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ANIMAL TRISTE

Animal Triste + (Aña)

La Maroquinerie, Paris, le 25 novembre 2021

Animal Triste @ La Maroquinerie 25/11/21 © Marylène Eytier

Découvrir Animal Triste sur scène a tout d’une expérience particulière, envoûtante et immersive, tant le groupe vit de manière intense sa propre musique et embarque littéralement le public avec lui dans la transe libératrice de son rock sombre et tempétueux. Ce soir de novembre, le leitmotiv sera d’ailleurs prononcé plusieurs fois par Yannick Marais, tête de proue d’une formation aux allures de super groupe sur le papier, mais entité à part entière : “ Nous sommes là pour rallumer la flamme”. Rallumer la flamme d’un rock qui les a tant inspirés, qui les marque encore avec tant de force aujourd’hui, et qui les a certainement poussés à devenir musiciens.

Animal Triste @ La Maroquinerie 25/11/21 © Marylène Eytier

Mais les Normands ont eu la bonne idée de ramener dans leurs valises un duo étonnant, celui du producteur David Fontaine, qui a travaillé le son puissant de leur premier album, mais aussi du second “Night of The Living Dead”, prévu pour le début d’année prochaine. La complicité scénique entre David Fontaine et Amandine Rebière au sein d’Aña ne date pas d’hier. Les deux musiciens investissent ainsi la scène avec un plaisir non dissimulé et une vraie décontraction, pas vraiment impressionnés par le moment. Le minimalisme de leur musique provoque un état suspendu, comme une sorte de calme avant la tempête à venir. L’instrumentation est réduite en grande partie à une basse et une batterie, qu’ils échangent d’ailleurs après quelques morceaux. C’est d’ailleurs dans cette configuration, elle à la batterie et au chant, lui à la basse et au chant, que l’émotion devient la plus captivante, emportée par la voie aérienne d’Amandine et son jeu de batterie organique. Les morceaux sont puissants et saisissants. Ils sont la résultante d’une belle alchimie, quelque part entre la pop élégante des new-yorkais de Blonde Redhead et le punk sec et vibrant de The Evens, le groupe de Ian McKaye et Amy Farina. Le public est à l’écoute, curieux, la connexion prend. Mais la messe n’a pas vraiment commencé…

Aña @ La Maroquinerie © Marylène Eytier

 

Ils sont attendus, espérés, désirés, ils arrivent enfin. Mathieu, Fabien, Darko, Sébastien, Cédric et Yannick se mettent en place. Comme un symbole, le concert s’ouvre sur le morceau “Machine Love”, extrait du prochain album à paraître. Dès les premières notes, la bande met très haut le curseur de la magnitude rock qui est la leur, un niveau qu’elle ne relâchera d’ailleurs à aucun moment. Elle n’est pas là pour s’économiser, elle va tout donner. Il y a d’ailleurs un contraste entre le côté relâché, décontracté, presque déconneur que les membres d’Animal Triste ont affiché lors de l’interview qu’ils ont eu la gentillesse d’accorder à la rédaction de Longueur d’Ondes et la précision, l’exigence, l’implication dont ils font preuve sous les lumières de La Maroquinerie. Ils sont quelque part en mission. Ils sont prêts. Ils le savent, sûr de leur force et de leurs envies. Même si de fait, l’attention se focalise sur Yannick le chanteur, tant il développe un magnétisme stimulant, l’énergie est celle d’une meute qui avance ensemble et développe un son compact et puissant.

Yannick Marais - Animal Triste @ La Maroquinerie 25/11/21 © Marylène Eytier

Derrière la console, le travail du mix est impeccable, il est au service d’une grande complémentarité et d’une belle profondeur de champ. A ce titre, si trois guitaristes pourraient sembler être la preuve d’une certaine démesure et d’un côté très démonstratif, il n’en est rien. Que ce soit Darko, Sébastien ou Fabien, chacun apporte son feeling, ses influences, qui donnent tant de nuances et d’épaisseur aux envolées héroïques d’Animal Triste. Visuellement, difficile de ne pas se concentrer sur Darko, qui jubile derrière sa guitare Gibson, la fameuse Flying V, emblème de l’histoire du rock, de Hendrix à James Hetfield en passant par Keith Richards. Dans ses mains, elle apparaît comme une brindille, qu’il pointe régulièrement vers le ciel, comme pour appeler la foudre à la manière d’un activiste de la scène punk hardcore new-yorkaise.

Animal Triste @ La Maroquinerie 25/11/21 © Marylène Eytier

Derrière le groupe, trône Mathieu Pigné. De son poste, le batteur agit comme une tour de contrôle, il sent les envies, les interactions, il régule la température et appuie le moment venu. Avec Cédric Kerbache à la basse (guitariste et batteur de formation, membre du groupe Dallas), ils mettent en œuvre une mécanique rythmique particulièrement imposante, véritable socle de la liberté et du lâcher-prise des autres membres du groupe. Au-delà de cet aspect métrique, le jeu de tom du batteur installe une teinte tribale, un côté percussif qui entraîne littéralement les corps et trouble les esprits. A tel point, que le concert prend, par moments, des allures de catharsis.

Mathieu Pigné - Animal Triste @ La Maroquinerie 25/11/21 © Marylène Eytier

Sur les premiers instants de la version vicieuse de “Vapoline”, Yannick se tient la tête entre les deux mains. Le morceau progresse lentement mais sûrement vers un nouveau climax émotionnel, le frontman donne l’impression de vouloir faire sortir les démons de son être intérieur. Sans hasard, les membres d’Animal Triste assument une forme de vénération pour le ténébreux poète du rock, Nick Cave. Le rock touche certainement à quelque chose de sacré dans leur manière de le vivre, en particulier en live. Loin de la posture, et sans non plus théâtraliser à outrance cette profession de foi, Yannick prononce au cœur du concert, cette allusion mystérieuse : “Vous connaissez l’expression… On fait du mal, aux gens qu’on aime”.

Yannick Marais - Animal Triste @ La Maroquinerie 25/11/21 © Marylène Eytier

Au-delà du spectacle impressionnant qui s’exécute sur la scène de La Maroquinerie, le chanteur semble vivre le moment comme une rédemption, une libération, une catharsis. En ce sens, les comparaisons avec le chanteur de The National, Matt Berninger, ne sont pas usurpées, ils partagent tous les deux, cette fragilité, cette capacité à se mettre à nu, pour vivre ce rapport ambigu au devant de la scène qui expose autant qu’il transcende. D’une certaine manière, Yannick Marais évoque aussi le côté prêcheur et bestial du singulier David Eugene Edwards, leader emblématique de feu 16 Horsepower, avec qui la musique d’Animal Triste a beaucoup de points communs. Plusieurs fois, il fait d’ailleurs signe au public de venir à lui, de lui transmettre cette énergie vitale, de s’abandonner et de pleinement communier avec eux dans cette expérience rock vibrante et sensible, que favorisent la taille et la proximité de la Maroquinerie.

Animal Triste @ La Maroquinerie 25/11/21 © Marylène Eytier

Le show ne souffre d’aucun temps mort. L’alternance entre nouveaux et anciens morceaux se fait de manière très naturelle, en particulier pour la version de “Tell Me How Bad I Am”, sur laquelle plane l’ombre de Peter Hayes, figure des légendaires Black Rebel Motorcycle Club, et qui a posé sa guitare sur la version studio. Mais les sommets du concert d’Animal Triste restent évidemment la version épique de “Shake Shake Shake” et le final rageur et sauvage, en forme d’ apothéose pour “Darkette”, que le public attend comme un graal.

Animal Triste @ La Maroquinerie 25/11/21 © Marylène Eytier

Mission remplie: avec ce concert magistral d’un bout à l’autre, Animal Triste a réveillé la flamme du rock, dans sa version la plus incandescente et sensible, territoire flamboyant et mystique où se rencontrent et se mélangent les musiques de The Cure, de Joy Division, de The Doors, du Gun Club… Au coeur du renouveau actuel rock en France, marqué notamment par l’émergence de jeunes groupes prometteurs de la scène rouennaise (You said Strange, Servo, We Hate You Please Die….), les Normands ont rappelé qu’en parallèle de cette jeune garde montante, qu’il faudra compter avec eux, tant à l’image de leur performance XXL, Animal Triste est assurément l’un des groupes les plus excitants du moment, dans une veine rock intemporelle et terriblement sincère.

>> Site de Animal Triste

>> Site de Aña

Laurent THORE

Photos : Marylène EYTIER

 

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