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KARIMOUCHE

Karimouche 7 @ Flo Sortelle

Savant mélange de couleurs

Six ans après Action, Karimouche est de retour avec un troisième album intitulé Folies berbères. À son habitude, l’artiste profite de ce nouveau terrain de jeu pour casser les codes et mélanger rythmes et mots avec aisance et liberté. Rencontre.

 

Les tambouilles, ça fait longtemps que Karimouche en prépare. Telle une cheffe étoilée, l’artiste s’amuse en effet depuis Emballage d’origine, son premier album en 2009, à concocter de savoureux titres en testant des mélanges musicaux parfois osés et inédits. Dans Folies berbères, les mélodies traversent les barrières et les frontières en alliant trip-hop, chanson française, électro et sons orientaux. « J’ai tendance à avoir beaucoup d’envies et à ne jamais me mettre de frontières ni de limites. Pour le titre “Petit tourbillon” par exemple, on a bossé sur des instrus reggae avec un beatmaker. Le résultat était un peu trop lancinant alors on a viré plein de choses et ça a donné la chanson d’aujourd’hui. C’est le même procédé pour “Polluée” pour lequel on a écouté énormément d’instrus afro-trap pour arriver à ce morceau final ». Elle ajoute « On a fait beaucoup de recherches, on a écouté beaucoup de choses, on a fouillé dans des banques avec des sons organiques qu’on transformait après. J’avais vraiment envie de donner un côté chaleureux à l’album et d’être enveloppée par le son que je produisais. Je n’ai pas amené ça toute seule, je me fais accompagner par des gens dont j’adore le travail. On mélange nos travaux, et hop, ça donne un petit métisse ! (Rires) ».

De l’afro-trap, du reggae, mais aussi des chansons moins dansantes, comme une invitation à prêter plus d’attention aux paroles. Il serait en effet regrettable de passer à côté des textes, dans lesquels la chanteuse aborde, toujours aussi frontalement, les discriminations systémiques. S’appuyant sur sa propre histoire, Karimouche met en exergue les minorités invisibilisées par nos sociétés occidentales, à commencer par les femmes et les immigrés. « Mon expérience de comédienne fait que j’ai des textes assez denses et assez lourds. Dans cet album, il y a moins d’humour, plus d’intime. J’avais envie de faire quelque chose de très personnel pour partager mon parcours et ma vie, notamment à mon fils. Ça me tenait à cœur. L’humour est un outil formidable, il permet de faire passer des messages et de désamorcer des situations. C’est toujours là, mais je me cache moins derrière ce voile ». 

 

 

Karimouche rassemble, et transmet l’énergie et la force de se lever. « “Néon”, je la voyais un peu comme un passage de XMen. Comme si tous les enfants d’immigrés qui ont un problème de légitimité avaient muté et se rassemblaient sur un parking désaffecté pour utiliser leurs super-pouvoirs. ». Dans “Apocalypse now” aussi « L’idée c’est, OK on est dans la merde, mais on continue d’avancer ! Je ne vois même pas ça comme de l’humour, ça retranscrit plutôt l’histoire de ma mère ou de ma grand-mère qui, même si elles ont vécu des choses très difficiles, continuent d’avoir le sourire. Ce n’est pas parce qu’il se passe des choses graves que ça m’empêche de danser. J’aime amener de la lumière là où c’est sombre. ». L’artiste choisit d’ailleurs de cacher des messages jusqu’à la jaquette de son disque « la pochette a été inspirée par Kahina qui est une reine berbère. Une capitaine de guerre qui a dirigé toute une armée d’hommes. Elle m’a inspirée pour son féminisme et pour son courage ».

 

 

Des symboles forts et des textes viscéraux, rendus encore plus percutants par l’interprétation impeccable de l’artiste. Comédienne, actrice, chanteuse, Karimouche multiplie en effet les arts du jeu. « Le théâtre aide mais n’est pas indispensable. Barbara ou Piaf étaient par exemple de très bonnes interprètes, elles pouvaient te faire pleurer juste en chantant une chanson d’amour ! En plus, toutes les chansons ne sont pas faites pour être interprétées, ça dépend vraiment de ton écriture. Avec “Djadja” d’Aya Nakamura, par exemple, tu as moins besoin d’interprétation. Cela dit j’adore ! Ce qui importe ce n’est pas spécialement d’avoir fait du théâtre, c’est d’être 100% vrai dans ce que tu racontes. ». L’Angoumoisine reprécise également comment elle différencie musique et cinéma : « Une chanson c’est juste trois minutes. C’est totalement différent d’un film qui dure 1h30 et dans lequel tu dois être totalement absorbée par un nouveau personnage. Le cinéma est beaucoup moins immédiat. La musique c’est vraiment quelque chose que tu vis. »

Il n’y a d’ailleurs pas que ses expériences scéniques qui ont nourri Folies berbères. Le stylisme aussi : « La couture m’aide vachement pour mettre des mots sur la musique. Comme je suis autodidacte je n’ai pas toujours les termes appropriés. Alors, par exemple, quand le switch entre le couplet et le refrain se voit trop, je dis qu’il faut refaire la couture ! (Rires) Ça m’aide aussi évidemment dans la manière de penser toute la partie visuelle et esthétique en fait. » 

 

 

Folies berbères, c’est donc une délicieuse recette, dans laquelle Karimouche aurait rassemblé tout ce qui la définit : ses origines, ses combats, ses inspirations musicales et ses multiples pratiques artistiques. Une formule unique, faisant de cet album un projet on ne peut plus personnel : « Je trouve que c’est mon album le plus intime, dans le texte comme dans la musique, je reviens vraiment à mes premiers amours. Action était plus élaboré musicalement parlant, on peut dire qu’il était plus savant. J’ai eu envie de retourner dans un truc plus moderne et plus minimaliste. J’avais envie d’assumer ma double culture et de mettre beaucoup plus de sons orientaux. »

Il ne nous reste plus qu’à déguster sans modération la cuisine colorée de Karimouche, surtout qu’elle avoue « j’ai construit cet album avec l’idée que c’était peut-être le dernier ». 

 

 

>> Le site de Karimouche

MATHILDE VOHY

Photos : Florence Sortelle

Folies berbères – At(h)ome

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