse de célébrer, en toute modernité, la Nature originelle de leurs croyances et leurs rêves d’avenir. Brave démarche pour ces voix dont le patrimoine vital fut arraché telle une mauvaise herbe, depuis la fin du 16e siècle, d’abord au profit du colonisateur britannique ou français, puis des systèmes gouvernementaux jouant la politique de l’autruche. Loin de jouer la carte misérabiliste, les voix d’Elisapie Isaac et Anachnid s’élèvent et transpercent le microcosme de leur réserve socio-culturelle dans des styles musicaux embrassant même le 2.0, avec une vision commune de résister au moule forcé dans lequel on les a trop longtemps soumises…

Elisapie Isaac

Fille du vent tournée vers demain

 

Elisapie Isaac © David Poulain

 

Depuis 2001, l’auteure-compositrice interprète opère une onde magnétique entre son Nunavik natal – zone nordique du Québec perchée au 55e parallèle – et Montréal. D’abord au volant du bolide Taima, duo auquel s’adjoignait le compositeur et guitariste abitibien Alain Auger. Puis en mode solo. Au fil de ses deux précédents albums dosés de folk et pop – There will be stars (2009) et Travelling Love (2012) – Élisapie Isaac a toujours émis un message féminin percutant à la résonance assumée, traduisible en langue inuktitut par une formule optimiste : « C’est assez, construisons autre chose ». La vision assombrie des médias sur ses congénères du Grand Nord, à réduire leur mode de vie à l’ancestral igloo afin d’épater par sensationnalisme, lui déplaît. « Bien sûr, nous avons été colonisés, mais il faut changer, avoir notre mot à dire, montrer notre résilience. Les Autochtones sont trop vite stéréotypés, les femmes surtout ! Il faut croire en nos enfants et faire montre de plus de courage. », soulève d’un trait la femme arctique.

Folk des neiges vers la France. De ses codes culturels, Elisapie, mère de trois enfants, a conservé une poésie de l’insaisissable. Tel le vent sifflant en permanence dans son village Salluit, lieu référentiel identitaire. « Je tends à étouffer très vite, et ressens un besoin de renouveau pour me rafraîchir, changer d’air. Je viens d’un village extrêmement venteux, et cet élément est une métaphore hyper importante. »
Son troisième opus The Ballad of the Runaway Girl fut accueilli par un nouveau public européen grâce à l’adhésion de l’étiquette Yotanka et de l’agence scénique Uni-T. Fil continu de sa quête, la jeune femme en a long à dire sur la notion “d’expatriée”. L’œuvre imaginée comme un conte musical Inuk a provoqué chez elle une introspection obligée vers les lointaines contrées desquelles on ne se soustrait pas. « Le Grand Nord n’est pas à l’autre bout du monde, il est au centre du mien. Je l’ai quitté, mais il est plus présent que jamais ; c’est là que j’ai vu la vie, la Nature brutale. Un mécanisme opère en moi depuis l’enfance : je fuis toujours quelque chose ! Je me suis toujours adaptée à la ville, à Montréal, mais je dois souvent me poser, m’arrêter, pour réellement saisir mes tripes, même après trois albums… »

Le titre “Don’t make me blue” constitue la pièce maîtresse de sa percée hexagonale. Un hymne puissant et mélancolique sur la quête d’amour véritable, dépourvu d’excès et de bleus à l’âme où des soupçons de vibrations animales s’invitent. La discrète reine de l’espace inuit tournera ici et là en France durant deux ans, avec une mise en scène de son concert qui la portera jusqu’à New York. Énormément de délicatesse, de sobriété pour extraire les onze pièces dites organiques, majoritairement en anglais et inuktitut.

Anachnid

Araignée 2.0 en quête d’universel

 

Anachnid @Julie-Anne Bautista Beauchesne

 

Sa vibration s’apparente à celle de M.I.A. mais ne nous y trompons pas : cette voix planante est 100% d’origine autochtone canadienne ! De double ascendance socio-culturelle, ojie et crie, elle s’est retirée de son Manitoba natal pour édifier les assises de sa musique répondant à l’étiquette Native trap. Métaphoriquement, un collet traditionnel pour attraper l’esprit de la Nature pour honorer les ancêtres par sa musique. Un exercice accompli sur son tout premier simple, Windigo, hymne identitaire intégrant des échantillons sonores d’espèces animales. À 22 ans, l’artiste influencée à l’adolescence par les courants du dance-hall, du rock et des touches du piano, a vu son destin basculer suite à sa participation au spectacle collectif Nikamotan Mtl en août 2018, un happening auquel collabora une fratrie d’artistes autochtones dans le vent. La relève musicale en marche. Une initiative des organismes Musique Nomade et du festival Présence autochtone.

Hip-hop, capteur de violence. Avec sa versatilité musicale, Anachnid veut démontrer qu’une Autochtone peut se distinguer au-delà des paramètres du country et du folk collant trop souvent à leur ADN. Ses collaborations avec des artistes hors du réseau des Premières Nations agit comme un carburant pour celle qui a vécu la survivance à Montréal. Aborder l’itinérance et le nomadisme ne lui échappe pas. Elle a su émerger d’un espace de vie reculé des centres urbains, de sa réserve coupée du reste du monde où sévissent des fléaux sociaux de violence. Impact désastreux de la découpe irréfléchie gouvernementale canadienne rappelant tristement le fatal chapitre du partage territorial des peuples africains par les forces colonisatrices européennes. « Quand j’ai abandonné toute forme de conditionnement social qui me retenait dans un cycle d’études ne correspondant ni à ma culture, ni à mon mode de vie, et largué le circuit professionnel du travail de 9 à 5, je suis devenue nomade, une fois pour toute, instinctivement. », témoigne la fière guerrière pour qui le mode urbain de la rue n’a plus de secret. Pour elle, la violence est un moyen de survie, de respect, même si ses ancêtres ne l’encouragent pas à s’y prêter. Sa fréquence de colère passe par le hip-hop, bouée de sauvetage de maints artistes de communautés encore stéréotypées à Montréal.

Tendre la joue pour mieux avancer. Celle que l’on reconnaît comme un être « tombé du ciel » est recrutée par la filière Musique Nomade pour sa capacité à s’exprimer selon les préceptes de l’oralité autochtone. Et pour son style alliant une part d’humour et un cri guerrier non camouflé, arme artistique face aux préjugés persistant sur son monde autochtone. Dans sa communauté de Red Sucker Lake, sa musique griffée 2.0, ses moqueries et revendications plaisent et froissent à la fois. L’esprit résolument tourné vers le monde, elle tient à aborder la question autochtone dans une perspective universelle, aussi loin qu’en Australie, au Mexique et à Hawaï. Ce qui l’exaspère par-dessus tout ? L’étroitesse d’esprit des Québécois à saisir la réelle situation cul-de-sac du quotidien des peuples déracinés dont elle fait partie. Le jugement trop facile de tout un chacun quant à l’assistance financière minimale que perçoivent les communautés de la part du gouvernement. Elle s’explique :
« Cet argent est nécessaire au maintien de nos vies car il n’y a pas de métiers dans les réserves ! Et il est impossible d’y vivre le nomadisme ancestral. Les familles nombreuses peinent à manger à leur faim, surtout celles établies loin des systèmes colonisateurs blancs. Des centaines de tribus au nord n’ont aucun recours. Le taux de suicide chez les Autochtones est beaucoup plus élevé qu’ailleurs au Québec. »
Après avoir survécu à l’hiver – période de sublimation particulièrement pénible pour l’artiste, mais ô combien nécessaire à l’éclosion des bourgeons de son premier album conçu telle une toile d’araignée – Anachnid révèle chaque pointe correspondant à un rythme : électro, trap, ballade, R’n’B et jazz. Une dernière pensée vers les femmes autochtones : qu’elles puissent se servir du talent octroyé par le Créateur et relever bien haut leurs têtes…

Chloé Sainte-Marie

HÉLÈNE BOUCHER

 

Chloé Sainte-Marie © Pierre Dury

 

Artiste multi-disciplinaire insaisissable, elle chante la poésie en langue innue, elle préconise l’apprentissage des langues autochtones et clame être d’ascendance métisse… comme tous les Québécois ! Libre parole.

Dans le langage dit québécois ou antérieurement canadien — ou canayen, comme les anciens l’exprimaient — il y a des mots autochtones, des mots sauvages cachés, des intonations dissimulées qui n’ont rien à voir avec le français. Et cela tient au senti et aux sens, comme il en est de la douleur, du jouissif, etc. Tel âtch’, ayolle, ouabache, etc. Ou des espèces d’animaux, de poissons ou de végétal — wapiti, maskinongé, pembina, etc., inconnues en Europe. Ce sont des vestiges des 17ème et 18ème siècles recouverts du 19ème et qui sont passés par l’oralité d’un peuple à 70 % analphabète, à l’époque. Et personne ne s’en doute. Le langage non écrit s’accompagne d’une liberté et d’une créativité empêchant toute correction. On peut vouloir corriger un accent, mais peut-on corriger l’accent du corps lui-même ? Les Nations Premières constituent l’épine dorsale de la planète. Et leur histoire, c’est notre histoire à tous-toutes, métissées-métissantes. Je souhaite secrètement le moment de la débâcle au printemps, l’apparition d’une grande envolée symphonique aux mouvements millénaires enfin réconciliés.
Je réclame à la fois ma métissité et ma créolité. Cela fait trois siècles que l’on tente de nous faire croire que l’on est des Blancs à temps complet. Et si c’était vrai, on n’aurait pas à nous le répéter constamment.
Je ne clame pas, je chante. Et d’ailleurs je ne chante pas, je déchante… Je chante à reculons et sur les côtés. J’attrape les mots par leurs sons et je leur refais un sens. Mes chants varient avec les saisons. Mes mots sont des nomades. J’ai la longueur d’ondes qui court sur les sentiers, comme les oiseaux qui reviennent du sud au printemps, en transportant sous l’aile des gammes complètes venues d’espèces rencontrées en chemin.
Je me suis fait prendre au piège de la poésie de la langue innue un matin de printemps. Au piège de la beauté et du sacré. Mon amie innue m’a dit : « Il y a longtemps que j’ai vu un chasseur monter dans les bois. » Et moi, je la regarde et ce sont des mots que je vois marcher sur les neiges. Ce sont les mots eux-mêmes qui me tirent. Je me suis laissée apprivoiser par l’innu, moi la métisse rousse moutonnée. Je ne vais pas vers la poésie comme s’il s’agissait d’un être extérieur à moi. Pas du tout. Je ne dis jamais que je fais de la musique, c’est plutôt que je me fais musiquer… C’est la musique qui me fait.
Il y a en moi du sauvage qui ne sait pas où donner de la tête. Des strates de musique enfouie que l’innu a fait remonter en surface.

La plateforme Nikamowin

Où peut-on retrouver le meilleur en musique émergente autochtone ? Dans son souci de transporter ces talents méconnus à nos oreilles, Musique Nomade a eu l’idée brillante de créer un espace d’écoute numérique. Semblable aux plates-formes Deezer ou Spotify, Nikamowin deviendra le tout premier réservoir musical en streaming pour les artistes pan-canadiens représentés par l’organisme. Un réseau solidaire pour les rassembler, en montrer la force et la diversité des compositions, en collaboration avec des partenaires actifs partout sur le territoire. Au Yukon et au Manitoba, un pont entre artistes d’ici et du Canada, tant francophones qu’anglophones, rallie déjà ces créateurs. Un symbole fort ouvrant à une avenue d’autonomisation pour ces artistes souvent démunis en matière de promotion, comme l’évoque Joëlle Robillard, chargée de projets dévouée à la cause :
« Les 125 artistes de la plate-forme ne sont pas toujours à l’aise en marketing et commercialisation mais ils méritent d’être reconnus. Nikamowin les répertorie tous et toutes, qu’importe leur langue originelle d’expression. » Ainsi, on y retrouve des compositions en Atikamekw grâce à un moteur de recherche intégré par critères de nation, communauté, ou style musical. Le partage sur les réseaux sociaux sera également à la portée des utilisateurs. « Le public ne connaît pas l’étendue des talents autochtones, il y a un grave manque d’éducation quant aux musiques actuelles, et on pense encore souvent à la folk plutôt qu’à l’électro », ajoute Joëlle, pour qui le plus ardent objectif résiderait à une distribution mondiale des rythmes autochtones. D’ici ce jour béni, elle et ses comparses multiplient les efforts afin de générer des collaborations exclusives mixtes entre tous les artistes et fortifier l’autonomie de leur brigade d’exception grâce à des ateliers de co-création, à la grandeur du territoire canadien.

 

Artistes à découvrir

Laura Niquay : folk rock atikamekw
Matiu : folk rock innu
Q052: hip hop
DJXS7: électro
Esther Pennell : country
Matt Comeau : pop, blues
Violent Ground : hip hop
Melody McKiver : classique et contemporain

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