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CHLOÉ MONS

Punk’n’roots

Pour son dixième album, Chloé Mons a choisi de revisiter les thèmes musicaux de James Bond. Loin des explosions et des courses-poursuites, l’artiste installe un univers lent, jazzy et éthéré qui offre une lecture différente du mythe, tout en sensualité.

Ceux qui connaissent bien Chloé Mons auraient pu percevoir dans sa reprise de “Here comes the rain again” (Eurythmics) en duo avec Anna Mouglalis sur son précédent album Hôtel de l’univers (2018) les prémices d’une évolution musicale. Mais bien malin qui aurait pu deviner qu’elle soit mise au service d’un album consacré à l’espion le plus célèbre du monde : « J’ai grandi avec James Bond, c’était un peu une mythologie familiale. Toutes les familles ont leur petit rituel, pour nous c’était important, on a grandi avec ça, ça m’a bercé. » Comme pour beaucoup d’artistes, le confinement et le lot de frustrations qu’il va amener vont être le détonateur de ce projet en suspend : « Tout l’univers de ces films, on ne pouvait plus le vivre : prendre un avion, s’endormir à Singapour, aller dans les bars, s’habiller magnifiquement bien, draguer… et toutes ces choses font partie de notre culture occidentale. J’avais envie de faire vivre des chansons avec ce qui se passait, ce dépouillement. Je me suis mise au piano et je les ai reprises d’une façon très désossée comme s’il s’agissait d’un monde englouti. On était post-war, avec le souvenir de cette époque révolue. »

 

 

L’entourage

Comme pour Hôtel de l’univers pour lequel Chloé Mons avait travaillé entre autres avec Jean-Louis Murat, Chris Eckmann et Anna Mouglalis, l’artiste s’est une nouvelle fois entourée de musiciens devenus au fil du temps de fidèles amis : « Arnaud [Dieterlen] et Yann [Péchin] font partie de la famille, ils jouaient avec Alain. Yann est mon frère de musique. C’est essentiel d’être entourée de personnes que je connais, ce sont des connexions assez miraculeuses. C’est comme ça l’art, mais ne pas avoir à tout expliquer et être sur un mode de communication instinctif c’est rare et c’est un petit miracle quand on a ça avec quelqu’un. C’est compliqué d’imaginer faire de la musique autrement. Ça fait partie des belles rencontres de la vie. Parfois la musique devient le terreau de l’amitié, parfois c’est le contraire. » Une position qui peut paraître un peu paradoxale quand on connait la propension de Chloé à l’introspection et même parfois au repli, ce à quoi elle répond avec justesse : « Oui, je suis plutôt solitaire mais avec des fidèles. J’ai ma tribu qui est vitale, j’ai besoin des autres et ce même si la création se fait dans la solitude. Elle ne se fait pas dans les mondanités ni dans les pince-fesses. Il faut un pas de recul. »

 

La genèse de l’album 

Quand on lui demande ce qui la guide dans son projet, l’une des premières choses qui lui vient à l’esprit est de « garder les traces des choses. Que ça soit la musique, l’écriture, les films, j’essaie de capter une sensation d’un moment. » À partir de là, commence le travail de création, d’abord en solitaire puis avec l’ensemble des musiciens : « Je fais un squelette du squelette. Je pars du piano, je fais mes versions piano-voix très épurées, puis on répète avec Yann et Fred [Gastard], en toute liberté. Ils amènent leurs idées, mais en fait avec des cadors pareils, je n’ai pas grand-chose à dire, c’est super. Ça été évident entre nous trois. »

 

L’univers de James Bond

La douceur, la rondeur des cuivres, le tempo maitrisé et la chaleur de la voix de Chloé Mons contrastent avec la violence et l’immédiateté de l’action de James Bond, toujours sur le fil du rasoir. Faux-semblant ou contraste assumé ? « Je suis une femme d’action. Je fais, j’ai une vraie mélancolie qui me pousse à faire, à garder la trace des choses. J’ai ça en moi, l’action me sauve, me tire vers l’avant. Alors tout ceci peut paraître contradictoire mais est en fait complémentaire. Je suis très consciente qu’on a pas 400 ans devant nous, et ça depuis toujours. D’ailleurs je me lève très tôt, j’ai besoin de faire beaucoup de choses, et l’impression de ne pas faire assez, c’est terrible ! ». Même si quelque part elle aurait aimé reprendre l’intégralité des bandes originales, il a fallu faire des choix : « La sélection a été faite par rapport aux musiques, pas aux films. J’aurais pu tous les faire mais là je me suis dit : “non ce n’est pas possible, tu es une malade mentale… calme-toi…”  J’ai donc choisi celles que je préférais. »

 

Punk et country

Lorsque l’on regarde les interprètes des titres originaux repris dans le disque, on retrouve essentiellement des femmes : Shirley Bassey, Nancy Sinatra, Rita Coolidge, Gladys Knight ou encore Shirley Manson de Garbage. Cela témoigne de l’amour que Chloé porte à la musique des années 60/70 sans pour autant renier son attirance pour un rock plus dur, quitte à ce qu’il flirte avec le punk : « C’est le grand écart et en même temps c’est la même chose. Le punk ou la country ont une base commune qui est de se raconter quoiqu’il arrive. La country profonde, c’est : on prend une planche à laver et on chante ce que l’on vit. C’est une pulsion que l’on ne peut pas taire. Le punk, je crois que c’est la même chose : on prend un instrument dont on ne sait pas jouer, on s’en fout, l’important c’est ce qu’on a dire. Il y a quelque chose de la pulsion dans les deux. Je suis un peu pareille, j’aime prendre un instrument dont je ne joue pas et l’utiliser pour un album. J’adore découvrir tout un monde et apprendre avec mon instinct et mon envie, inventer des accords qui n’existent pas. Et c’est de là qu’Alectrona et Hôtel de l’univers ont été faits. La pulsion de la country ou du punk sont la naissance du geste artistique, cette nécessité de faire exister quelque chose à tout prix, quel que soit ton savoir. Faire est tout ce qui compte et ça, ça me bouleverse. »

 

Les femmes et James Bond

Impossible de parler de James Bond sans parler du mythe de la James Bond girl, qui peut sembler pour beaucoup complètement désuet : « Désuet ? Non. Les James Bond girls sont puissantes, armées. James Bond est un homme à femmes, mais les James Bond girls sont des femmes à hommes, elles se tapent l’espion parce qu’elles ont envie de se taper l’espion ! Sérieusement, c’est important ce qui se passe avec #metoo et la condition féminine en général, on a beaucoup de travail c’est sûr. Mais si on revient à James Bond, on est dans une société qui diabolise la sexualité et le désir et ça, ça m’emmerde ! J’aime bien qu’un homme me désire, je ne me sens pas agressée pour autant. Il y a beaucoup de déviances, on parle à tort et à travers. Le féminisme doit se faire avec les hommes, pas contre les hommes. » Comme tout le monde, et peut-être plus que tout le monde, Chloé a pris du recul et ose dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas : « On ne peut rien dire, tout est mal pris, à l’envers. Les gens parlent trop, on est à l’époque des tribunaux populaires. On a tous envie d’être aimés mais c’est pas le moteur. On est dans une période tout le monde veut plaire, on est dans la société des likes, alors que dans les années 60 il fallait être détesté. Pour moi, l’art ne se passe pas là. Si ça plait c’est chouette, ça voyage… mais si ça ne plait pas c’est comme ça, c’est la vie d’artiste. Si je n’acceptais pas de ne pas plaire à tout le monde, je ferais autre chose. Je ne vais pas me trahir pour plaire davantage… » À bon entendeur, salut !

 

 Chloé Mons, son entrevue est sur Longueur d'OndesCHLOÉ MONS

Globe trotter (Ode to James Bond)

Il n’aura certainement pas été facile de choisir parmi les bandes originales pour n’en sélectionner à la fin que 10, toutes créées avant 1999, « un hasard » comme le dit Chloé Mons, mais néanmoins représentatif de son attirance pour la première période avec Sean Connery et Roger Moore. L’artiste a choisi de prendre le contre-pied de l’idée que l’on se fait de l’univers de l’espion, où tout se joue à 200 km/heure. Ici la musique prend la mesure du temps (“Tomorrow never dies”). Le piano soutenu par les cuivres de Frédéric Gastard installe dès le premier titre (“You only live twice”) un climat à la fois apaisant mais en tout point fidèle à l’univers de 007. Et comme dans les films, la séduction opère.

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Entrevue : Xavier-Antoine MARTIN

Photo : Delphine GHOSAROSSIAN

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