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LAETITIA SHÉRIFF

Laetitia Shériff

Les choses en face

Six ans séparent le dernier album studio de Laetitia Shériff, Pandemonium, solace and stars, paru en 2014, de son nouveau disque, Stillness, sorti ces jours-ci. Une œuvre rock dans l’âme et le fond, sensible et incisive dans la forme, dans lequel la musicienne rennaise évoque notamment le besoin de se retrouver et celui de réveiller les consciences. Entretien avec celle qui veut prendre le temps de « regarder les choses en face ».

Pas facile de sortir un disque en pleine période de crise sanitaire. Laetitia Shériff en sait quelque chose : elle vient tout juste de sortir son quatrième album Stillness, dont le titre évoque bien – dans sa traduction française – le calme, l’immobilité ou le silence forcés d’une société en plein confinement dû à l’épidémie de la Covid-19. « Le premier confinement n’a pas du tout été épanouissant pour moi, j’étais assez groggy pendant plusieurs semaines. Là, ça va mieux ! », confie la musicienne dont la tournée de concerts prévue cet automne est finalement reportée.

Un arrêt sur images

Les grandes lignes de son nouvel album, Laetitia a été les chercher en se positionnant en observatrice du monde qui l’entoure. Elle explique ainsi avoir pris « un recul nécessaire sur les choses » pour concevoir ses dix nouveaux titres : « Quand j’ai commencé l’écriture en janvier 2019, au départ cela ne ressemblait pas à des textes de chansons, c’était davantage de la prise de notes, je collectais beaucoup d’informations, de ressentis, de témoignages, de grands discours comme ceux de Martin Luther King. J’avais cette envie de faire un arrêt sur images à un moment qui était nécessaire pour revoir les centres d’attention de ma vie, surtout quand tu sens qu’aujourd’hui, tout va trop vite » analyse-t-elle. « J’ai donc décidé de regarder les choses en face, c’est-à-dire d’aller vérifier des informations sur des sujets un peu sensibles, autour des migrants par exemple, de faire un petit tour sur la géopolitique, etc., pour ne pas être dans cette forme de zapping continu dans lequel on vit tous. Je me suis dit aussi que vérifier l’info faisait aussi partie de mon boulot pour pouvoir ensuite transmettre, avoir des conversations avec les autres. » Une démarche de connaissance et de réflexion que justifie la Rennaise par son impression de voir « pas mal de choses qui se répètent dans le temps et dont on ne tire malheureusement aucune leçon aujourd’hui. En tant que musicienne pouvant sortir des albums, je me dis que je peux peut-être mettre un petit caillou dans ta chaussure pour t’empêcher d’avancer et te permettre d’abord de regarder ce qu’il y a autour de toi. »

 

 

Un cri contre la passivité

Entre urgence et éveil, colère et apaisement, l’album évoque l’appel à l’union, l’insurrection des consciences, mais aussi la révolte, le combat, ou lorgne vers des thématiques sur la chute, l’élévation, ou la quête de nouvelle innocence. « Stillness n’est pas un album dark, on ne peut pas être dans un fatalisme », précise toutefois la songwriteuse qui n’hésite pas à citer en modèle et en exemple quelques figures du militantisme, comme l’Irakienne Nadia Murad, dont elle admire l’implication pour défendre les droits de la personne. « Elle a défendu son peuple décimé en témoignant sur les choses très dures qu’elle a vécues pendant son emprisonnement en tant qu’esclave sexuelle.» Reste que si Laetitia Sheriff dresse son propre portrait et sa vision du monde dans ce disque, elle l’incline comme un miroir pouvant rester ouvert sur (et pour) autrui : « Tous les thèmes que j’entreprends d’aborder, sont d’abord préventif pour moi-même. On a tous une histoire personnelle dont on pense qu’elle est unique mais elle peut aussi être universelle. Si tu te livres sur tes craintes, sur ce qui te tombes dessus à un moment, ça peut t’alléger. En tout cas, cela reste toujours autour de quelque chose d’hyper humain, de lié à mon rapport au monde, aux autres ; l’inspiration vient toujours de dehors. »

Stillness

Énergie spontanée

Pour la musique, Stillness est le fruit d’une nouvelle collaboration étroite entre Laetitia et ses musiciens habituels, Nicolas Courret (Eiffel, Bed, Headphone) à la batterie et son compagnon Thomas Poli (Montgomery, Dominique A) aux guitares et synthés, qui l’accompagnent tous deux sur scène. « Je me suis d’abord accordée des instants toute seule pour commencer à composer quelques petits bouts de musique à la guitare et je leur ai présenté tout ça ; on a ensuite répété pour structurer les choses, puis on a été en studio faire des prises live. Thomas s’est installé un petit studio dans un hangar attenant au Balloon Farm, mythique studio rennais. Tout a été fait de manière très spontané, dans une bonne énergie, ce qui peut se ressentir sur la couleur de l’album. » Ces derniers temps elle s’est nourri des musiques de Oh Sees, Sunn o))), Low, mais aussi de l’organiste suédoise Anna Von Hausswolff et quelques classiques comme les Beatles ou Nick Cave.

Electricité rock, effluves punk, sensibilité pop, Stillness regorge ainsi de reliefs, empruntant aux univers de Shannon Wright, Sonic Youth, Deus ou Brodcast. Sur le disque, si les guitares, rêches ou plus abrasives, sont prégnantes, comme sur “Sign of shirking” ou “Stupid march”, un joli travail d’ arrangements autour des voix, des cordes ou des cuivres (comme sur le planant “Go to big sur” ou “Ashamed”), amènent aussi un souffle élégant à l’œuvre : « Aprés avoir enregistré en trio, on a eu un laps de temps pour se projeter sur les arrangements ; j’ai demandé à Thomas de travailler sur ceux de “People rise up” notamment. Sur ce morceau, qui parle de gens qui se réunissent, il y a un coté oriental qui me fait penser aux révolutions du printemps arabe mises en place en 2011-2012. Ce côté arabisant m’a complètement bouleversé ! Travailler des arrangements de cuivres, c’est aussi quelque chose que je n’avais jamais fait, et Clément Lemennicier, qui joue des cuivres sur le disque, a un talent incroyable et une justesse folle. »

Une passion intacte

Depuis son premier album Codification, paru en 2004, et ses nombreuses collaborations pour divers projets de danse, théâtre, musique, etc., elle porte aujourd’hui un regard apaisé sur son parcours de musicienne : « Honnêtement, je suis très heureuse de faire ce métier, je ne me prends pas trop la tête sur ce que je dois faire ou ce que je vais devenir. Mais je me défends des choses qui me plaisent un peu moins, comme être dans une case. Certaines choses me gênent, comme ce côté très superficiel où l’on essaye de lisser un peu tout et tout le temps. Quand on me demande de justifier pourquoi je chante en anglais par exemple, ou qu’est ce que cela me fait d’être une femme musicienne etc., c’est un peu fatiguant de prendre en face ce genre de retour en arrière. Je me demande pourquoi on en est encore là…». Mais l’optimisme aura le dernier mot : « Ce que je constate, surtout depuis que ce virus nous empêche d’être serein et nous prend beaucoup d’énergie à être dans la réflexion ou le questionnement par rapport à soi et aux autres, c’est que cela rend ce que je fais – cette passion – toujours intact. »

 

>> Le site de Laetitia Shériff

ÉMELINE MARCEAU

Photos : Lise Gaudaire

Stillness – Yotanka Records

 

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