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SAMUEL DEGASNE

Samuel Degasne

C’est un retour aux origines.

LES CONFINÉS DE LA MUSIQUE. ÉPISODE 20

Pendant cette période pour le moins troublée et troublante, Longueur d’Ondes fait le tour des artistes mais aussi professionnels des musiques amplifiées de l’espace francophone (cœur du magazine) afin de parler de la situation et de ses conséquences… Aujourd’hui : Samuel Degasne, journaliste-multi-carte…

Journaliste depuis plus de 15 ans et auteur d’une conférence TEDx en 2019 sur l’importance des récits incarnés dans les médias, Samuel Degasne a travaillé avec Rue89, M6, LesInrocks.com, Rock en Seine et co-écrit plusieurs livres sur la musique. Aujourd’hui, il collabore avec les magazines Rolling Stone et Longueur d’Ondes, rédige des biographies artistes et anime des conférences (Vieilles Charrues, Hibernarock, Agi-Son…). Une partie de son temps est consacrée à sa chaîne YouTube – Une chanson, l’addition ! qui décrypte chaque semaine les standards du rock/metal et fête ses 3 ans mi-mai.

 

Comment travailles-tu dans cette période ?

Je suis confiné au vert depuis mon ancienne chambre d’ado… Ce qui techniquement n’est pas un souci, ayant régulièrement l’habitude de recréer mon environnement de travail en festivals ou dans des bars. Avec le temps (et l’entraînement), on apprend à se concentrer rapidement en adoptant des rituels ou des repaires communs : un casque avec une musique spécifique, un paquet de chewing-gums, un bloc-notes, l’éternel même crayon…

Cela a entrainé quoi précisément dans ton travail ?

Avril-juillet est la période la plus dense de mes activités (70% du volume annuel). Le confinement a fait annuler plusieurs de mes reportages à l’étranger, l’animation de conférences et surtout de gros projets vidéo avec d’important festivals. Quant aux interviews ou tournages avec des invités, ils ont été décalés jusqu’à une date inconnue…

Le souci, c’est que certains de ces projets étaient circonstanciels à 2020 et, avec la perte de revenus du secteur, il n’est pas sûr que les autres soient renouvelés à la saison suivante.

Comment travailles-tu dans cette période avec ton équipe ?

Comme nous l’avons toujours fait, car les rédactions physiques sont malheureusement de plus en plus rares aujourd’hui… Une connexion web, un coup de fil et hop ! Reste que si le magazine ne peut pas être distribué et/ou que l’événement ne peut être organisé, cette flexibilité – dont le but était déjà de faire face à une économie déjà précaire – n’est d’aucune utilité… Ce ne sont donc pas les idées ou la production qui manquent, mais les supports pour les accueillir.

Tu peux avancer sur quoi ?

Je peux rattraper des piges en retard, laissées à l’abandon par manque de temps. Profitant d’un plus grand temps d’écriture, j’en ai surtout profité pour lancer un nouveau format sur ma chaîne YouTube…

Je me suis toujours désolé que la presse ne cherche plus à produire de l’inédit, cannibalisant les recettes de ses propres concurrents parce que « elles marchent » [ce qui, pour moi, est une des raisons de la crise de celle-ci]. Or, voyant que la majorité avait recours aux mêmes streamings d’artistes ou publication de playlists de confinement, j’ai préféré adopter un angle dont je m’étonnais qu’il ne soit pas plus exploité : l’histoire de ces groupes qui se sont confinés volontairement pour écrire/enregistrer/produire un album qui – hors de toute influence extérieure – a parfois changé le visage de la musique.

Ce fut le cas avec OK Computer de Radiohead, Back In Black d’AC/C, Blood Sugar Sex Magik des Red Hot Chili Peppers, Fantaisie militaire d’Alain Bashung, les derniers Johnny Cash, ect. Et étant moi-même confiné et sans équipe technique, quoi de mieux pour joindre le fond à la forme ?

Tes contacts avec les autres professionnels de la musique, comment ça se passe ?

Je passe mes journées à répondre que mes médias sont en pause et de l’incapacité à pouvoir planifier des actions, en l’absence de perspectives de ceux-ci. Ce qui n’empêche pas d’avoir parfois quelques confrères au téléphone pour évoquer des souvenirs ou le off de certaines décisions gouvernementales.

Ça te fait réfléchir différemment ? Est-ce que tu vois les choses sous un autre angle désormais ?

En terme de conscience écologique, mes idées restent inchangées. Professionnellement, par contre, la période me donne envie d’avoir recours à davantage de télétravail dans l’année…

T’as pas eu envie de tout lâcher ?

Jamais ! Dans ma vie professionnelle, j’ai suffisamment eu de problèmes de connexion réseau, de grèves de transports, d’équipes techniques malades, de faillites de prestataires ou d’annulations de prestation à la dernière minute pour ne pas avoir appris à rebondir… La recherche de solutions est presque inhérente, selon moi, à notre métier.

Tu crois que tout cela aura un impact durable par la suite ou qu’on reviendra dans le monde que l’on connait parce que l’argent plus fort que tout ?

Je pense que la période renforcera des convictions déjà établies. Pour les autres, une conversion aussi rapide me semble difficile [il va falloir attendre une génération pour qu’elle soit partagée par une majorité]. Pour deux raisons, notamment : tout le monde n’a pas nécessairement les outils critiques pour y parvenir (question d’accès aux informations ou bons interlocuteurs, d’environnement social et/ou économique), voire pour agir ; ensuite, parce que la société n’a pas encore compris que c’est à chacun de mener sa révolution intime pour que l’ensemble évolue par répercussion.

Il est par contre certain que le fossé va se creuser entre les prises de conscience des uns, la tentative de récupération des autres et ceux qui n’ont pas le choix de continuer à perpétuer un système… Le tout dans un climat de méfiance post-confinement.

D’après toi, que va-t-il se passer au niveau des scènes locales et indés ? 

Ces dernières années, le rock avait déjà repris sa place initiale : la marge ! Même si la réhabilitation du metal est croissante (d’un point de vue événements et ventes d’albums ou merchandising – a contrario, hum, des articles dans les médias…), le fait que le genre quitte la sphère mainstream était logique. Voire salvateur pour se remuscler.

Par contre, si l’on considère que la synthwave ou la trap actuelles singent les mouvements synthétiques des 80s, je me pose la question de l’influence de cette période sur l’expression artistique… Va-t-on donc connaître le retour des guitares saturées 90s et de ses mouvements contestataires/politiques (aujourd’hui quasi disparus) ? Après tout, des mouvements comme le grunge voulaient mettre fin aux “années fric” et aux consensus, assumait des esthétiques épurées, sales, apathiques, angoissées, tout en rejetant la théâtralité… La période et ses besoins de prises de conscience pourraient en tout cas s’y prêter – et tant mieux.

En attendant, le milieu indé va évidemment souffrir… Il va falloir réinvestir les circuits de distribution ou de promotion parallèles, revenir au do-it-yourself, multiplier les concerts, créer de nouveaux supports qui accueilleront cette mutation et convertir cette rage en élans créatifs. Ce n’est pas la fin : c’est un retour aux origines.

Si tu pouvais faire un vœu pour demain ?

Beaucoup d’études le montrent : l’éveil de conscience prend du temps (on parle généralement même d’une génération pour y parvenir). En refondant notre système éducatif et en y intégrant un grand nombre d’enseignements de cette crise (la nécessité du partage et de l’écologie, la fraternité, la décroissance…) nous pourrons ainsi mieux doter la nouvelle génération pour lui permettre de tenter de réussir là où nous avons échoué.

Mais les médias ont aussi un rôle à jouer dans les représentations, en ayant recours à plus de pluralité de traitement et en s’appuyant davantage sur ses relais locaux. Il faut en finir avec notre condescendance corporatiste en continuant à inspirer, plutôt que donner des leçons ou informer sur ce que connaît déjà le public.

Ta playlist confinement : 5 titres.

Thématique oblige :

MC Hammer “U Can’t Touch This“

Corona “The Rhythm of the Night“

Led Zeppelin “Patience“

Deftones “Bored“

Black Sabbath “Paranoid“

 

Propos recueillis par Serge Beyer

 

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