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CHRISTOPHE CRÉNEL

Christophe Crénel

Apparitions et évocations

Christophe Crénel a eu l’occasion d’explorer le monde de la musique en profondeur et par tous les angles ou presque. Sa sensibilité pluridisciplinaire, la recherche de plaisir, de poésie et de liberté à partager émanent de ses images qui révèlent leurs sujets tout en gardant une précieuse part de mystère. Une alchimie qui stimule l’imagination, à découvrir en grand format à la rentrée dans le cadre d’une exposition au Café de la Danse.

Ton parcours est très riche : musicien, journaliste pour la radio, la télévision et la presse, auteur, photographe… Comment s’est construit ce chemin dont le fil rouge est la musique ?

Adolescent, la musique et les livres m’ont sorti d’une forme d’isolement. Enregistrer sur K7 des émissions de radio, plaquer mes premiers accords de guitare ou parcourir des livres d’Edgar Allan Poe ou de Jules Verne, c’était pour moi le même frisson. Je pouvais vibrer, développer un monde 1000 fois plus exaltant que celui qui m’entourait. Vers l’âge de 14 ans, Antoine de Caunes a complété ma panoplie avec son humour et sa façon de partager la musique dans l’émission Chorus – diffusé à l’époque sur Antenne 2 -, Antoine me parlait ! (sourires). Ça a forgé en moi cette évidence d’un possible lien créatif entre musique et média. La photo complétait déjà ma panoplie. C’est marrant parce qu’Antoine de Caunes m’a confié il y a quelques années qu’il aurait rêvé être photographe, une activité qu’il a eu brièvement dans ses jeunes années. J’ai fait mes premières expériences à l’image avec mon Olympus OM 20, en jouant avec des filtres Cokin, en découpant des négatifs, en m’amusant avec un mini labo acheté en Yougoslavie que je montais dans la salle de bain chez mes parents à Colombes. Après avoir passé mon bac, j’ai suivi une formation sur les métiers de la radio et j’ai vite accroché avec l’écriture journalistique. Ensuite, mes aventures en radio, à la télévision en musique ou en photo, c’est une histoire de rencontres, l’important pour moi c’est de maintenir le gouvernail du bon côté : ne jamais trop m’éloigner de la vibration première, ma culture rock et me sentir rester libre de mes mouvements.

 

Peaches

Peaches

 

Tu as mis ton activité de musicien en suspens au profit de la photographie. Qu’est-ce qui t’a amené à prendre cette décision ? 

Quand j’étais ado, je voulais être les Beatles ! Faire de la musique, pour moi c’était tenter de retrouver des émotions aussi fortes que celles procurées pendant mes années collège à l’écoute des 2 compilations des Fab Four, les double-albums rouge et le bleu. Oui, ça plaçait la barre haut ! (rires). La composition, l’écriture et la production me parlaient, j’adore ce mélange d’instinct et de travail d’architecture. Après pas mal de galères, j’ai réussi à sortir en auto production Tous Superman, mon album pop avec Amok dont je suis très fier. J’ai goûté aussi à d’autres saveurs avec le duo electro pop Popelek puis Juge Fulton, groupe formé avec Arno Futur avec lequel j’ai sorti un album. Mais j’étais au bout d’un cycle, rincé par la difficulté de faire exister mes projets. J’ai stoppé net la musique en 2010. Besoin de faire un reset ! J’avais perdu non pas l’inspiration mais le plaisir de jouer. La photo a pris immédiatement la place vacante. J’ai racheté un boîtier, quelques objectifs et, très vite, j’ai retrouvé du plaisir à créer. Avec l’image, c’est souple, j’apprécie le fait d’être autonome et libre de faire vivre mes projets. J’ai d’abord fait des photos de concerts comme un affamé et pas mal de portraits aussi pour retrouver notamment la technique. Et lorsque l’horizon médiatique s’est obscurci pour moi à Radio France en 2015, j’ai fait le jump. J’ai enchaîné rapidement comme photographe sur plusieurs gros festivals – Printemps de Bourges, Fnac Live et Rock en Seine – et j’ai multiplié les photos de presse pour de jeunes artistes. Serge Beyer de Longueur d’Ondes est le premier à m’avoir donné aussi la chance de publier mes images. Thanx Serge !

 

Stupeflip (2016)

Stupeflip (2016)

 

Trouves-tu des points communs entre ces deux activités dans le ressenti qu’elles provoquent en toi comme vis-à-vis des autres ?

Pour moi la photo c’est le même kif que la musique. Dans les 2 cas, Il y a une partie live avec les shootings puis la post-production, une partie instinctive et ensuite une partie plus cérébrale. Et j’aime les 2 ! La perception du job de photographe est assez floue pour pas mal de gens. Ça semble difficile de comprendre à qui on a affaire lorsque l’on croise quelqu’un qui vous dit : je suis photographe. Est-ce que c’est un Instagramer obsédé par les filtres, un technicien de l’image, autrement dit un bon ouvrier spécialisé, un artisan qui a le sens du détail et un supplément d’âme ou bien un artiste qui a pensé avant tout à développer un univers graphique ? Il faudrait faire des QCM pour cerner le profil des photographes.

Quand éprouves-tu de la satisfaction d’une image ? Quels sont très critères de choix, celui ou ceux qui te font dire ce sera “celle-là et pas une autre” ?

Difficile de traduire ce sentiment de jubilation lorsque je vois une image qui me plaît. Ça me fait vibrer comme si j’étais amoureux (sourires). Quand je pars faire des photos, je me vois souvent comme un explorateur en short colonial – type Jack Black dans Jumanji – avec un filet à papillon. On pourrait faire aussi la comparaison avec le photographe animalier Vincent Munier. D’une certaine façon, je me mets à l’affût et je cherche à capturer des émotions. Ce qui me bouleverse, c’est évidemment quand, en regardant mes photos, je vois que j’ai réussi à saisir un moment d’abandon, un mouvement, un instant de vie. Je suis très sensible aussi à la part de mystère. Je peux aimer une image autant par ce qu’elle montre que par ce qu’elle ne montre pas. La force d’une photo est dans le pouvoir de réveiller l’imaginaire.

 

Moodoïd - 2014

Moodoïd – 2014

 

Tu n’as pas choisi, comme c’est le cas de certains photographes, de privilégier une scène en particulier. Ta galerie de personnages est très diverse, et tous les genres y sont représentés. Ce qui t’intéresse chez les artistes dont tu réalises le portrait est donc quelque chose qui va au-delà des courants musicaux. Quel est ce “je ne sais quoi” qui te donne envie de les shooter ?

Le choix n’est pas toujours personnel sur les modèles. Ce sont souvent des magazines ou des festivals qui m’envoient photographier des artistes. Et lors de la rencontre, il se passe quelque chose ou pas ! Quand La Chica sort de scène à Rock en Seine et qu’elle m’accorde en un instant cette pause hindouisante, c’est évidemment le bonheur. J’ai un faible forcément pour des artistes avec un univers visuel fort. C’est inspirant de se retrouver face à Philippe Katerine, Stupeflip, Brigitte Fontaine ou Die Antwoord parce qu’ils n’ont pas peur de l’image. Ces artistes jouent avec la leur comme de la pâte à modeler donc ils comprennent mes attentes. Mais les émotions surgissent parfois au moment où on ne les attend pas, y compris dans des moments de tension, avec des artistes qui vous accordent peu de temps. L’urgence donne parfois des résultats, je dis bien parfois (sourires). Pour les lives, c’est certain que je prépare mon boîtier quand je vois à l’affiche un artiste qui a des qualités de cinglé notoire parce que tout peut arriver sur scène et que j’aime cette liberté. Le photographe que je suis adore forcément quand le live porte bien son nom.

La Chica

La Chica (Rock en Seine) 2019

 

Bien qu’ils soient issus d’horizons si divers, une impression persiste, comme une signature, photo après photo : les artistes sont photographiés tels des apparitions, comme un des invocateurs ou des invoqués…

J’aime bien l’idée d’apparition ! Je n’y ai jamais vraiment pensé mais je cherche la lumière dans mes personnages ou la part d’ombre. En tous cas, le relief est important. Voilà pourquoi j’aime les contrastes forts comme sur la photo de Jeanne Added. On ne voit pas son visage et pourtant on la devine, forte, intense. C’est aussi cette recherche de lumière sur la photo de Tony Allen quand je lui demande de lever les yeux. J’ai juste le temps de faire 3 photos mais il y a une grâce immédiate alors que nous sommes simplement dans le bureau de sa production à Paris. Les photos de live aident naturellement à cette mise en scène par le jeu des lumières mais j’ai tendance à l’accentuer pour faire jaillir les personnages et les rendre icôniques. J’aime bien utiliser aussi les surimpressions. En musique, je ne suis pas un photographe réaliste, la recherche de poésie m’inspire plus.

 

Jeanne Added

Jeanne Added (Printemps de Bourges) 2015

 

On peut faire le portrait de quelqu’un avec une approche très brute, crue même – une forte tendance en photo depuis plusieurs années, accentuée encore par le numérique où l’on peut voir jusqu’aux pores de la peau parfois – ou, comme c’est le cas dans beaucoup de tes images, avec un aspect plus cinématographique, qui invite à une certaine rêverie, une énergie, une sensualité… Une photo crue, sans fard – brutale, quelque part – n’est pas plus “vraie” qu’une photo ou le photographe et l’artiste essaient, ensemble, de mettre en image un univers, une sensibilité, quelle qu’elle soit. Comment vois-tu les choses ?

La course aux pixels ne me parle pas. Cette obsession du détail ou de la netteté n’est pas pour moi. Ça m’arrange peut être ! Pour moi la quête essentielle d’un photographe c’est saisir l’âme. Quand je dis ça, c’est valable pour un musicien, une scène de rue ou un paysage. Et ça veut dire donner une interprétation totalement subjective de la réalité. Il y a des démarches hyperréalistes qui sont saisissantes mais ça ne me touche pas. Moi j’aime troubler les sens, nous éloigner de la lecture première du quotidien. Je n’y arrive pas tout le temps. C’est assez instinctif, que ce soit lors de la rencontre avec l’artiste, en live ou chez moi quand je retravaille les photos, j’ai parfois des flashs sur des œuvres picturales ou cinématographiques qui me poussent à amplifier ce sentiment. Quand je photographie Pablo de Moodoïd avec son visage pailletté, je pense au Petit Prince, je pense aussi aux dessins de Cocteau et je sais que je ne serai satisfait que si j’ai vraiment réussi à convoquer leur présence à l’image. Même chose pour l’envoûtante Brisa Roché qui embrasse le miroir. Elle est la sorcière de Blanche Neige mais aussi le trouble des photos de Man Ray et j’en livre sans y réfléchir mon interprétation.

 

Brisa Roché - 2017

Brisa Roché – 2017

 

Il est difficile de prévoir la suite des évènements pour les prochains mois, mais quels sont les projets que tu aimerais réaliser dans un avenir proche ?

Le premier projet c’est mon exposition au Café de la Danse reportée sans doute à la rentrée pour cause de virus mutant. C’est trop bon de faire sortir les photos de mon ordinateur, leur permettre d’exister en grand format. Les tirages sont terribles ! On traverse une période de dématérialisation avec le numérique et ça rend d’autant plus précieux le papier et l’objet. J’aimerais d’ailleurs qu’un livre puisse accompagner cette exposition qui s’appelle Big Bang – Musiciens du nouveau monde. Je me concentre sur la génération apparue avec l’ère du streaming, des artistes que j’ai suivi de près depuis 10 ans, de Christine and The Queens à Feu! Chatterton en passant par Fauve, Aloïse Sauvage, Clara Luciani, Last Train et bien d’autres…

 

FRANCE DE GRIESSEN

 

Expo Photo (Affiches)

Expo Photo (Affiches)

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