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MERIL WUBSLIN

Changer de logique

Meril Wubslin @ Jeremie Conne

Il y a des disques qui s’ancrent comme peu d’autres dans l’énergie mentale de leur époque. Enregistré à l’été 2019 et paru en ce début d’année 2021, le troisième opus de trio helvète Meril Wubslin s’élève contre un monde qui n’a de cesse d’engouffrer l’être humain sous des vicissitudes non consenties. Une œuvre brute et rustique, chantée, avec des textes exclusivement en français, « laissés à la libre interprétation de chacun » comme l’indique de manière lapidaire le communiqué de presse. Il n’en fallait pas moins pour les prendre au mot.

Quand la terre ou du moins le monde qu’elle abrite ne tourne plus rond en raison d’un petit mammifère qui n’a eu cesse de se démultiplier, à tord ou à raison ; déforestation grignotante pour suffire au plaisir d’une putain de pâte à tartiner mais encore, on ne saurait alors détourner la tête face à une réalité engouffrant l’espoir d’un avenir pérenne. « Là-bas y a plus rien pour le sourire », une phrase répétée inlassablement dès le second titre du disque (“À part ça”) et qui sonne le déclin d’une espèce, de sa condition, du sens qui unit chacune de ses parties. Retrouver l’essentiel et cette étincelle dans l’œil de l’autre, celle qui octroie l’espoir d’une vie autrement commune que “pansée”  sous les même auspices du grand capital, apparait alors comme une urgence vitale. De notre sympathie, empathie, les uns vis-à-vis des autres il dépend, avant que ce qui nous reste d’humanité ne soit plus qu’un vestige, l’artefact d’une civilisation portée disparue.

 

Meril Wubslin @ Belluard Margaux Kolly

Ce monde est malade, gagné par un cancer qui n’a de cesse de créer des métastases, croyant que seule la résilience suffira à sa rémission. Une mécanique globalisante, étouffante, enfin, déshumanisante, car ici-bas, tous se meurent, tous se terrent, par lassitude ou par peur. Et si on traçait alors notre route, là-autour, dans ces alentours méconnus, tels des vagabonds allant à la rencontre de l’inconnu et de l’autre, n’ayant pour seule limite que cette ligne d’horizon, suspendue là-bas dans le lointain ? Une montagne à gravir ? Non un disque à écouter, simplement, en prenant le temps, une conduite certes impérieuse mais ô combien salutaire dans une société azimutée où le gain de temps n’a semble-t-il jamais été aussi important.

« Oublie le prodige…pour autant
réveille l’âme en toi… pour autant
»

“Là autour”

 

 

C’est aussi ça la musique, laisser parler son âme et entendre ses demandes, afin de recevoir la multitude de merveilles qu’offre cette vie éphémère. Un tout autre confort est possible, si c’est cela qui compte in fine, et diable, il n’a rien de matériel, rien de technologique. Si cette ère doit être celle du service apporté sur un plateau d’argent, ton burger devant un match de foot servi par un sous-fifre pédalant sempiternellement chaque jour dans un contre la montre effréné, Spotify qui te conseille plus telle ambiance musicale car il sait reconnaitre tes humeurs, sachez que nous n’en retirerons  aucune liberté, seulement un avilissement insidieux, grignotant notre fruit intérieur comme le fait le vers avec la pomme. Nous  pouvons baisser la tête, continuer à être enchainés à un smartphone pour écouter de la musique sur ces abrutissantes plates-formes de streaming. Vraiment, honte à nous. Là encore un autre confort est possible, loin, très loin de ces marchands esclavagistes.

Qui est le maître ? Qui est l’esclave ? Laisse parler ou choisis la traversée, de l’autre côté du miroir, là ou les masques tombent, afin que surgisse cet incongru sourire, émotion délicieusement humaine, comme si nous ne nous étions jamais connus mais simplement reconnus. Alors quoi, qu’est-ce qu’on attend pour foutre le camp ? Un interrogation qui touche de plus en plus d’individus dans cette société où tout tend au contrôle… Ah oui la menace terroriste en lame de fond (les fameuses futures cartes d’identité, ce fâcheux QR code omniprésent…). Arrêtons de flâner dans nos têtes,

« Tout a brûlé
tout a brûlé, là
j’ai pu rêver
j’ai pu rêver, quoi
et m’agiter
et m’agiter, là
passer, par là
flâner là-bas
»

“Flâner”

 

Un éveil de la conscience qui passe dès lors par l’épure face à la sophistication, selon un choix acoustique à la dimension organique qui ordonne un certain retour aux sources, comme l’indique la formation suisse. « On s’est dit qu’on voulait essayer de mettre de côté nos amplis et explorer une autre façon de faire du son avec nos instruments. Juste quelques micros devant nos vieilles guitares débranchées, quelques tambours et percussions, nos voix toutes nues, et voilà… On a découvert des sons tellement plus directs, émouvant et crus par ce biais. » En résulte une musicalité qui saisit à bras le corps l’oreille, abrupte mais directe, faisant du principe de répétition un sortilège engageant alors la possession de son hôte.

À la croisée des chemins du blues, de la musique folklorique et tribale, le groupe de Lausanne opère selon des boucles sonores propices à une certaine stase, renforçant de fait la prise mentale de l’auditeur dans un espace à la circularité certaine. Rythmes lancinants, vocables psalmodiés selon une aspiration mélodique propice à marquer le cortex au fer rouge, voici la recette de cette potion musicale qui agit de prime abord sur l’inconscient. Le tracklisting n’est pas non plus en reste, ce dernier ouvrant le chemin d’une longue quête avec soi-même, sur cette terre où l’humain a perdu le nord. Si Meril Wubslin est un nom qui ne signifie rien en particulier, on espérera seulement que ce disque puisse susciter un quelconque rebond dans un espace mental où le désir de consommer et de posséder n’a de cesse de flatter la concupiscence de la nature humaine. Les chiens aboient, la caravane passe, il est grand temps de faire passer un chameau par le chas d’une aiguille pour changer de logique systémique et ainsi sortir de la gueule d’un loup qui n’a eu cesse de se gaver dans une bergerie acquise à sa faim.

« Laissez parler
Fatiguez les
Brisez les
Oubliez
Broyez
Arrachez les
»

“Laisser parler”

Julien NAIT-BOUDA

Alors quoi – Les Disques Bongo Joe

Site de Meril Wubslin

 

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