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Musique française engagée : où sont les indignés ?

Sois rebelle et tais-toi ?

La musique française engagée ? Beaucoup d’intentions pour un discours qui ne sert à rien. Trop d’égos affichés, de naïvetés exaspérantes, de schématismes ne s’adressant à personne, trop d’arrivistes donneurs de leçons.

Pourquoi la France est-elle si mauvaise en chansons revendicatrices ? Cela tient d’abord aux assonances liées à la langue : le discours frontal peine à dépasser une simplicité pas très loin de l’évidence. Même la voie de l’humour (“Chirac en prison” des Wampas) ne gravite jamais au-delà du potache éphémère — seul Katerine, avec “Le 20.04.2005” (qui a pour protagoniste Marine Le Pen), contourne la question politique pour mieux clamer une vérité : cette femme est imbaisable !

Autre raison : un titre engagé en France est généralement écrit par un artiste de gauche dont le public est constitué d’électeurs… de gauche. Il y a donc la sensation d’une prise de position qui n’apprend rien de plus et ne fait guère avancer les choses. À quoi bon écouter un message que l’on partage certes, mais qui simplifie discussions comme manifestations ? Transformer l’inquiétude sociale française en un slogan (dont la seule finalité consiste à flatter la conscience citoyenne de l’artiste), c’est aussi pathétique que tartuffien.

Une chanson politique française, pour émouvoir l’auditeur, doit tendre vers l’implicite ou l’ambiguïté lexicale — ce qui est rarement le cas tant le musicien engagé se fantasme en porte-parole. Bien sûr, dans les 80’s, Bérurier Noir, avec le slogan « La jeunesse emmerde le Front national » (sur le titre live “Porcherie”), dégaine l’artillerie lourde ; mais le contexte est alors différent (la soudaine montée du FN aux élections européennes de 1984 appelle l’urgence des mots), et la jeunesse française possède encore des attributs keupons.

 

 

Plus intéressante, la version “Douce France” de Carte de Séjour : par sa seule interprétation, Rachid Taha détourne le patriotisme de Charles Trenet pour questionner l’intégration des immigrés. Dans le même état d’esprit, Serge Gainsbourg, en 1979 avec “Aux armes et cætera”, redonne à “La Marseillaise” une valeur communautaire puisque le titre, chanté par un fils d’émigrés juifs russes, est interprété par des musiciens jamaïcains. En 1995, NTM éructe un lapidaire “Qu’est-ce qu’on attend” : si le propos est aussi direct que manichéen, il est néanmoins légitimé par une colère en provenance du 93 (Seine Saint-Denis). Idem avec “Le bruit et l’odeur” de Zebda, samplant le discours de Chirac sur le regroupement familial. Avec “Un jour en France”, Noir Désir préfère sous-entendre que taper du poing : si chaque ligne s’énonce clairement, le texte global détient une part cryptée offrant à chacun une entière liberté d’interprétation.

Ces derniers exemples ne sont pourtant que des cas isolés. Les tentatives foireuses se taillent la part du lion. En 2007, Diam’s, avec le titre “Marine”, édulcore la charge anti-FN en portant toutes les fautes sur le père et, sans le vouloir, dédiabolise la fille. De même, certains grands noms laissent perplexes lorsqu’ils abandonnent la sphère intime pour se frotter au politique : de Benjamin Biolay (“Le vol noir”) à Miossec (“On était tellement de gauche”), de Bashung (“Touche pas à mon pote”) à Jeanne Cherhal (“Tant qu’il y aura des Pussy”). Mais au moins, le propos se veut sincère. L’affaire se complique lorsque Saez (“Jeune et con”), Skip The Use (“être Heureux”) ou Luke (“Quelque part en France”) abordent le territoire de la revendication : le social ne sert qu’à camoufler le vide abyssal des textes, l’incapacité d’écrire des paroles aussi personnelles qu’universelles. Le pompon de la vacuité est cependant attribué à Cali. L’espoir, album sorti en 2008, ne prend même plus soin de questionner le présent (les titres se concentrent sur l’échec de la campagne présidentielle de Ségolène Royal, l’année précédente – sujet inintéressant au possible, du moins en musique), tout en abusant d’une naïveté qui ne parle à personne.

Le problème ne tient peut-être qu’à cela : trop de mauvais musiciens, n’ayant rien d’intéressant à exprimer mais se rêvant tout de même en icônes générationnelles, puisent dans la chanson engagée pour se payer un contenu, une crédibilité.

Et si la véritable chanson française engagée (ou le rock revendicatif) n’avait pas conscience de son rendu politique ? Car de Dominique A (Remué) à Noir Boy George (“Messin plutôt que Français”) en passant par Diabologum (#3), Tomek (“Utopilule”) ou Murat (“Morituri”), c’est en partant de l’intime que se dessine un portrait de la France. Ces artistes ne parlent que du quotidien le plus trivial, banal, sans héroïsme. Une vision de l’époque se dessine pourtant. Sociale malgré elle, cette musique en dit bien plus sur le monde que tout le bullshit tricolore clamé par les pseudos compositeurs en mal de reconnaissance.

 

A lire dans le magazine N°78 / été 2016

JEAN THOORIS

 

Compilation des indignés des années 2010

Mouss & Hakim, Bertrand Cantat, Emily Loizeau, Sanseverino ou encore André Minvielle qui s’opposent dans le titre “Notre Dame des oiseaux de fer” au projet de construction de l’aéroport du Grand Ouest. Jeanne Added qui, depuis les premiers jours de Nuit Debout, assiste régulièrement aux AG, Place de la République. Kenny Arkana qui vient de publier sur son site Internet six titres sur l’état d’urgence (etat-durgence.com). Woodkid qui collabore avec le musicien allemand Nils Frahm et Robert de Niro pour un mini-album sur la crise des réfugiés en Europe. Et si les chansons politiques se multipliaient mais que l’on ne les entendait pas ? Petite piqûre de rappel, non exhaustive et en français dans le texte !

 

 

La xénophobie au quotidien

“Un bon français” / La Maison Tellier / Beauté pour tous (2014)

Dénonciation des crimes lesbophobes

“Noxolo” / Jeanne Cherhal / Histoire de J. (2014)

Pollution des océans

“Phtalates” / Raphaële Lannadère / L (2015)

Enjeux politiques du genre

“Les ministères” / Pierre Lapointe / PUNKT (2013)

Harcèlement des Roms et déplacements des populations

“Gens du voyage” / Daran / Le monde perdu (2014)

Licenciement et déclassement social

“Ressources humaines” / Benjamin Biolay / Palermo Hollywood (2016)

La déliquescence de la démocratie

“Démocramotie” / Christian Olivier / ON / OFF (2016)

Dénonciation des violences faites aux femmes

“Juste une femme” / Anne Sylvestre / Juste une femme (2013)

Le cynisme ambiant en France

“France” / Séverin / Ca ira tu verras (2016)

La montée des extrêmes-droites en France

“La France est internationale” / Kool Shen / Sur le fil du rasoir (2016)

 

SYLVAIN DEPEE

 

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